L’appareil judiciaire vise les jeunes violentés par Alexandre Benalla

Un épisode du «scandale Benalla» qui secoue depuis une semaine la présidence d'Emmanuel Macron jette une lumière crue sur les développements politiques sous-tendant cette affaire.

Le procureur de Paris François Molins a envoyé mercredi une lettre au responsable du service de «Sécurité de proximité» (DSAP) de la préfecture de Paris mettant en cause le fait que le jeune couple agressé violemment par Benalla, lors d'un rassemblement en marge du 1er Mai, n'avait pas été poursuivi pour «violences envers la police». Mercredi soir, le Parquet de Paris a ouvert une enquête pour violence contre des policiers lors des événements de la Place de la Contrescarpe à Paris, le 1er Mai au soir.

Dans le courrier, le procureur demande au directeur de la DSDAP, qui dépend de la Préfecture de Paris, de «préciser les raisons pour lesquelles les deux personnes appréhendées place de la Contrescarpe n’avaient pas été mises en cause pour les faits commis contre les forces de l’ordre ce jour-là».

Les deux jeunes gens, un jeune grec, cuisinier à Paris et sa compagne française, apparaissent sur des vidéos montrant le proche conseiller du président Emmanuel Macron en train de les violenter l'un et l'autre avant de les faire arrêter par les CRS. Alors que ces vidéos circulaient déjà depuis le 2 mai sur le web, l'affaire avait été déclenchée seulement par Le Monde le 18 juillet, qui avait nommé Benalla, déclenchant ainsi l’affaire.

Les deux jeunes gens avaient été arrêtés puis conduits au commissariat dont ils sont ressortis libres dans la nuit après vérification d'identité. Le jeune homme eu une interruption de travail de six jours après avoir été battu par la police. Une trentaine de personnes avaient été interpellées ce jour-là sur la place de la Contrescarpe où devait se tenir un «apéro convivial», le soir du 1er Mai, organisé par le Comité d'action inter-lycéen; l’appel avait été relayé par le syndicat étudiant UNEF et La France Insoumise (LFI).

L'avocat du couple avait jugé qu'ils n'avaient pas été poursuivis parce que des poursuites auraient entraîné un témoignage de l'auteur de leur arrestation, Benalla, ce qui aurait déclenché le scandale bien plus tôt, mais il a insisté pour dire qu'ils n'avaient rien à voir avec la manifestation et n'avaient pas l’intention d'agresser la police.

Selon ses déclarations, les deux jeunes gens étaient sortis «prendre un verre» quand ils se sont retrouvés confrontés à une manifestation sur la place où un «apéro militant» devenait agité. «Mes clients ne font pas partie du mouvement des Black Blocs et n'étaient pas non plus des manifestants. (...) En aucun cas ils n'étaient venus se battre avec les forces de l'ordre», a-t-il déclaré lundi.

Ses clients reconnaissent avoir eu «une réaction un peu rapide à la hauteur de leur incompréhension» après une charge brutale des CRS, a-t-il ajouté. «Ils ont jeté ce qu'ils avaient sous la main. Pour mon client, c'était quelque chose comme une carafe d'eau. Elle, elle ne se s'en souvient plus», a relaté l'avocat. Ce qui avait surtout été reproché à la jeune fille ce fut «un bras d'honneur» en direction des CRS qui venaient de charger les gens sur la place. Le jeune homme lui, s’est surtout fait remarquer parce qu’il pointait les CRS du doigt.

Lors de son audition devant les députés le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, avait lui-même déclaré qu’il «n’y avait pas beaucoup de choses à leur reprocher». Les deux jeunes gens ont, suite à la révélation de leur identité après que la vidéo fut postée partout, montrant Benalla en action, décidé de porter plainte pour «violences policières».

Une bonne partie des gens arrêtés ce jour-là et qu'on a fait passer devant les tribunaux en «comparution immédiate» sont, selon les compte-rendus des séances dans la presse, clairement des gens qui n'avaient rien à voir avec les violences, «une foule de badauds» selon le mot d'un avocat présent aux premiers procès et qui s’étonnait de l'absence complète de gens du Black Bloc.

Sur les événements de la Place de la Contrescarpe, un témoin oculaire cité par Le Monde explique: «J’ai remarqué sur Internet qu’il y avait un “apéro post-manif” qui était prévu place de la Contrescarpe. J’ai voulu voir la suite de la manif car je soutiens les demandes des manifestants. Je me suis installée en terrasse du Café des Arts deux heures avant le début prévu de l’apéro».

«J’ai vu des jeunes s’installer, de façon entièrement paisible, sans déranger qui que ce soit. Ensuite sont arrivés dix à vingt CRS pour boucler la place, suivis d’une bonne cinquantaine d’autres. Les manifestants qui sont arrivés ensuite se sont retrouvés bloqués à chaque entrée de la place, interdits d’entrée, séparés de ceux qui s’étaient retrouvés au préalable au milieu, et c’est cela qui a provoqué la confrontation», poursuit-t-elle.

«Quand la situation a dégénéré, je me suis levée et j’ai reculé un peu dans la rue Lacépède avant de me rapprocher à nouveau quand j’ai vu la jeune femme se faire violenter et le jeune homme se faire tabasser par la suite. J’ai trouvé ce comportement totalement inadmissible, et ce avant de savoir qu’il s’agissait d’une personne qui ne faisait même pas partie de la police.»

Des dizaines de personnes arrêtées ce jour là l'ont été soit parce qu'elles exerçaient un droit démocratique fondamental, celui de faire grève ce jour-là et d’être dans une manifestation pour faire entendre leurs revendications et soutenir des travailleurs en grève, un droit conquis au prix de lourds sacrifices, notamment dans la lutte contre le nazisme et le régime de Vichy. La violence policière déchaînée ce jour-là sur ordre du gouvernement Macron est une attaque ouverte de ce droit.

La situation créée à la Place de la Contrescarpe relève clairement des actes de la police qui en a bloqué l’accès et a encerclé ceux qui s’y trouvaient, mais le Parquet de Paris lui, demande que soient poursuivis ceux qui ont été victimes de cette nasse et étaient clairement indignés de la brutalité et de l’arbitraire des CRS.

Le message politique inquiétant envoyé par ce courrier dans le contexte de l'affaire Benalla, est que l'appareil policier, qui vote pour bonne moitié pour les néofascistes de l'ex-Front National peut tout se permettre, que toute marque publique d'indignation et toute protestation devant l'arbitraire et la violence policière est illégale et que l'appareil judiciaire soutiendra la police quoiqu'elle fasse.

Un tel message ne peut vouloir dire qu'une chose: contre l'opposition à la casse sociale massive de Macron et à ses préparatifs de guerre la priorité des priorités est la construction d'un État policier.

Cela jette également une lumière crue sur l'opération politique menée par les partis de la soi-disant opposition au parlement dans l'affaire Benalla, avec l'assistance fébrile des médias patronaux. Tous les partis participant à la Commission d’enquête parlementaire, la France insoumise de Mélenchon en tête, manœuvrent pour mettre Macron sous pression sur la base d'un soutien unanime à la répression policière contre les travailleurs.

Il faut que la classe ouvrière se mobilise politiquement pour défendre ses droits démocratiques les plus élémentaires, non seulement contre le gouvernement Macron et ses cohortes, mais encore contre les partis politique représentés à l’assemblée qui défendent, pseudo-gauche en tête et toutes tendances confondues, l’établissement d’un État policier.

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