En réponse à Macron, Merkel appelle au militarisme européen et à l’austérité financière

Dans une interview accordée dimanche à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, la chancelière allemande Angela Merkel a répondu aux propositions sur la politique de l’Union européenne (UE) faites par le président français Emmanuel Macron dans un discours prononcé en septembre dernier à la Sorbonne à Paris. Ces propositions seront discutées lors d’un sommet de l’UE à Bruxelles plus tard ce mois-ci.

Berlin n’avait pas répondu à ce discours pendant six mois, les principaux partis bourgeois allemands se battant sur la formation d’un gouvernement. Entre-temps, la crise de l’UE s’est intensifiée. Non seulement Washington menace la Chine et l’UE d’une guerre commerciale potentiellement catastrophique et menace une guerre totale au Moyen-Orient par sa suppression du traité nucléaire avec l’Iran, mais la désintégration de l’UE s’accélère également. Deux ans après le Brexit, un gouvernement d’extrême droite hostile à l’euro a pris ses fonctions en Italie, la troisième plus grande économie de l’UE.

Parallèlement, les manifestations et les grèves s’accélèrent en Europe : protestations massives contre les attaques de Macron en France, grèves contre l’austérité salariale dans les compagnies aériennes en Europe et dans les secteurs métallurgique et automobile menacés par les tarifs douaniers américains.

Ainsi, via l’interview de la FAZ avec Merkel, les deux plus grandes puissances européennes essaient de coordonner une réponse à la perspective d’un ensemble fait de guerres, de chocs économiques et de luttes de classes, le plus menaçant depuis la création de l’UE en 1992. Mais l’UE est politiquement en faillite. Alors que Merkel a approuvé les appels de Macron pour des centaines de milliards d’euros de nouvelles dépenses militaires et pour une politique anti-immigrés virulente, elle n’a pas résolu les conflits acerbes ayant éclaté dans la classe dirigeante européenne sur la crise de la dette souveraine de la Grèce, à la suite du krach de Wall Street en 2008 il y a dix ans.

À la Sorbonne, Macron avait proposé un budget militaire commun de l’UE, une force d’intervention militaire commune, un Fonds monétaire européen commun (FME) pour les crises de la dette souveraine de la zone euro et un fonds d’investissement de l’UE de plusieurs centaines de milliards d’euros.

Merkel a approuvé les appels de Macron pour un renforcement militaire : « Je suis en faveur de la proposition du président Macron pour une initiative d’intervention. Cependant, une telle force d’intervention dotée d’une culture militaro-stratégique commune doit s’inscrire dans la structure de la coopération en matière de défense ». Elle a appelé à davantage de « coordination européenne » sur la politique étrangère, notamment sur les décisions de guerre.

Merkel a signalé toutefois que cela signifiait que Paris se réoriente, s’éloigne de Washington et se rapproche de Berlin. Elle a critiqué la décision de la France de rejoindre les États-Unis et la Grande-Bretagne dans la guerre en Libye en 2011, ce que son gouvernement n’avait pas fait : « Dans l’intervention de 2011 en Libye et pendant les frappes en Syrie, les Français ont préféré traiter avec les Britanniques et les Américains plutôt qu’avec plus de partenaires. Cela semble être la culture de la France dans les interventions. Mais si vous voulez travailler avec plus de partenaires, vous devez aussi décider ensemble ».

Merkel a approuvé la politique d’immigration de Macron, qui a adopté une loi d’asile draconienne accordant effectivement un pouvoir de veto à la police sur les procédures d’asile, et a appelé à une politique européenne commune en matière de réfugiés et d’immigration. Elle a dit : « Nous avons besoin d’un système d’asile commun et de règles similaires régissant la décision quant à savoir qui obtient l’asile et qui ne l’obtient pas ».

Elle a appelé à renforcer la police des frontières Frontex, dont la politique a entraîné la noyade de milliers de réfugiés en Méditerranée : « L’agence de protection des frontières Frontex doit à moyen terme devenir une véritable police des frontières européenne dotée de pouvoirs européens. Cela signifie que la police des frontières européenne doit avoir le droit d’opérer indépendamment aux frontières extérieures de l’UE ».

Sur les demandes financières de Macron, cependant, Merkel n’a pas donné grand chose. Elle a proposé un fonds d’investissement européen contrôlant « des dizaines de milliards » d’euros, soit dix fois moins que ce que voulait Macron.

