«L'antifascisme» de Podemos: une couverture pour le gouvernement du Parti socialiste espagnol anti-ouvrier

Le nouveau gouvernement minoritaire du Parti socialiste (PSOE) espagnol, soutenu par le parti de pseudo-gauche Podemos, a annoncé une série de mesures symboliques de «mémoire historique» visant le régime fasciste espagnol du général Francisco Franco de 1939-1977.

Les restes de Franco doivent être enlevés d'un mausolée d'État dans El Valle de los Caídos (la Vallée de ceux qui sont tombés), qui deviendrait un mémorial aux victimes de Franco dans la guerre civile de 1936-1939. Le ministère de l'Intérieur, dirigé par l'ancien juge conservateur Fernando Grande, a également ordonné une enquête sur des prix de mérite de la police donnés à Antonio González Pacheco, un tortionnaire notoire franquiste surnommé «Billy the Kid», actuellement âgé de 71 ans. Les quatre médailles de Pacheco augmentent sa retraite de 50 %.

Les prétentions «antifascistes» du PSOE et Podemos sont une fraude politique. Le nouveau gouvernement reprend la politique d'austérité et militariste du précédent gouvernement de droite du Parti populaire (PP), un descendant politique du régime de Franco. Et la semaine dernière, toute l'Union européenne, y compris le gouvernement PSOE, a adopté des politiques antiréfugiées exigées par les gouvernements d'extrême droite en Italie et en Autriche pour empêcher l'entrée des réfugiés en les détenant dans un vaste réseau de camps de prisonniers.

Cette politique fascisante dément les prétentions anti-franquistes du PSOE et de Podemos. Après avoir laissé les réformes du travail du PP et le budget d'austérité de 2018 intacts lors de son entrée en fonction, le PSOE discute actuellement d'autres coupes pour le budget 2019. Les premières estimations sont que le PSOE pourrait imposer environ 7 milliards d'euros de coupes sociales. Le PSOE prévoit toujours doubler les dépenses militaires espagnoles comme l’avait prévu le PP et il a approuvé les plans de l'Initiative européenne d'intervention de l'UE pour une armée d'outre-mer commune.

Le nouveau gouvernement intensifie les attaques contre les droits démocratiques. Non seulement il continue de détenir les prisonniers politiques catalans après le référendum sur l'indépendance de l'an dernier, mais il maintient la loi du PP sur la sécurité publique, connue comme la «loi bâillon». Elle limite la liberté d'expression, interdit les rassemblements de masse et impose des amendes pour des protestations et des commentaires sur les médias sociaux. Ceci a conduit à l'imposition d'amendes de 48.000 euros contre des utilisateurs de médias sociaux accusés d’avoir manqué de respect aux forces de sécurité de l'État.

La promotion par Podemos du nouveau gouvernement PSOE en tant que force anti-franquiste est une tentative cynique de dissimuler la menace d'un régime autoritaire posée par l'UE et le PSOE au 21e siècle au moyen de mensonges sur le fascisme au 20e siècle.

Pablo Echenique, secrétaire de l'Organisation de Podemos, a déclaré: «Nous croyons que le gouvernement va dans la bonne direction, mais nous avons beaucoup à faire en ce qui concerne la mémoire historique, car très peu a été fait ces dernières années.»

Il a exigé que le PSOE «enlève les médailles de “Billy the Kid” et le traduise en justice». » Le PSOE «devrait également garantir que les victimes du franquisme aient accès au système de justice et puissent agir contre les mauvais traitements systématiques subis par ceux qui ont lutté pour la démocratie et ont souffert dans notre pays».

Si les tortionnaires fascistes vivent leur retraite avec de grasses pensions, cela est surtout dû au rôle réactionnaire du PSOE et des précurseurs staliniens et pablistes de Podemos.

Face aux luttes révolutionnaires de masse de la classe ouvrière espagnole dans les années 1970, ils ont défendu le régime capitaliste et mis en place une amnistie générale pour les crimes fascistes. Après la Transition au régime parlementaire de 1978, cette amnistie fut appliquée par le gouvernement libéral du premier ministre Felipe Gonzalez, de 1982 à 1996, qui supervisa la promotion aux plus hauts postes de nombreux juges, policiers et fonctionnaires franquistes.

À chaque étape, les prétentions «antifascistes» du PSOE et de Podemos se heurtent aux liens profonds et historiques entre leur politique capitaliste et l'ancien régime de Franco. Podemos a déposé une résolution non contraignante au parlement appelant le gouvernement à «promouvoir toutes les actions appropriées [...] pour l'enquête et la poursuite des crimes [… commis] pendant la dictature de Franco» et pour le retrait des «distinctions, récompenses et médailles» accordées aux tortionnaires de la police de Franco.

