Perspectives

Le nouveau Dred Scott: la Cour suprême confirme l’interdiction de voyager de Trump

La décision de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Trump c. Hawaï, qui confirme l'interdiction anti-musulmane de voyager du président Trump, représente un jalon infâme dans la destruction des droits démocratiques. Il a été accueilli avec mépris et indignation par des dizaines de millions d'Américains et d'innombrables millions de gens dans le monde.

Par sa faillite juridique, politique et morale, cette décision rejoint d’autres infamies comme l'arrêt Korematsu c. États-Unis, qui confirmait l'internement des Américains d’origine japonaise, l'arrêt Plessy c. Ferguson, qui sanctionnait la ségrégation raciale et l'arrêt Dred Scott c. Sandford, qui considérait que les esclaves étaient des biens mobiliers et n'avaient aucun droit.

En maintenant le pouvoir de Trump de boucler les frontières du pays, la cour a accordé au président l'autorité illimitée de dicter ses politiques fascisantes contre les migrants et les opposants politiques. Il ne fait aucun doute que la plus haute cour du pays apposera son sceau sur toutes les mesures autoritaires que Trump prévoit d'adopter y compris l'abolition de la règle du droit pour les migrants et la construction de camps de concentration.

Suite à cette décision, environ 250 millions d'habitants de l'Iran, de la Libye, de la Syrie, du Yémen, de la Somalie, de la Corée du Nord et du Venezuela resteront effectivement interdits d'entrée aux États-Unis. La décision est une victoire politique majeure pour Trump qui s'est vanté lundi de ce qu’elle lui donnait raison.

La cour a décidé que Trump avait « une large discrétion » et « un pouvoir étendu pour imposer des restrictions d'entrée », à condition qu'il croie que les étrangers entrant aux Etats-Unis « seraient contraires aux intérêts des États-Unis. »

La cour a ignoré le motif ouvertement raciste de Trump pour son interdiction. Si elle a cité son appel de 2015 à « un arrêt total et complet de l'entrée des musulmans aux États-Unis, » la cour a jugé que « l'autorité » du président à émettre « une directive de sécurité nationale régissant l'entrée des étrangers » invalidait l’affirmation du plaignant que l'interdiction violait la proscription de la discrimination religieuse par le Premier Amendement.

La majorité, de cinq contre quatre, a clairement montré qu'elle donnait au président et à l'armée le pouvoir de prendre des mesures draconiennes dans une « urgence nationale » ou « au cours d'une période de crise, » y compris « si les Etats-Unis étaient au bord de la guerre. »

Cela correspond à la logique du droit défendue par le juriste nazi Carl Schmitt, qui justifia la suspension des droits démocratiques en invoquant les exigences d’une confrontation à l’urgence de la sécurité nationale.

Sous couvert de «sécurité nationale» et de «lutte contre le terrorisme», la classe dirigeante américaine terrorise le monde depuis près de 20 ans. Le gouvernement américain a invoqué la « sécurité nationale » pour justifier le meurtre de millions de personnes en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie. Ce mantra a servi de justification tous usages pour les frappes de drones, la torture, la surveillance de masse et la mise en place d'une « armée totale » reliant les forces des guerres d'agression à l'étranger aux forces de répression de l'État à l'intérieur.

Maintenant, la «guerre contre le terrorisme» s'est métastasée en guerre contre les migrants.

La prémisse que les migrants ou les citoyens des sept pays frappés d’interdiction de voyage représentent une menace pour la population américaine est un mensonge pur et simple.

Ceux dont on bloque l’entrée aux États-Unis viennent de pays dévastés par les interventions militaires américaines comme la Somalie, la Syrie, la Libye et le Yémen, ou par un régime de sanctions impitoyable comme la Corée du Nord, le Venezuela et l’Iran. Des milliers de réfugiés se verront refuser l'asile après avoir fui la guerre, la violence et une pauvreté dont les Etats-Unis sont les principaux responsables.

Autre décision réactionnaire, la Cour suprême a renversé, mardi également, une loi californienne exigeant que les centres de grossesse de crise, qui sont anti-avortement, informent sur l'avortement. Cette décision anti-avortement a jeté le doute sur des lois similaires à Hawaï et en Illinois

La dissidence de quatre juges dans l'affaire d'interdiction de voyage, rédigée par Sonia Sotomayor qui fut nommée à la Cour suprême par Obama, prend acte des connotations racistes de l'ordonnance de Trump et la compare à l'arrêt Korematsu. Mais elle accepte le cadre de «sécurité nationale », faisant valoir qu’en tant que politique l'interdiction étendrait le risque de terrorisme et augmenterait ainsi la menace pour la « sécurité nationale ». Sotomayor a cité un mémoire écrit en opposition à l'interdiction de voyage par l'ancien secrétaire d'Etat Madeleine Albright, John Brennan, ancien directeur de la CIA et James Clapper, ancien directeur du renseignement national.

