Perspectives

Une journée de réaction à la Cour suprême des États-Unis

La Cour suprême des États-Unis a rendu deux jugements réactionnaires hier, portant des coups contre l’accès à l’avortement, les droits des immigrants détenus et les droits civiques des lesbiennes et homosexuels.

Dans le premier jugement, Azar contre Garza, la Cour a voté à l’unanimité pour invalider un jugement d’une cour inférieure confirmant le droit des femmes mineures immigrées et détenues à l’avortement. Les quatre représentants démocrates ont soutenu le jugement, qui permet à la politique de Trump empêchant les jeunes immigrants de l’accès à l’avortement de rester en vigueur.

En défense de cette politique, E. Scott Lloyd, directeur de l’Agence de la relocalisation des réfugiés, a déclaré en décembre que les centres de détention des immigrants « ne peuvent pas servir de refuge alors que nous sommes en même temps un lieu de violence » et que « nous devrions choisir de préserver la vie plutôt que la détruire ». Il ne faisait pas référence à des informations récentes faisant état de responsables du service d’immigration qui de façon systématique maltraitent les immigrants physiquement et sexuellement, y compris les enfants, dans des centres de détention à travers le pays.

Dans le deuxième jugement, Masterpiece Cakeshop Ltd. c. Colorado Civil Rights Commission, la Cour a statué par 7 voix contre 2 que la Commission des droits civiques de Colorado a enfreint la « liberté d’expression » d’un boulanger lorsqu’elle l’a sanctionné pour avoir refusé de faire un gâteau pour le mariage d’un couple gay. Cinq républicains et deux démocrates – Elena Kagan et Stephen G. Breyer – ont accepté l’argument du boulanger que c’était bien lui la victime discrimination de la part de la Commission des droits civiques de l’État.

Bien que le jugement n’indique pas spécifiquement que les propriétaires d’entreprises peuvent refuser de servir les clients homosexuels, il établit la règle absurde selon laquelle le « droit » du discriminateur doit être pris en compte au même titre que la victime de discrimination. La Cour a réprimandé la Commission des droits civiques du Colorado pour avoir comparé l’intolérance du boulanger aux préjugés anti-noirs et antisémites, estimant que même si « la loi du Colorado peut protéger les homosexuels dans leurs démarches d’achat des produits et services selon les mêmes conditions que celles offertes aux autres membres du public, la loi doit être appliquée d’une manière neutre à l’égard de la religion. »

Sous couvert de « liberté de religion » – depuis longtemps un prétexte utilisé par la droite religieuse pour imposer le bigotisme et l’ignorance à la population – le jugement invalide les arrêts de 1964 de la Cour suprême dans Katzenbach c. McClung et Heart of Atlanta Motel c. les Etats-Unis contre les propriétaires d’entreprises racistes qui prétendaient que le Civil Rights Act (la loi des droits civiques) violait leur « droit » de refuser de servir les Afro-Américains.

Les deux jugements sont des victoires majeures pour le gouvernement Trump, qui encouragent les couches religieuses et xénophobes les plus à droite de la classe dirigeante américaine. Loin de servir de « frein » au gouvernement Trump, les tribunaux ont donné leur approbation aux attaques brutales de Trump contre les groupes les plus vulnérables de la population.

En décembre 2017, la Cour a autorisé l’interdiction de voyager de Trump à prendre effet en attendant le litige. En avril, elle a élargi l’immunité aux tueurs policiers et, le 21 mai, elle a éliminé le droit de millions de travailleurs d’intenter un procès de recours collectifs contre leurs employeurs. Mardi dernier, la Cour a accepté de ne pas contester une loi de l’Arkansas interdisant les avortements par médicaments.

Le rôle joué par les représentants démocrates de la Cour réfute pour la centième fois l’argument selon lequel voter pour les candidats présidentiels démocrates pousse la Cour vers la gauche. Selon les statistiques compilées par Scotusblog, le juge le plus « libérale » de la Cour, Ruth Bader Ginsberg, se range du même côté que Clarence Thomas de l’extrême droite dans plus de 55 pour cent des jugements rendus au cours du mandat de 2017.