La résolution demande au PSOE de «modifier» la Loi d'amnistie de 1977 proposée par le PSOE et le Parti communiste espagnol stalinien (PCE) et adoptée par le régime franquiste. Podemos demande vaguement de changer la loi pour que les tribunaux espagnols puissent

«enquêter, poursuivre et imposer des sanctions aux personnes responsables d'avoir commis le crime de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre».

En même temps, cependant, les dirigeants des différentes factions de Podemos insistent sur le fait qu'on ne devrait pas imposer de punition sérieuse aux criminels franquistes. Après avoir déposé la résolution, le secrétaire général de Podemos Pablo Iglesias a déclaré: «Notre pays a une tâche en attente avec les victimes de Franco et cette [résolution] est simplement pour leur rendre justice.» Il a souligné que la justice pour les victimes n'a rien à voir avec la vengeance ou l'ouverture de vieilles blessures», mais avec «l'adaptation de notre pays à l'Europe».

Miguel Urbán – qui représente Podemos au Parlement européen et est membre de la faction pabliste du parti liée au Nouveau Parti anticapitaliste en France, est d'accord et a dit qu' «il ne s'agit pas seulement de gestes et de la mémoire, il s'agit de construire la démocratie et la justice.»

Un gouvernement PSOE soutenu par Podemos va démontrer qu’il est un ennemi acharné de la classe ouvrière, quelles que soient les mesures symboliques «antifranquistes» qu'il adopte. Derrière les affirmations insipides selon lesquelles la lutte contre le fascisme est démocratique, plutôt qu'une lutte pour le pouvoir socialiste dirigé par la classe ouvrière, il y a des décennies d'attaques contre-révolutionnaires staliniennes et pablistes contre le trotskisme. Survenant au moment où l'UE et le PSOE mettent en place leur vaste réseau de camps de concentration, il s'agit d'un avertissement urgent pour les travailleurs à propos des partis de pseudo-gauche tels que Podemos.

Ils ne veulent pas s'opposer à l'austérité de l'UE, mais plutôt se ranger du côté des guerres et des attaques d'extrême droite sur les droits démocratiques. Ils sont indissolublement liés aux tendances néofascistes par leurs liens historiques avec l'élite dirigeante européenne et l'appareil d'État. Cela souligne la nécessité urgente de construire un parti, une section espagnole du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), capable de mobiliser la grande opposition au capitalisme chez les travailleurs et lui donner une perspective socialiste et révolutionnaire.

Iglesias, un ancien dirigeant des jeunesses staliniennes, veut critiquer le franquisme, mais refuse

d'«ouvrir de vieilles blessures». Il utilise le slogan dont s’est servi le PP pour s'opposer à toute discussion des crimes du fascisme, précisément parce que toute discussion sérieuse aujourd'hui révèle que les prétentions «antifascistes» des tendances staliniennes et pablistes sont frauduleuses.

Leurs liens proches avec le régime franquiste ont émergé au cours de décennies de politique contre-révolutionnaire stalinienne et pabliste dans la période après la Seconde Guerre mondiale. Après avoir joué le rôle clé dans la répression de la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière dans les mouvements de résistance antifascistes se battant en Grèce, en Italie et en France, le Kremlin et ses alliés espagnols d'après-guerre ont soutenu le capitalisme européen. Cela comprenait, en Espagne, le régime de Franco.

En 1956, le PCE a publié un communiqué annonçant qu'il était prêt à «travailler avec toutes les forces politiques» favorisant la «réconciliation nationale». Sur cette base, il a fait appel à du soutien à l'intérieur de l'Église catholique et des forces de police et de l'armée de Franco pour

«le changement pacifique» en Espagne. En 1974, cette politique a été rebaptisée «Pacte pour la liberté», ce qui a permis au PCE de forger de nouvelles alliances non seulement avec le PSOE, mais aussi avec le Parti carliste royaliste et la secte catholique Opus Dei.

Ceci a révélé la faillite des forces pablistes qui s'étaient séparées du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) en 1953, action basée sur la perspective selon laquelle les staliniens seraient en fin de compte «forcés de projeter une orientation révolutionnaire».

Les forces petites-bourgeoises du mouvement pabliste, en se séparant du CIQI, renonçaient au marxisme et à la politique révolutionnaire. Au lieu de cela, ils ont protégé le flanc gauche des staliniens tandis que le PCE, le PSOE et les franquistes se réunissaient dans une alliance politique contre le danger de la révolution prolétarienne en Espagne.

