Les États-Unis lancent une guerre économique contre l’Iran

Lundi, Donald Trump a signé un décret présidentiel qui impose à partir d’hier des sanctions économiques contre l’Iran qui étaient suspendues depuis la conclusion de l’accord nucléaire iranien en 2016. Washington exige aussi que les autres pays imposent ces sanctions illégales.

Celles-ci vont de pair avec une montée des menaces militaires américaines contre Téhéran. Trump a tweeté en juillet que l’Iran « SUBIRA DES CONSEQUENCES QUE PEU DE PAYS ONT SUBIES DANS L’HISTOIRE » si jamais il « MENACE » les États-Unis. Le Pentagone a lancé de multiples menaces contre l’Iran, déguisées en avertissements que Washington utilisera la force si nécessaire pour garantir « la liberté de navigation » dans le détroit de Hormuz, par lequel circule la plupart du pétrole iranien et du Golfe persique.

À la différence de l’Union européenne (UE), les États-Unis. sous Obama ont refusé d’annuler les sanctions euro-américaines imposées contre l’Iran entre 2011 et 2015. Ils les ont seulement suspendues. À l’époque Washington arguait que la menace d’un « retour » aux sanctions servait à garantir que l’Iran coopérerait avec l’accord nucléaire.

Mais finalement c’est Washington qui a foulé aux pieds l’accord iranien. Trump est « revenu » aux sanctions contre l’Iran, même après que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), les cinq autres puissances qui avaient négocié l’accord, et même le département d’État américain ont tous certifié que Téhéran s’était plié à toutes les exigences de l’accord nucléaire.

En mai, en annonçant qu’il torpillerait l’accord, Trump a néanmoins avancé l’argument que c’était l’Iran qui violait « l’esprit » de l’accord. Hier, il a abandonné cet artifice politique. Il a déclaré que l’accord ne correspondait pas aux « intérêts de sécurité nationale » des États-Unis, et que Washington mènerait une guerre économique contre l’Iran, en « imposant la pression économique maximale », pour que Téhéran « renégocie » l’accord.

Trump et les faucons anti-iraniens qu’il a installé dans son gouvernement, le conseiller de sécurité nationale John Bolton et le secrétaire d’État Mike Pompeo, exigent dans les faits que Téhéran mène un désarmement unilatéral, renonce à jamais à développer un programme nucléaire civile, et accepte la domination américaine du Moyen-Orient. Ils exigent que l’Iran annule son programme de missiles balistiques ; autorise l’AIEA à mener des inspections n’importe où en Iran, à tout moment ; évacue ses forces de Syrie et mette un terme à ses activités « mauvaises » ; et cesse tout soutien logistique aux forces qui font obstacle à la politique extérieure américaine, y compris Hezbollah, Hamas et les Houthis au Yémen.

En signant le décret hier, Trump a menacé le reste du monde, y compris ses prétendus « alliés » européens et asiatiques. Il a dit que ceux qui ne se plieraient pas aux sanctions et qui continueraient à investir et à commercer avec l’Iran « encourent des conséquences sérieuses ».

Selon la législation américaine, les sociétés et les pays qui ne respectent pas les sanctions unilatérales et illégales contre l’Iran encourent des amendes, l’exclusion du marché américain, voire l’exclusion du système financier international dominé par les États-Unis.

Les sanctions bloquent le commerce d’avions de ligne, de voitures et de pièces détachées, d’or et d’autres métaux précieux, de charbon, d’aluminium et d’acier, de tapis et de pistaches.

Le décret d’hier fournit aussi un prétexte dans le cadre de la législation américaine pour imposer des sanctions même plus brutales contre l’Iran à compter du 5 novembre. Elles visent les transactions de la banque centrale iranienne, afin d’étrangler le commerce extérieur iranien, et les exportations iraniennes de pétrole, qui financent l’État iranien.

Le Japon, la Corée du Sud et l’Inde ont tous demandé d’être exemptés des sanctions pétrolières, comme ils l’ont été sous Obama, afin de réduire mais pas d’éliminer leurs importations de pétrole iranien. Mais Trump refuse de faire des exceptions. Washington insiste pour qu’ils cessent ces importations avant le mois de novembre, afin d’étrangler toutes les exportations iraniennes de pétrole à cette date.

Selon le New York Times, « des hauts responsables » américains se sont vantés de l’effet que leurs menaces de sanctions a déjà sur l’économie iranienne lors d’une audioconférence avec des journalistes lundi. La devise iranienne, le rial, s’est effondrée depuis la répudiation par Trump de l’accord nucléaire en mai, et a perdu la moitié de sa valeur contre le dollar depuis avril.

La crise monte en Iran

Face à des manifestations par des couches sociales disparates – chômeurs, enseignants mobilisés contre les bas salaires, milieux plus aisés fâchés par les contrôles monétaires – le gouvernement iranien a limogé le chef de la banque centrale la semaine dernière et, dimanche, a abandonné sa tentative de stabiliser le cours du rial.

