A la conférence de Meseberg, Merkel et Macron appellent à l’extension du militarisme

La chancelière allemande Angela Merkel a accueilli lundi le président français Emmanuel Macron à Meseberg, alors que Berlin et Paris tentent de se mettre d’accord sur une politique commune avant la prochaine conférence de l’Union européenne (UE) à Bruxelles à la fin du mois.

La réunion de Meseberg avait l’allure d’un sommet de crise. Elle se déroulait une semaine à peine après la rupture des négociations du G7 avec les États-Unis et l’imposition par Washington de tarifs de guerre commerciale sur des dizaines de milliards de dollars d’exportations de l’UE. Merkel fait face à un défi sans précédent dans son propre gouvernement. Son ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, menace de mettre son autorité en cause en rétablissant unilatéralement les contrôles visant les migrants aux frontières nationales après avoir rencontré les responsables des gouvernements d’extrême droite italien et autrichien.

Il y avait aussi les signes croissants de tensions entre Berlin et Paris après que Merkel a largement rejeté la demande de Macron, au début du mois, pour la création de centaines de milliards d’euros de fonds pour des sauvetages bancaires et des projets d’investissement. Le Monde a publié une longue revue des entretiens de Merkel et Macron à ce sujet, citant la récente critique de Macron par Merkel à la télévision allemande, que celui-ci continuait à faire des propositions « dont il sait depuis longtemps, qu’elles ne sont pas les bonnes, à mon avis ». Le journal conclut en écrivant qu’entre les deux, « le charme s’est bel et bien perdu ».

Avant la rencontre, le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, avait appelé sur BFMTV à une politique de grande puissance pour l’UE. « Nous devons proposer, comme notre président l’a fait, un nouveau projet européen sur l’immigration pour consolider l’Union européenne dans un monde où les États-Unis sont d’un côté, la Chine de l’autre, et nous sommes piégés entre les deux ». Il a averti que l’Europe se « désintégrait » et exigeait des politiques communes contre l’immigration et les « risques financiers ».

Pour finir, Merkel et Macron ont concocté un accord promettant une expansion draconienne du militarisme européen, de l’austérité et des attaques contre les immigrés, en collaboration avec les gouvernements italien et autrichien. Alors que Rome s’engage à expulser des centaines de milliers d’immigrants et à procéder à un recensement de l’ensemble de la population rom de l’Italie, ouvrant la voie à des rafles de masse d’une ampleur inconnue en Europe occidentale depuis l’Holocauste, l’UE prépare un virage explosif à droite.

La déclaration approuvée lundi par Merkel et Macron commence par un appel à renforcer la capacité de l’UE à mener des guerres à l’étranger et à censurer l’Internet. Elle appelle à la construction d’une « culture stratégique partagée à travers l’initiative européenne d’intervention, qui sera liée aussi étroitement que possible à PESCO », l’initiative de coopération structurée permanente pour une armée de l’UE. Elle appelle aussi à poursuivre le développement d’un système commun de chars et d’avions de combat de l’UE, des pourparlers avec la Russie et l’Ukraine et une action législative de l’UE contre les « contenus illicites promouvant le terrorisme en ligne ».

En matière d’immigration, elle appelle à une intensification de la répression de l’UE en « (1) mettant en place une véritable police européenne des frontières sur l’actuelle Frontex et (2) en créant un Office européen de l’asile harmonisant les pratiques d’asile dans les États membres ».

La déclaration ne critique pas Seehofer ni la chasse aux sorcières anti-roms du gouvernement italien. Dans une pique à l’intention de Seehofer elle fait cependant cette mise en garde : « Une action unilatérale et non coordonnée va diviser l’Europe, diviser ses peuples et mettre Schengen (le traité sur la libre circulation à l’intérieur de l’UE) en danger. Si les États membres commençaient à agir unilatéralement, cela se traduirait par une augmentation globale de la migration vers l’Europe ».

Autrement dit, les différences de Merkel et Macron avec Seehofer et Rome n’ont pas pour objet la persécution des migrants. Ils mettent plutôt en garde que, dans la situation actuelle de désintégration de l’alliance transatlantique et de grèves et de protestations croissantes dans les pays de l’UE, celle-ci est un meilleur mécanisme pour soutenir les ambitions militaires internationales des puissances européennes et pour organiser la répression à l’intérieur.

