Perspectives

La guerre des classes sur les salaires

Dans un article intitulé «Les travailleurs accueillent les hausses salariales, mais les entreprises sentent la pression» («Workers Welcome Wage Gains, But Companies Feel Squeeze»), la voix des grandes entreprises américaines, le Wall Street Journal, souligne le fait que les demandes de hausses de salaires des travailleurs menacent de mettre fin au boom du marché boursier.

L'article reconnaît que l'effort des travailleurs visant à inverser les années de stagnation et de baisse des salaires est en conflit avec la course aux bénéfices des entreprises américaines. Il avoue implicitement que la classe ouvrière et la classe capitaliste sont engagées dans une guerre de classe à somme nulle.

«La hausse des salaires commence à ronger les bénéfices de certaines entreprises américaines», commence l'article. « Les entreprises, des magasins tout à un dollar aux opérateurs hôteliers aux chaînes de restauration rapide ont affirmé ces derniers mois que les coûts de main-d'œuvre plus élevés pèsent sur leurs bénéfices: un vent contraire potentiel pour l'essor des marchés boursiers qui dure depuis neuf ans, alors qu'il peine à garder son élan avant les résultats du deuxième trimestre.»

Les travailleurs savent que la croissance moyenne des salaires de 2,5% au cours des 16 derniers mois n'est pas suffisante pour faire face à la hausse du coût de la vie. Mais en ce qui concerne le Wall Street Journal, cette légère augmentation est une «menace».

L'article cite un rapport de Goldman Sachs selon lequel une augmentation de 1 % des coûts de la main-d'œuvre diminue les bénéfices des entreprises de 0,8 %. En d'autres termes, le boom des profits des entreprises dépend du maintien de bas salaires et de l'intensification de l'exploitation de la classe ouvrière.

L'article fait suite à la publication du compte-rendu de la réunion de juin de la Réserve fédérale américaine (la Fed), montrant que la préoccupation centrale des banquiers centraux du pays est le danger d'une poussée de l'inflation, par laquelle ils signifient, surtout, les salaires. Le Journal a rapporté mercredi que la majorité des chefs des banques régionales de la Fed sont maintenant pour une hausse des taux d'intérêt à un rythme plus rapide. Le but de ce changement de politique est de ralentir la croissance économique et le taux d'embauche afin de prévenir les signes d'une poussée salariale de la classe ouvrière américaine.

Au cours de la décennie qui a suivi la crise financière de 2007-2008, la classe capitaliste a mené de puissantes attaques contre la position sociale de la classe ouvrière. En conséquence, la classe ouvrière aux États-Unis, le «pays le plus riche» du monde, est confrontée à des difficultés économiques sans précédent depuis les années 1930.

Tandis que les bénéfices des entreprises grimpent à de nouveaux sommets, la réalité de la vie pour des dizaines de millions de travailleurs est définie par l'augmentation des indices de la misère sociale: l'abus d'opioïdes, l'augmentation des taux de mortalité maternelle, les conditions de travail épuisantes et dangereuses, la diminution de l'espérance de vie, les infrastructures qui se dégradent et la montagne de dettes liées au prêt étudiant.

C'est un phénomène international. L'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a récemment publié son Rapport sur les perspectives mondiales de l'emploi 2018: «À la fin de 2017, la croissance des salaires nominaux dans la zone OCDE n'était que la moitié de ce qu'elle était juste avant la Grande Récession pour des taux de chômage équivalents». En conséquence, «la pauvreté a augmenté parmi la population en âge de travailler».

Non seulement les salaires n'ont pas suivi la hausse des bénéfices des entreprises, mais ils ont aussi pris du retard par rapport à la croissance de la productivité. Le rapport de l'OCDE note que «si les salaires médians réels avaient parfaitement suivi la croissance de la productivité entre1995 et 2014, ils auraient été supérieurs de 13% à la fin de la période».

Les classes dirigeantes des États-Unis et de l'Europe ont profité de la crise financière et du chômage de masse qui en a résulté pour baisser les salaires, augmenter les bénéfices des entreprises et intensifier l'exploitation. Cela s'est poursuivi au cours de la période la plus récente malgré des taux de chômage affichés inférieurs.

De 1995 à 2013, la part de la main-d'œuvre totale dans le produit intérieur brut de l'OCDE a diminué de 3,5 points de pourcentage, un chiffre qui représente un transfert de richesse égale à environ 1890 milliards de dollars par année à la fin de cette période.

Aux États-Unis, la part du travail dans le revenu national non agricole est passée de 66,4% en 2000 à 58,9% en 2018: un transfert de richesse qui représentera 1400 milliards de dollars en 2018 seulement.

