Divisions profondes sur les politiques commerciales américaines lors de la réunion des ministres des Finances du G7

Dans l’un des conflits les plus importants de l’histoire de ces réunions multilatérales depuis plus de quarante ans, les ministres des Finances de six des sept pays du G7 se sont réunis à la fin de la semaine dernière pour publier une déclaration condamnant les États-Unis pour leurs politiques commerciales.

Le Canada a accueilli et présidé la réunion tenue à Whistler en Colombie-Britannique. Sa déclaration lors de la réunion a préparé le terrain pour un conflit encore plus grand lorsque les chefs du gouvernement du G7 se réunissent à Charlevoix, au Québec, les 8 et 9 juin.

À l’autre rivage du Pacifique, à Beijing, les pourparlers entre les autorités américaines et chinoises au sujet d’un programme visant à augmenter les exportations américaines vers la Chine se sont achevés sans qu’aucune déclaration soit émise par les deux parties, la date limite plane pour l’imposition des tarifs par les États-Unis sur au moins 50 milliards de dollars de produits chinois.

L’agence de presse chinoise, Xinhua, a déclaré que des progrès « positifs et concrets » avaient été réalisés dans certains domaines, avant de préciser que la menace tarifaire était le principal point d’achoppement. « Si les États-Unis appliquent des mesures commerciales, y compris des droits de douane, tous les accords conclus dans le cadre des négociations ne prendront pas effet », indique le communiqué.

La déclaration du G7, acceptée par le Canada, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, l’Italie et le Japon, soulignait « l’effet négatif des actions commerciales unilatérales des États-Unis ». Ceci faisait référence à l’imposition des tarifs par Washington sur l’acier et l’aluminium pour des raisons de « sécurité nationale ».

« Des inquiétudes ont été exprimées sur le fait que les tarifs imposés par les États-Unis à leurs amis et alliés, pour des raisons de sécurité nationale, sapent l’ouverture du commerce et la confiance dans l’économie mondiale », indique le communiqué.

L’objectif devait être de restaurer des « partenariats de collaboration pour promouvoir un commerce libre, équitable, prévisible et mutuellement bénéfique », qui avait été mis en péril par les actions américaines contre d’autres membres du G7.

Dans ses remarques sur la réunion, le ministre canadien des Finances, Bill Morneau, a déclaré que « malheureusement, les actions des États-Unis risquent de miner les valeurs mêmes qui nous unissent traditionnellement ». Il a ajouté, en s’adressant aux journalistes, qu’il y avait un consensus parmi les six pays que les actions de l’Administration Trump étaient « destructrices pour notre capacité à faire avancer les choses », et il a demandé au secrétaire au Trésor américain Steven Mnuchin de transmettre le « regret et la déception » des six autres nations au président Trump.

Même avant que le message ne soit livré, Trump avait donné sa réponse par Twitter, disant que les États-Unis « doivent enfin être traités équitablement au sujet du commerce ». Il a ajouté : « Si nous facturons un pays zéro pour vendre leurs marchandises, et qu’ils prennent 25 pour cent, 50 pour cent, voire 100 pour cent pour vendre les nôtres, c’est injuste et ne peut plus être toléré. Ce n’est pas un commerce libre ou équitable, c’est un commerce stupide. »

S’exprimant après la réunion, plusieurs ministres des Finances ont souligné le caractère sans précédent de la scission. Qualifiant les tarifs américains sur l’acier et l’aluminium de « profondément déplorables », le ministre japonais des Finances Taro Aso a déclaré : « Je participe à ces réunions depuis longtemps. Mais c’est un cas très rare où l’opposition aux États-Unis était unanime ».

Aso a déclaré que le G7 devrait dire à la Chine de suivre les règles mondiales, mais « en prenant des mesures qui violent les règles du G7 et de l’Organisation mondiale du commerce, en réalité les États-Unis font en réalité une faveur à la Chine. C’est inacceptable. »

Le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, a fait référence au « G6+1 » et a exprimé : « une totale incompréhension » des actions américaines. Il a déclaré que l’Union européenne était prête à procéder à des mesures de rétorsion et que Washington n’avait que quelques jours pour désamorcer le conflit commercial.

Selon un participant à la réunion, cité par Reuters, Le Maire a directement demandé à Mnuchin : « Comment pouvez-vous amener la Chine à respecter le droit international si vous ne le faites pas ? »

Le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, a exprimé l’opposition des autres membres du G7 à la décision des États-Unis de se retirer de l’accord nucléaire international avec Téhéran et la menace des États-Unis d’imposer des sanctions aux pays européens qui continuent à faire du commerce avec l’Iran. « Il y avait plusieurs questions discutées au G7 sur lesquelles il n’y avait pas d’accord », a-t-il déclaré aux journalistes. « C’est vraiment inhabituel dans l’histoire du G7 ».