Présentant la déclaration lors de sa conférence de presse conjointe avec Macron, Merkel a d’abord salué le militarisme de l’UE : « Nous veillons sur les intérêts de l’Europe. Nous avons donné quelques réponses dans la déclaration de Meseberg. Nous devons être plus proches dans les relations étrangères, plus proches en défense... Cela signifie que nous aurons une culture stratégique commune, mais aussi un arsenal commun. Nous devrons coopérer au déploiement de nos soldats ».

En matière d’immigration, Merkel a appelé à une politique européenne commune et a indiqué son intention de travailler avec les alliés de Seehofer en Autriche et en Italie.

« Nous voulons éviter que les pays ne se divisent davantage. Nous soutenons l’initiative autrichienne visant à renforcer les frontières extérieures de l’UE. Cela signifie que nous donnerons plus de pouvoirs à Frontex. Les normes d’asile doivent être harmonisées et il doit être possible de le faire dans tous les pays signataires du traité de Schengen. Nous voulons la solidarité avec les pays membres. Nous sommes reconnaissants à la France pour son soutien. J’ai parlé au président italien ; nous prendrons en compte les idées de l’Italie », a-t-elle dit.

Sur l’économie, qu’elle a qualifié de « sujet le plus difficile », Merkel a noté que la déclaration appelait à utiliser le fonds de sauvetage du Mécanisme européen de stabilité (MES) à la fois pour le sauvetage des banques et pour les investissements des entreprises. Cela fait partie d’une série d’autres mesures favorables aux entreprises, notamment l’harmonisation des structures fiscales allemandes et françaises et la coordination des marchés de capitaux de l’UE.

Cela souligne que l’escalade du militarisme et des attaques néo-fascistes contre les immigrés se fonde sur la poursuite des subsides au grand patronat et de l’austérité contre les travailleurs. L’utilisation du MES pour le renflouement des banques, comme en Grèce après 2009, nécessite toujours l’approbation des chefs d’État et ministres des Finances européens, qui en échange avaient exigé une austérité massive en Grèce.

Macron a soutenu les propos de Merkel, qualifiant la situation de « moment de vérité en Europe, dans chacun de nos États et sur notre continent ». Il a appelé à porter la force frontalière de Frontex à 10.000 hommes, ajoutant : « Nos décisions sont claires, elles nous permettent de répondre à la gravité de la situation ».

En fait, l’axe franco-allemand qui sous-tend l’UE est en faillite. La déclaration de Meseberg montre qu’elle va intensifier les politiques d’austérité, de chasse aux sorcières anti-immigrés et de guerre impérialiste qui l’ont rendue profondément impopulaire auprès des travailleurs et ont déplacé la politique officielle vers la droite.

De plus, alors même que les partis d’extrême droite comme la Lega de Matteo Salvini en Italie consolident leur influence au gouvernement, la réponse de Berlin et Paris est de reprendre leur agenda anti-immigré en faisant quelques critiques de ses aspects les plus scandaleux et impopulaires comme le refus de laisser débarquer en Italie les 629 réfugiés de l’Aquarius. Macron, dont la police mène ses propres razzias anti-immigrés en France, et Merkel se sont rendus complices de la répression anti-immigrés et du développement de la police de Salvini.

L’UE joue un rôle central dans l’intensification de la répression. Après les rapports publiés l’an dernier par CNN et Amnesty International, selon lesquels des réfugiés étaient torturés, vendus en esclavage et même assassinés dans les camps financés par l’UE en Libye, le président du Conseil européen Donald Tusk a appelé à la construction de nouveaux camps de ce type. Il les a bénignement appelés « plate-formes régionales de débarquement ». Au-delà de la Libye, ces camps pourraient être construits aussi en Tunisie et en Albanie.

Des directives pour la construction de ces camps de concentration qui auraient déjà été approuvée par les gouvernements français et italien indiquent que leur objectif serait « d’établir un cadre plus prévisible pour s’occuper de ceux qui prennent néanmoins la mer et sont sauvés au cours d’ opérations de secours ».

En dernière analyse, la bourgeoisie européenne ne peut échapper aux implications militaristes et fascistes de la campagne globale de guerre et de conflit commercial en cours. Ses mesures pour détourner des centaines de milliards d’euros vers l’armée pour tenter de fonctionner comme un rival crédible des États-Unis ou de la Chine ne feront qu’intensifier la crise sociale et politique. Dans le contexte d’une opposition populaire croissante, des grèves contre les politiques d’austérité de Macron et des manifestations contre les mesures anti-immigrés de Salvini, tous les gouvernements de l’Union européenne se dirigent rapidement vers l’extrême-droite.

(Article paru d’abord en anglais le 20 juin 2018)

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