Elle a approuvé les appels à la création d’un FME en tant qu’alternative au FMI dirigé par les États-Unis : « Pour parvenir à une économie prospère, nous devons stabiliser l’euro. Les instruments actuels que nous avons ne suffisent pas encore, nous avons donc besoin d’une union bancaire et d’une union des marchés de capitaux. Nous voulons également nous rendre significativement plus indépendants du Fonds monétaire international (FMI) ».

Elle a également indiqué que le parlement allemand devrait conserver son droit de veto et imposer des mesures d’austérité supplémentaires dans les sauvetage de banques proposés du FME, comme lors de la crise de la dette grecque en 2009-2015. « Le FME devrait être organisé sur une base interétatique, avec les droits correspondants pour les parlements nationaux », a déclaré Merkel.

Les réponses de Merkel ont mis à mal les illusions que pouvaient avoir les partisans de Macron que ses propositions remodèleraient l’architecture du capitalisme européen. Dix ans après le krach de Wall Street et le début de la crise de la dette grecque, celui-ci n’a rien à proposer qu’une austérité plus profonde et des attaques contre les droits démocratiques à l’intérieur et le militarisme à l’étranger.

De plus, du point de vue des travailleurs européens, les propositions économiques de Macron ne sont pas une alternative à l’austérité dictée par Berlin. Elles reviennent à une tentative d’utiliser une politique monétaire européenne ultra-souple pour financer des investissements qui développeraient des start-ups favorisées dans des secteurs clés et à tenter de rendre les économies européennes plus faibles plus compétitives face à l’Allemagne. Tout cela est basé sur une austérité profonde.

En France, Macron réduit les salaires et les effectifs dans le secteur public et augmente le recours au travail temporaire pour augmenter les profits. Au-delà de la privatisation des chemins de fer et de la planification de coupes dans les soins de santé et les retraites, la presse française rapporte que le gouvernement Macron prépare d’autres coupes de 30 milliards d’euros dans les budgets publics, essentiellement axées sur les dépenses sociales.

Le contraste entre les exigences financières de Macron et la réponse plus modeste de Merkel a occupé la presse qui craignait que si une nouvelle crise de l’euro éclatait en Italie, la politique de Merkel pourrait nuire aux banques.

Alors que la FAZ relevait la « réponse modérée » de Merkel et notait que maintenant Macron « comprendra qu’il ne peut pas trop attendre des Allemands », Le Monde écrit : « Ceux qui pensaient que la Chancelière allemande attendait si longtemps pour répondre afin de donner une réponse qui correspondait avec la taille des espoirs de son partenaire français ont été rabroués. Il n’y aura pas de révolution en Allemagne ». Il avertit que le FME, comme proposé par Merkel, réduirait la valeur de la dette souveraine et des dépôts bancaires des particuliers dans les pays renfloués, « recette à laquelle la France s’oppose ».

Dans le Daily Telegraph, Ambrose Evans-Pritchard a noté que cette proposition « effraie Paris, Rome et Madrid. Merkel veut imposer des décotes au secteur privé et la restructuration de la dette souveraine avant tout sauvetage. L’ancien ministre italien des Finances Pier Carlo Paduan a déclaré qu’un tel plan déclencherait une crise financière qui s’auto-réaliserait ».

Le chroniqueur du Financial Times, Wolfgang Munchau, a souligné les tensions croissantes entre la bourgeoisie allemande et les bourgeoisies du sud de l’Europe. Il proposa que Rome « envisage de soutenir le Président français pour faire comprendre à la Chancelière allemande les coûts exorbitants d’un « non » allemand, Pedro Sanchez, le chef du parti socialiste assermenté samedi comme premier ministre espagnol, pourrait aider à renforcer une telle alliance ».

Un commentateur de TF1, Jean-Marc Sylvestre, a écrit que l’intransigeance de Merkel avec Macron signifiait que Berlin pourrait abandonner les pays du sud de l’Europe : « et de prendre l’initiative de quitter la zone euro et construire autour de lui un bloc homogène de pays européens du nord pro-austérité ».

De tels conflits soulignent surtout l’état d’effondrement très avancé du capitalisme européen et la nécessité, au milieu d’une nouvelle recrudescence de la lutte des classes, d’unifier les travailleurs européens dans la lutte contre toutes les fractions de la bourgeoisie européenne en faillite.

(Article paru d’abord en anglais le 6 juin 2018)

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