Ces changements énormes ne sont pas le produit de processus économiques «accidentels», mais de politiques délibérées adoptées par les classes dirigeantes des grandes puissances financières aux États-Unis et en Europe. À partir de 2008, la Réserve fédérale américaine a commencé à injecter des centaines de milliards de dollars dans les coffres des banques et des sociétés, en maintenant les taux d'intérêt à un niveau proche de zéro et en gonflant le marché boursier.

L'administration Obama, après avoir oeuvré avec l'administration Bush pour superviser le renflouement des banques, a mis en place une stratégie visant à réduire les salaires et les avantages sociaux des travailleurs. Dans le plan de sauvetage de 2009, la Maison-Blanche d'Obama, avec le soutien total du syndicat United Auto Workers (UAW - Travailleurs unis de l'automobile), a imposé une baisse de salaire globale de 50% à tous les nouveaux employés.

Avec l’adoption d'Obamacare en 2010, les démocrates ont offert des incitatifs aux entreprises pour augmenter les coûts de soins de santé des travailleurs et réduire les prestations, ou pour éliminer complètement les soins de santé fournis par l'employeur. La faillite de Detroit en 2013-2014 a marqué une étape importante dans l'attaque contre les retraites des employés de la fonction publique et les régimes de soins de santé.

Les emplois qui ont été ajoutés après l'effondrement du marché étaient majoritairement à temps partiel et peu rémunérés. Comme la Réserve fédérale de San Francisco l'a reconnu la semaine dernière, «les taux élevés de travail à temps partiel involontaire sont là pour de bon». Les inégalités ont atteint des niveaux sans précédent: la richesse des trois personnes les plus riches de l'Amérique est maintenant égale à la valeur nette de la moitié des plus pauvres de la population américaine.

Ce qui a rendu possible cette contre-révolution sociale, c'est le musellement de la lutte des classes, dans laquelle les syndicats ont joué le rôle décisif. Le niveau de grèves aux États-Unis au cours de la dernière décennie était le plus bas depuis que le gouvernement a commencé à en conserver la trace en 1947.

L'explosion de grèves, dont principalement les débrayages des enseignants en Virginie-Occidentale, en Oklahoma et en Arizona, et le fait que les débrayages ont été lancés à l'initiative des enseignants de la base, et non des syndicats, ont effrayé la classe dirigeante, l'incitant à prendre des mesures économiques pour saper la combativité des travailleurs.

La contre-révolution sociale est mondiale. Partout en Europe, les gouvernements se concurrencent fébrilement pour mettre en œuvre des mesures visant à éliminer ce qui reste de leurs filets de sécurité sociale: les coupes dans le Service national de la santé et le logement public (HLM) en Grande-Bretagne, l'adoption de lois de travail punitives et les attaques contre les cheminots en France, les nouvelles mesures d'austérité en Allemagne et les régimes d'austérité dictés par l'UE en Espagne, en Italie et en Grèce.

Les travailleurs partout dans le monde, de plus en plus connectés par les moyens internationaux de communications et d'approvisionnement, revendiquent des augmentations salariales substantielles. Aux États-Unis, les enseignants de l'Arizona ont demandé des augmentations de salaire de 20.000$. En Allemagne, les métallurgistes ont revendiqué une augmentation de salaire de 6% pour 3,9 millions de travailleurs. En France, les cheminots restent en grève contre les attaques sur les salaires et les avantages sociaux. Les travailleurs du pétrole norvégiens ont entamé une grève mardi pour exiger une hausse de salaire de 8%.

Au Brésil et en Chine, des camionneurs sont en grève et exigent des augmentations de salaire considérables, et des camionneurs en Argentine exigent 30 % d'augmentation. En Afrique du Sud, des milliers de travailleurs des services publics ont voté vendredi pour rejeter une proposition de leur employeur, Eskom, d'une augmentation de salaire de 7 %. Les travailleurs du vêtement au Bangladesh se mobilisent pour réclamer le paiement du salaire minimum.

La préoccupation du Wall Street Journal est que toute poussée des salaires fasse tomber le marché boursier comme un château de cartes. Mais à chaque grève et protestation, la question fondamentale posée à la classe ouvrière est la suivante: qui décide de la répartition de la richesse mondiale?

Le Parti de l'égalité socialiste appelle à l'expropriation des grandes entreprises et des banques et à leur transformation en services publics.

Les immenses capacités économiques et technologiques actuellement utilisées pour exploiter les travailleurs et accroître la richesse de l'oligarchie financière doivent être transformées en outils de réorganisation de l'économie mondiale pour subvenir aux besoins humains. Les milliers de milliards de dollars prélevés sur les salaires et les avantages sociaux et canalisés dans le marché boursier doivent être redirigés dans des programmes de travaux publics afin de fournir des logements, des soins de santé, l'éducation, une bonne nutrition, de l'eau potable et l'accès à la culture pour des milliards de personnes dans le monde.

Cela nécessite le renversement révolutionnaire du capitalisme et l'établissement du socialisme.

(Article paru en anglais le 12 juillet 2018)

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