Mnuchin a rejeté les affirmations selon lesquelles les États-Unis contournaient les règles du commerce international ou abandonnaient le système de relations économiques mondiales qu’il avait construit après la Seconde Guerre mondiale. Dans une expression du programme « l’Amérique d’abord » de l’administration Trump, il attira l’attention sur les dons de centaines de milliards de dollars aux entreprises américaines et aux ultra-riches.

« Je ne pense pas que les États-Unis abandonnent leur position dominante dans l’économie mondiale. Bien au contraire », a-t-il déclaré. « Je pense que nous avons fait un effort massif sur la réforme fiscale aux États-Unis, qui a eu un effet incroyable sur l’économie américaine. »

Cherchant à repousser l’isolement des États-Unis au sein du G7, Mnuchin a déclaré qu’il y avait un soutien pour la poussée de Washington contre la Chine au sujet de ses prétendus transferts de technologie forcés et d’autres politiques. Mais en expliquant cela il a montré pourquoi il n’y avait eu que peu ou pas de progrès dans la conclusion d’un accord avec Beijing. Mnuchin a déclaré que les pourparlers, menés par Wilbur Ross, secrétaire au Commerce, ne portaient pas simplement sur l’exportation de plus de produits américains vers le marché chinois.

« Je veux être clair », a-t-il dit, « il ne s’agit pas seulement d’acheter plus de produits, il s’agit de changements structurels. Mais je crois aussi fondamentalement que s’il y a des changements structurels qui permettent à nos entreprises d’être concurrentielles équitablement, par définition, cela résoudra le déficit commercial en soi. »

Mais les « changements structurels » que les États-Unis cherchent à imposer, avec des tarifs dirigés contre les biens fabriqués dans le cadre du programme « Made in China 2025 » de Beijing, ne sont rien moins que la transformation de la Chine en une semi-colonie américaine en ce qui concerne l’économie.

Washington exige à la Chine de mettre fin aux subventions de l’État aux industries clés, ce qui lui confère un avantage majeur sur les marchés mondiaux, et met fin aux efforts de développement des industries de haute technologie accusant la Chine de voler la propriété intellectuelle américaine. Le point de vue dominant dans l’establishment militaire et le renseignement est que les efforts de la Chine pour devancer les États-Unis dans le secteur de la haute technologie constituent une menace pour la suprématie économique et militaire des États-Unis.

L’intransigeance des États-Unis sur cette question a été exposée dans les grandes demandes présentées à Pékin au début du mois dernier y compris la demande que la Chine : « ni ne s’oppose ni ne contrecarre ni ne riposte face aux sanctions des États-Unis sur les investissements de la Chine dans des secteurs sensibles de la technologie ou des secteurs critiques pour la sécurité nationale des États-Unis. »

Bien qu’aucune des deux parties n’ait fait de déclaration sur les discussions du week-end à Beijing, il a été largement rapporté que les négociateurs chinois avaient stipulé que les menaces tarifaires devaient être levées. Selon une source citée par le Financial Times : « Les Chinois demandent à l’Administration Trump d’annoncer publiquement qu’ils n’imposeront pas de tarifs, et cela est voué à l’échec. »

Les commentaires précédents de Mnuchin, à la suite des discussions à Washington, selon lesquels les droits de douane : « avaient été mis en attente » a été décrit par le faucon anti-Chine, Peter Navarro, conseiller de la Maison-Blanche sur le commerce, comme une « une petite phrase malencontreuse » et que la liste des produits chinois à cibler serait finalisée le 15 juin et mise en œuvre « peu de temps après », et il y aurait une annonce d’ici le 30 juin sur les restrictions à imposer aux investissements chinois.

Reflétant le caractère de plus en plus assiégé de l’Administration Trump sur le commerce, le conseiller économique de la Maison-Blanche, Larry Kudlow, lança une diatribe disjointe et semi-cohérente, blâmant tout le monde pour avoir enfreint les règles commerciales et déclarant que Trump répondait simplement à des décennies d’abus commerciaux.

« Ne blâmez pas Trump », a-t-il déclaré à Fox News dimanche. « Blamez la Chine, blâmez l’Europe, blâmez l’ALENA, blâmez ceux qui ne veulent pas de commerce réciproque, de tarifs douaniers et de protectionnisme. »

Avec Kudlow, considéré comme le chef d’une faction quasi libre-échangiste au sein de l’Administration Trump, il est clair que les divisions exposées lors de la réunion des ministres des Finances du G7 vont s’élargir au sommet qui se tiendra ce week-end.

(Article paru d’abord en anglais le 4 juin 2018)

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