Le populiste de droite Doug Ford gagne les élections en Ontario

Mettant la table pour une intensification rapide des conflits de classe, le populiste de droite Doug Ford et ses progressistes-conservateurs ont obtenu une forte majorité parlementaire lors des élections de jeudi en Ontario. Avec 40,5% du vote populaire, les conservateurs ont remporté 76 des 124 sièges à l'Assemblée législative de l'Ontario.

Les libéraux, qui depuis 2003 gouvernent la province qui compte près de quatre Canadiens sur dix, ont subi une défaite historique. Ils ont remporté seulement sept sièges, un de moins que nécessaire pour obtenir le statut officiel de parti à l'Assemblée législative de l'Ontario, et recueilli 19,6 % des voix, une baisse de près de 20 points de pourcentage par rapport aux 38,6 % obtenus aux élections provinciales de 2014.

Le NPD social-démocrate, qui n’a jamais remporté les élections en Ontario durant les deux dernières décennies, a augmenté sa part du vote populaire de 10 points de pourcentage pour s’établir à 33,6%. Il a remporté 40 sièges, soit un gain de 17 par rapport à ce qu'il aurait gagné en 2014 si les circonscriptions électorales actuelles avaient été en vigueur, et formera maintenant l'opposition officielle.

Le NPD a réalisé des gains dans les villes industrielles de Hamilton, London, St-Catherines et Kitchener qui ont perdu des dizaines de milliers d'emplois manufacturiers mieux rémunérés depuis le début du siècle et dans le nord de l'Ontario, une région pauvre dominée par l'exploitation minière et forestière. Il a également pris des sièges dans les quartiers défavorisés de Toronto et d'Ottawa.

Les conservateurs ont balayé les régions rurales du sud de l'Ontario et, à l'exception de Brampton, les banlieues de Toronto. Ils ont également remporté des sièges dans la ville de Toronto, où vivent 2,7 millions de personnes, pour la première fois depuis 1999. Auparavant, Ford était conseiller municipal à Toronto et son frère cadet, le défunt Rob Ford, maire de la ville de 2010 à 2014.

Les trois partis ont fait des appels calculés et hypocrites face à la montée de la colère populaire contre l'inégalité sociale endémique et l'insécurité économique croissante.

Après des années de collaboration pour imposer l'austérité – le NPD a soutenu un gouvernement libéral minoritaire pendant deux ans et demi jusqu’en juin 2014 – les deux partis «progressistes» autoproclamés ont scandé des appels à une augmentation des dépenses sociales, y compris des plans concurrents d’une hausse de l’aide étudiante et de la bonification de la couverture des médicaments et des soins dentaires pour les moins nantis.

Ford, pour sa part, a promis de réduire le prix de l'essence et la facture d'électricité, de mettre fin à la «médecine des couloirs» (une référence aux hôpitaux surpeuplés) et d'injecter des centaines de millions de dollars dans la santé mentale. En même temps que ces appels populistes, il a promis de baisser les impôts, en particulier pour les entreprises et la haute bourgeoisie, de réduire des «formalités administratives» (c.-à-d. la réglementation environnementale et en milieu de travail), de sabrer de 6 milliards de dollars par année les dépenses provinciales et d’annuler l'augmentation d’un dollar du salaire minimum. Mais contrairement à Tim Hudak, le chef conservateur aux élections de 2014 qui avait déclaré qu'il éliminerait 100.000 emplois dans le secteur public, Ford a affirmé à plusieurs reprises que ses réductions de dépenses ne coûteraient pas l’emploi d’un seul travailleur.

Homme d'affaires millionnaire qui a hérité sa fortune de son père, lui-même législateur conservateur de l'Ontario, Ford s’est positionné, imitant le style Trump, comme le candidat du «peuple». Il était le représentant vivant du «travailleur ordinaire» combattant «l’élite corrompue» du centre-ville de Toronto.

Dans son discours décousu de victoire du jeudi soir, Ford a sorti les slogans populistes conservateurs et de droite. Il a déclaré que l'Ontario était «ouvert aux affaires», a déclaré que «la fête avec l'argent des contribuables est terminée» et a promis de diriger un gouvernement qui «réduira vos impôts, réduira le prix de votre essence» et «vous mettra toujours en premier».

La répudiation populaire des libéraux de l'Ontario est un coup dur pour le premier ministre Justin Trudeau et son gouvernement libéral fédéral. Le gouvernement libéral de Kathleen Wynne n’était pas seulement le plus proche allié provincial de Trudeau. Une grande partie du mode de fonctionnement de son gouvernement, y compris ses étroites relations de travail avec la bureaucratie syndicale et la promotion incessante des politiques identitaires, s'inspirait des gouvernements libéraux de Wynne et de son prédécesseur, Dalton McGuinty.

Plus important encore, le nouveau gouvernement entrera rapidement en conflit avec la classe ouvrière, car l'élite dirigeante va s’en servir pour pousser la politique en Ontario et partout au Canada encore plus vers la droite.

Le gouvernement conservateur de Ford entrera en fonction au milieu d'une crise systémique du capitalisme mondial, ponctuée par une reprise anémique et de plus en plus fragile après la pire récession depuis la Grande Dépression; la résurgence d'un conflit militaro-stratégique entre grandes puissances; et la guerre commerciale.