Lors d’une allocution télévisée lundi soir, le président Hassan Rouhani a appelé à « l’unité » tout en évoquant le danger de dislocation économique. Il a traité de subterfuge et de provocation l’offre récente par Trump de « pourparlers » avec les dirigeants de la République islamique, et ajouté que la précondition pour des négociations sérieuses serait que Washington mette fin aux sanctions et revienne à l’accord nucléaire approuvé par l’ONU.

« Si on poignarde quelqu’un et qu’on dit ensuite qu’ont veut des pourparlers, la première chose à faire est d’enlever le poignard », a dit Rouhani.

« Nous sommes toujours partisans de la diplomatie et des négociations », a ajouté Rouhani, qui a pris le pouvoir en 2013 en prônant un rapprochement avec Washington. « Mais pour négocier, il faut de l’honnêteté. L’appel de Trump à des négociations directes est destiné à un public national avant les élections […] et vise à créer le chaos en Iran. »

La volonté américaine d’écraser l’économie iranienne est à la fois une escalade d’une campagne impérialiste longue de 4 décennies pour faire revenir l’Iran à la servitude néocoloniale qu’il a subie avant la révolution de 1979, et la continuation des guerres ruineuses que Washington a imposées au Moyen-Orient depuis 1991 et la dissolution stalinienne de l’URSS pour tenter de dominer la région pétrolière la plus importante du monde.

Les gouvernements républicains et démocrates ont mené ces guerres et tenté de renverser le régime iranien. Les deux partis prônent aussi aujourd’hui une position plus agressive contre l’Iran.

Toutefois, de larges sections de l’appareil du renseignement des États-Unis et du Parti démocrate critiquent le sabotage par Trump de l’accord nucléaire iranien. Ils trouvent que les intérêts de l’impérialisme américains seraient mieux servis s’ils concentraient leur offensive contre la Russie et se préparaient à un conflit avec la Chine, et qu’une escalade plus limitée contre l’Iran, notamment en Syrie, suffirait.

L’onde de choc géopolitique

En tout cas, l’imposition de sanctions à l’Iran a accéléré la spirale américaine vers un affrontement militaire avec l’Iran et engagé le prestige et le pouvoir géopolitiques des États-Unis.

Différentes grandes puissances doivent décident comment réagir aux tentatives de Washington de les forcer à imposer des sanctions contre l’Iran en violation de l’accord qu’elles ont négocié, ainsi qu’au risque d’un conflit militaire entre l’Iran et les États-Unis. La domination d’une large part des réserves mondiales de pétrole et de la croisée stratégique entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique est en jeu. Une guerre embraserait le Moyen-Orient et menacerait de provoquer une conflagration mondiale.

Hier les ministres allemand, français et britannique des affaires étrangères ainsi que la chef de la politique extérieure de l’UE, Federica Mogherini, ont réaffirmé leur soutien à l’accord nucléaire iranien. Ils ont publié une déclaration qui affirme que l’accord « arrivait à son but, qui était d’assurer que le programme [nucléaire] iranien demeurerait entièrement pacifique » et promet de « protéger les acteurs économiques européens engagés dans des activités légitimes en Iran. »

Lundi, l’UE a aussi fait savoir qu’elle activerait une loi anti-sanctions qui interdit aux sociétés européennes de se plier aux sanctions américaines extraterritoriales, et aux tribunaux européens d’appliquer les pénalités imposées par ces sanctions.

Malgré cette posture, un grand nombre de grandes sociétés européennes étroitement liées au pouvoir, dont le pétrolier Total, l’armateur Maersk, et les constructeurs automobiles Peugeot et Daimler ont annoncé qu’ils quitteraient le marché iranien pour éviter les sanctions américaines. Il y a trois ans, la banque BNP Paribas a payé une amende de 8,9 milliards de dollars parce qu’elle avait violé les sanctions contre l’Iran et Cuba.

Les actions de Washington vont sans aucun doute exacerber les tensions entre les États-Unis. et l’Europe et accélérer les tentatives des puissances impérialistes européennes de s’armer afin de faire valoir leurs propres intérêts impérialistes indépendamment de, voire contre, Washington.

La Chine est le premier client de l’Iran pour le pétrole. Déjà engagée dans une guerre commerciale avec Washington, elle a fait savoir qu’elle ne réduira pas ses importations de pétrole depuis l’Iran. Selon l’agence Bloomberg, Beijing a seulement promis aux États-Unis. la semaine dernière de ne pas augmenter ses achats de pétrole iranien, alors que les autres pays réduisent les leurs comme l’exige Washington.

La Russie a dénoncé les États-Unis. pour avoir répudié l’accord iranien, et les critiques américains de Trump se plaignent qu’il renforce les liens de Téhéran avec Moscou et Beijing. Mais le Kremlin a aussi fait savoir qu’il serait prêt à aider les forces américaines et israéliennes à forces les troupes iraniennes à quitter la Syrie, même en donnant le feu vert à des frappes israéliennes sur les Iraniens, cela pour tenter d’arriver à son propre accord avec Washington.

(Article original anglais paru le 7 août 2018)

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