Il n’y a aucune base de soutien pour défendre les droits démocratiques dans aucun des deux partis politiques, ni dans aucune branche du gouvernement. Lors d’une conférence donnée en décembre 2000 juste avant le jugement de la Cour suprême de remettre les élections de 2000 au républicain George W. Bush, le président du Comité de rédaction internationale du WSWS, David North, a écrit :

« Ce que le jugement de cette Cour va démontrer est de savoir jusqu’à où la classe dirigeante américaine veut aller en rompant avec les normes bourgeois-démocratiques traditionnels et constitutionnels. Est-elle prête à cautionner la fraude électorale et l’élimination de bulletins de votes, et l’intronisation à la Maison Blanche d’un candidat qui a accédé à ce poste par des méthodes anti-démocratiques et carrément illégales. »

Soulignant la croissance extrême de l’inégalité sociale, North a poursuivi :

« La relation entre les formes politiques et la structure de classe de la société est d’un caractère dialectique complexe. Mais à long terme, il arrive un moment où les tensions sociales produites par l’inégalité sociale effrénée ne peuvent être contenues dans les formes démocratiques traditionnelles. La société américaine a atteint ce point. »

Ce pronostic a été confirmé. Dans un contexte de montée des inégalités sociales et d’instauration d’un état de guerre permanent suite aux événements du 11 septembre 2001, le gouvernement des États-Unis mène une vaste opération criminelle : guerre sans fin, assassinat, cadeaux aux grandes entreprises, surveillance de masse et censure.

La complicité de toutes les institutions officielles de l’establishment politique dans ce processus, y compris le système judiciaire, les médias, les deux partis, les syndicats et les universités, a produit un intense déclin politique, culturel et intellectuel. La campagne #MeToo – un produit de cette dégénérescence – exige, sous prétexte de « droits des femmes », l’abolition de la procédure de procès en bonne et due forme pour les accusés tout en ne mettant pas en cause la privation effective du droit à l’avortement pour des millions de travailleuses.

Aucun des acquis démocratiques obtenus par les mouvements des droits civiques du vingtième siècle, y compris le droit de vote, la fin de la ségrégation raciale « séparée mais égale » et le droit à l’avortement, ne sont gravés dans le marbre. Le Parti démocrate, tout en basant sa stratégie électorale sur des appels à diverses « identités », céderait volontiers ces protections à Stephen Miller et Mike Pence en échange d’une politique étrangère plus belligérante contre la Russie.

Alors que la classe dirigeante se tourne vers des formes dictatoriales de pouvoir, un autre processus se déroule dans la classe ouvrière et parmi les jeunes.

Au cours d’une série émergente de grèves, de mouvements sociaux et de manifestations aux États-Unis et dans le monde entier, les travailleurs et les jeunes soulèvent des griefs sociaux qui ont été artificiellement réprimés par les syndicats pendant des décennies. Les grèves d’enseignants réclamant des augmentations massives des salaires ont convergé avec des manifestations contre les fusillades dans les écoles. Les travailleurs dans les zones de forte immigration comme Los Angeles et Las Vegas ont voté des grèves tout en revendiquant des protections contre la déportation.

C’est dans ce mouvement que la défense des droits démocratiques obtiendra un large soutien. La classe ouvrière doit être convaincue que non seulement leur soutien est important pour la défense des droits démocratiques, mais surtout que les droits démocratiques sont essentiels pour la classe ouvrière.

Les travailleurs ne doivent pas céder à l’ennemi de classe le pouvoir d’arrêter et de déporter leurs frères et sœurs immigrés, ou de diviser les rangs de la classe ouvrière en fonction de l’ethnie, de la nationalité, du sexe ou de l’identité sexuelle. Dans les batailles à venir contre les sociétés et les gouvernements les plus puissants du monde, les travailleurs doivent être guidés par le principe « une attaque contre un est une attaque contre tous ». C’est seulement sur cette base que des milliards de travailleurs peuvent s’unir pour lutter ensemble pour l’égalité sociale, contre l’atteinte aux droits démocratiques et le système capitaliste.

(Article paru en anglais le 5 juin 2018)

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