Pendant les cinq ans et demi que Kathleen Wynne a dirigé le gouvernement libéral de l'Ontario, elle a imposé des réductions draconiennes des dépenses sociales, réduit les impôts des entreprises, procédé à la plus grande privatisation du pays en une génération (Hydro One) et utilisé des lois antigrèves. Pourtant, la grande entreprise s’est détournée de Wynne et ses libéraux, notamment l'an dernier, quand, pour tenter d'éviter une débâcle électorale, ils ont effectué une feinte à gauche, haussant le salaire minimum et interdisant les contrats zéro heure.

À l'approche du vote de jeudi, les dirigeants d'entreprise ont émis des avertissements criants comme quoi les remises d'impôt de Trump aux grandes entreprises ont mis en péril la «compétitivité» du Canada. Pendant ce temps, l'ensemble des médias corporatifs, du Toronto Star libéral au National Post néoconservateur, fustigeaient les trois partis pour ne pas avoir promis des budgets équilibrés.

De manière significative, Ford a répondu à l'imposition de droits tarifaires par Trump sur les importations canadiennes d'acier et d'aluminium en appelant à une intensification de l'assaut de guerre de classe contre la classe ouvrière. «Nous devons travailler à l'échelle nationale pour rendre l'Ontario et le Canada plus compétitifs», a tweeté M. Ford. «Seul un gouvernement (conservateur) créera l'environnement propice aux affaires qui est nécessaire pour ramener les emplois en Ontario.»

Les conservateurs se sont engagés à ordonner immédiatement une vérification «complète» des livres comptables du gouvernement. C'est un stratagème désormais familier utilisé par les gouvernements capitalistes de tous les partis. Il fournit à Ford un mécanisme lui permettant de déclarer que la situation financière de l'Ontario est encore plus précaire qu'on ne le pensait et constitue un prétexte pour imposer des coupes draconiennes dans la fonction publique.

La classe ouvrière résistera âprement à la tentative de la classe dirigeante de détruire ce qui reste des droits sociaux qu'elle a gagnés à travers les luttes de masse du siècle dernier et le fera dans le cadre d'une rébellion croissante de la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde.

Mais pour réussir une contre-offensive, les travailleurs de l'Ontario et du Canada doivent se libérer de l'emprise politique et organisationnelle des syndicats procapitalistes et du NPD et faire avancer leur propre solution à la crise capitaliste: la lutte pour un gouvernement ouvrier et la réorganisation socialiste de la société.

Lors du principal rassemblement postélectoral du NPD, la cheffe du parti, Andrea Horwath, a déclaré que les sociaux-démocrates seraient la «voix» de la population de l'Ontario qui «n'a pas voté pour des compressions».

Le président de la Fédération du travail de l'Ontario, Chris Buckley, a déclaré plus tard: «Le mouvement syndical exigera des comptes de Doug Ford» tandis que Jerry Dias, président d'Unifor, le plus grand syndicat industriel du Canada, a déclaré que le premier ministre sera «très surpris s’il croit que le résultat de cette élection est une carte blanche pour lancer des attaques contre les travailleurs et déclencher des coupes dans les services publics».

Tout ceci n’est que de la poudre aux yeux, visant à positionner les syndicats et le NPD pour contenir et faire dérailler politiquement l'opposition de la classe ouvrière au gouvernement Ford et s'assurer qu'elle ne devienne pas une menace pour la domination capitaliste.

Le NPD est un parti qui appuie la guerre et l'austérité et qui, à l'instar des partis sociaux-démocrates et travaillistes du monde entier, est totalement inféodé au patronat. S'il a été relégué au statut de tiers parti en Ontario, c'est parce que le seul gouvernement néo-démocrate de l'histoire de la province, dirigé par Bob Rae entre 1990 et 1995, a cruellement trahi les espoirs des travailleurs, sabrant les services publics et imposant un «contrat social» de réduction des salaires et des emplois.

Quant aux syndicats, ils étaient de proches alliés du gouvernement libéral propatronal en Ontario au cours de ses 15 années au pouvoir, tout comme ils sont actuellement en partenariat avec le gouvernement fédéral de Trudeau.

Cette alliance réactionnaire est née de la répression par les syndicats du défi de masse populaire lancé au dernier gouvernement conservateur de l'Ontario et de sa «révolution du bon sens», un programme de type Reagan-Thatcher de coupes sauvages dans les services publics et sociaux. Entre 1995 et 1997, des centaines de milliers de travailleurs se sont joints aux manifestations et aux grèves d'une journée contre le gouvernement conservateur de Mike Harris. Mais lorsque le mouvement d'opposition a menacé d'échapper au contrôle des syndicats et qu'une grève illégale des enseignants à l'échelle de la province a posé la nécessité d’une grève générale politique visant à chasser les conservateurs, les syndicats ont étouffé le mouvement.

Peu après, les Travailleurs canadiens de l'automobile (prédécesseur d'Unifor) et d'autres syndicats ont commencé à forger des liens étroits avec les libéraux et à promouvoir le «vote stratégique» comme tactique pour vaincre les conservateurs.

(Article paru en anglais le 9 juin 2018)

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