Pour le PCE et les pablistes, la chute du régime franquiste en 1978 allait se faire par la réconciliation avec les fascistes, non pas par le renversement du capitalisme et de la classe dirigeante fasciste. Sur cette base, les staliniens ont cherché une alliance avec le PSOE, ce que Podemos perpétue à ce jour.

Le PSOE a été refondé dans les années 1970 sous la direction de Felipe González en tant que parti capitaliste explicitement hostile au marxisme, fonctionnant sur une perspective de collaboration avec le régime de Franco. Avec l'aide du département d'État américain et des sociaux-démocrates allemands et français, les «rénovateurs» de González ont évincé l'ancienne direction au Congrès de Suresnes du PSOE en 1974. À mesure que les grèves atteignaient des niveaux records en Espagne et en Europe, le PSOE a entrepris de travailler avec le PCE afin de bloquer une prise du pouvoir par les travailleurs.

En janvier 1977, avant les premières élections démocratiques, González a rencontré le premier ministre Adolfo Suárez, ancien secrétaire général du Mouvement national franquiste. Selon le dirigeant nationaliste basque Julio Jáuregui, qui a assisté à la réunion, ils ont exigé que le gouvernement «accorde une amnistie pour tous les actes et crimes d'intention politique entre le 18 juillet 1936 et le 15 décembre 1976».

Ils ont soutenu que l'amnistie pour le fascisme du PSOE soit institutionnalisée. Un «grand acte solennel était nécessaire pour pardonner et oublier tous les crimes et atrocités commis par les deux parties de la guerre civile, avant, pendant et après, jusqu'à ce jour», dit Jáuregi.

Quelques jours avant cette rencontre, Gonzalez avait expliqué au chancelier allemand Helmut Schmidt qu’il fallait que le gouvernement accorde «une amnistie totale comme moyen de réconciliation».

En même temps, le PCE émergeait en tant que fervent défenseur de l'amnistie pour le fascisme et de la Loi d'amnistie en particulier. Marcelino Camacho, dirigeant des CC.OO., syndicat dominé par le PCE, et député du PCE, a déclaré: «Nous voulons ouvrir la porte à la paix et à la liberté. Nous voulons terminer un chapitre et en commencer un nouveau. Nous, communistes qui avons été si grièvement blessés et qui avons tant souffert, avons néanmoins enterré nos morts et nos rancunes. Nous sommes déterminés à avancer fermement sur cette voie de la liberté, sur cette voie de la paix et du progrès.»

Quelques semaines avant l'adoption de la Loi d'amnistie, Santiago Carrillo, chef du PCE depuis des décennies, a déclaré lors d'un rassemblement que le PCE voulait «faire une croix sur la guerre civile une fois pour toutes» afin de «surmonter définitivement la division des Espagnols entre vainqueurs et vaincus de la guerre civile».

À ce jour, la direction de Podemos salue Carrillo, le meurtrier des révolutionnaires pendant la Guerre civile espagnole, qui a défendu les infâmes Procès de Moscou au moyen desquels Staline a liquidé les vieux bolcheviks et qui a aidé Staline à organiser l'assassinat de Léon Trotsky.

Comme l'écrivait Iglesias dans la notice nécrologique de Carrillo dans Público en 2012, «Santiago pouvait avoir beaucoup de défauts et il est certain qu'il était responsable de décisions ignobles contre les autres communistes, mais il n'a jamais été médiocre. Dans ma vie j'ai eu l'occasion de parler avec des personnalités politiques importantes que je ne peux pas mentionner ici, mais aucun d'entre eux ne m'a fait sentir l'honneur et le privilège historique que j'ai ressenti quand j'ai rencontré Santiago. Personne n'exerçait la dignité de secrétaire général à un si haut degré. Malgré tout, Santiago était l'un des nôtres. Maintenant et pour toujours.»

Le soutien d'Iglesias à Carrillo, tout comme son soutien à un gouvernement de droite du PSOE qui poursuit la politique du PP, est un signe avant-coureur du rôle que sera appelé à jouer le parti.

Une crise sans précédent du capitalisme européen et espagnol est en train de rapidement éradiquer la distinction entre les ex-franquistes, les sociaux-démocrates et leurs alliés de pseudo-gauche. Podemos est un parti petit-bourgeois. Il va s’avérer profondément et violemment hostile aux véritables mouvements d'opposition qui se préparent au sein de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 9 juillet 2018)

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