L'expérience de l'interdiction d’entrée des musulmans montre le rôle du Parti démocrate dans sa mise en œuvre finale. Trump a annoncé sa première interdiction de voyage le vendredi 27 janvier 2017, une semaine après son entrée en fonction. Des dizaines de milliers de manifestants avaient convergé aux aéroports et aux postes frontière de tout le pays et les manifestations augmentèrent encore le week-end.

Choqué par la taille et l'étendue des protestations, le Parti démocrate était alors intervenu, envoyant des représentants pour dire aux manifestants de faire confiance à ses politiciens qui introduiraient une législation et déposeraient des contestations judiciaires contre l'interdiction. Maintenant, les démocrates réagissent à l'ordonnance de mardi en appelant ceux qui s'opposent à l'interdiction à voter pour eux aux élections de mi-mandat de 2018.

Pendant tout le mandat de Trump, le Parti démocrate a œuvré pour réprimer l'opposition à la politique de droite de Trump et pour canaliser l'hostilité populaire derrière sa campagne réactionnaire anti-russe et la chasse aux sorcières néo-maccarthyste #MeToo.

Mais l'indignation engendrée par l'escalade des attaques contre les immigrés des dernières semaines a chamboulé les initiatives des démocrates et soulevé la perspective de nouvelles manifestations de masse. Il est plus difficile pour les démocrates d'accuser Vladimir Poutine des divisions sociales aux États-Unis quand le gouvernement américain enlève des enfants à leurs parents et les enferme dans des cages.

L'escalade des attaques contre les migrants est la réponse de la classe dirigeante à la croissance des grèves et des luttes sociales, comme la vague de grèves des enseignants, les actions des travailleurs de l'automobile et le vote massif pour l'autorisation de grève des travailleurs d'UPS (United Parcel Service).

Trump cherche à faire des immigrés des boucs émissaires et à détourner la colère face aux inégalités sociales et à la baisse du niveau de vie des banques et des sociétés que républicains et démocrates représentent tous deux. Il agit là de concert avec les gouvernements capitalistes du monde entier dont les attaques contre les réfugiés sont tout aussi barbares.

L'armée américaine utilise la vendetta anti-immigrés de Trump pour commencer à construire un réseau de camps de concentration pouvant abriter 120 000 personnes dont des prisons situées près des zones urbaines de Californie. Ceux-ci seront utilisés pour accueillir non seulement des migrants, mais aussi des travailleurs en grève et des dissidents politiques. C'est ainsi que la classe dirigeante se prépare à la prochaine étape de la lutte des classes.

Il ne peut y avoir de lutte viable contre les attaques dirigées contre les immigrés ni contre l’établissement d’une dictature sans rupture totale d'avec les Partis démocrate et républicain. Le danger imminent pour les droits démocratiques rend nécessaire la mobilisation de la classe ouvrière, cible centrale des mesures de l’État policier.

Face à ces dangers, un programme socialiste est nécessaire. Le Parti de l'égalité socialiste exige:

* Des frontières ouvertes. Le droit des travailleurs de vivre et de travailler où ils le veulent sans crainte de harcèlement ou d'expulsion

* Une citoyenneté pleine et immédiate pour tous les sans-papiers

* Libération immédiate de tous les migrants détenus aux États-Unis et ailleurs dans le monde

* Abolition de la Gestapo américaine – ICE (Immigration and Customs Enforcement) et CBP (Customs and Border Protection)

* La fourniture de milliers de milliards de dollars pour les services publics et des programmes d'emploi pour tous les travailleurs, indépendamment de leur statut d'immigration, grâce à une taxe de 90 pour cent sur tous les revenus de plus d'un million de dollars

* Poursuites contre Donald Trump, Jeff Sessions, Stephen Miller et Kirstjen Nielsen pour crimes contre l'humanité.

Le Parti de l'égalité socialiste (PES) appelle les travailleurs à créer des comités du lieu de travail et de quartier, indépendants des syndicats et du Parti démocrate, pour propager ces revendications et mobiliser communautés, écoles et lieux de travail pour défendre les droits des migrants et de tous les travailleurs.

Cette lutte doit être guidée par la compréhension du fait que la défense des libertés fondamentales est inséparable d'une lutte politique contre le système capitaliste – la source de la guerre, des inégalités et de la répression – et d’une lutte pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 27 juin 2018)

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