Perspectives

Le scandale de la corruption du syndicat UAW et pourquoi il faut des comités de base

Dans un mémorandum des juges des peines, déposé lundi à l’encontre de l’ancien vice-président des relations de travail de Fiat Chrysler (FCA), Alphons Iacobelli, les procureurs lient directement l’argent versé au syndicat de l’automobile United Auto Workers (UAW) aux efforts pour « obtenir bénéfices, concessions et avantages dans les négociations et la gestion des conventions collectives ».

Le mémorandum affirme que FCA a versé beaucoup plus d’argent aux responsables de l’UAW que précédemment rapporté pour « corrompre et déformer la relation patronat-syndicat ». Plus de 9 millions de dollars, le double du chiffre précédent et six fois plus que la somme admise par Iacobelli, ont été canalisés vers les haut responsables syndicaux à travers le Centre national de formation UAW-Chrysler (NTC) entre 2009 et 2017, selon le memorandum.

La déclaration que les relations corrompues ont eu un impact direct sur les négociations contractuelles a de vastes implications. Les travailleurs de l'automobile devraient considérer les accords imposés par l'UAW comme nuls et non avenus, le résultat d'un complot illégal dirigé contre eux. Cela ne vaut pas seulement pour les accords signés chez FCA entre 2009 et 2017. Les mêmes relations corporatistes prévalent chez les trois grands constructeurs automobiles, et elles remontent à des décennies.

Ce mémorandum est la dernière d'une série de révélations dans ce scandale de corruption grandissant. La semaine dernière, les avocats de Iacobelli avaient déposé des documents affirmant que le complot visant à influencer les négociations contractuelles précédait l’intervention de Iacobelli. « M. Iacobelli a rejoint un complot déjà en cours », déclarent ces documents. « Les pratiques et la corruption qui sont au centre de cette affaire ont commencé bien avant M. Iacobelli. »

Décrivant les opérations du NTC, le dossier juridique affirme que les responsables de l'UAW impliqués dans l'opération « avaient régulièrement leurs propres organismes de bienfaisance privés, etc », et ajoute « ils avaient des cartes de crédit émises par le NTC. Ils avaient accès à de grosses sommes d’argent [...] Certains représentants du syndicat et de l’entreprise ont fait cela pendant de nombreuses années ».

L’affirmation de FCA et de l'UAW que le scandale ne concernait qu’ « un petit nombre de brebis galeuses (selon FCA) et que « notre équipe de direction ignorait l'inconduite » (selon Dennis Williams, président de l'UAW à l'époque), s’avèrent être des mensonges. Parmi les révélations de la semaine dernière, le PDG de Fiat Chrysler, feu Sergio Marchionne, a personnellement offert au vice-président de l'UAW, feu General Holiefield, une montre d'une valeur de plus de 2000 dollars, sur quoi il a menti aux enquêteurs fédéraux.

Le président d’alors de l'UAW, Williams, était lui-même cité dans un plaidoyer négocié le mois dernier par Nancy Johnson, ex-assistante du vice-président de l'UAW pour FCA, Norwood Jewell. Johnson a affirmé que Williams avait donné la consigne aux hauts responsables de l'UAW d’utiliser les fonds des Centres de formation pour acheter des articles de luxe et payer les dépenses personnelles.

Ces arrangements corrompus ne sont que l’expression la plus sordide de la relation d’ensemble de l'UAW avec les sociétés automobiles. L'argent et les cadeaux de luxe passent si facilement de l'entreprise au syndicat parce que tous deux sont du même bord. Le scandale de l'UAW fournit une preuve incontestable de ce que les travailleurs de l'automobile ressentent chaque jour: l'UAW est une entreprise pro-patronale et pas une organisation ouvrière.

Les travailleurs de l’automobile et toutes les sections de la classe ouvrière doivent tirer les conclusions nécessaires de ce fait. Pour faire avancer leurs intérêts, les travailleurs ont besoin de nouvelles organisations de lutte: des comités de base d'usine et de lieu de travail pour organiser et unifier la résistance à l'élite patronale et financière.

En 1984, la Workers League, prédécesseur du Socialist Equality Party (Parti de l’égalité socialiste), a souligné l'importance des structures et des affaires conjointes de l’UAW et des sociétés introduites il y a plus de trois décennies. Dans Le corporatisme et les syndicats, la Workers League définit la doctrine de l’UAW comme du « corporatisme », c'est-à-dire « une doctrine de l'identité des intérêts du travail et du patronat, qui conduit à une collaboration illimitée entre bureaucrates et État capitaliste pour défendre le système de profit, quelle que soit la gravité des conséquences pour la classe ouvrière ». La Workers League caractérisa avec précision le « Fonds commun pour le développement de formations », prédécesseur du NTC, en tant que « gigantesque caisse noire ».

L'UAW est devenu « UAW-GM », « UAW-Ford » et « UAW-Chrysler ». Le résultat escompté de ces arrangements se voit dans les conditions auxquelles sont confrontés les travailleurs de l'automobile aujourd'hui, imposées par l'UAW à travers la répression des grèves, la collaboration dans les licenciements et la fermeture des usines, et des accords abandonnant sans cesse les acquis des travailleurs à la demande du patronat.

Des centaines de milliers d'emplois ont été supprimés ; les emplois à temps plein ont été remplacés par des postes à bas salaire, à temps partiel et temporaires; les effectifs ont été divisés en plusieurs niveaux de salaires; les soins de santé et les retraites ont été saccagés; les augmentations liées au coût de la vie ont été éliminées; et la journée de huit heures a été en pratique éliminée.

L'évolution de l'UAW en un syndicat corporatiste et sous-traitant de main-d’œuvre à bas salaire n'est pas un processus isolé. Aux États-Unis et dans le monde entier, les syndicats, basés sur leur programme pro-capitaliste et nationaliste, se sont transformés en agences des sociétés et du gouvernement.

À la fin des années 1970 et dans les années 1980, les syndicats américains ont réagi à la mondialisation de la production, au déclin du capitalisme américain et au virage stratégique à droite de la classe dirigeante en s’associant au patronat dans la baisse des salaires et l’augmentation de l'exploitation des travailleurs afin d'accroître la compétitivité des entreprises sur le marché mondial. D’organisations faisant pression sur les entreprises pour augmenter les salaires, les syndicats sont devenus des organisations faisant pression sur les travailleurs pour diminuer les salaires. Les bureaucrates qui contrôlent ces organisations ont été largement récompensés pour leurs services.

Dans le mémorandum déposé lundi, les procureurs affirment que l’argent provenant de FCA était destiné à «acheter la paix sociale». Une chose que les syndicats sont plus que disposés à vendre.

Dans son plaidoyer devant la Cour suprême dans l’affaire Janus c. AFSCME au début de l’année, l’avocat de la Fédération américaine des Employés d’État et des Collectivités locales (AFSCME) a déclaré que les «honoraires d’agence» – l’exigence que tous les travailleurs, même les non-syndiqués, payent l'équivalent de cotisations syndicales – étaient « la contrepartie pour assurer l'absence de grève».

Il ne pouvait y avoir de déclaration plus claire sur le rôle des syndicats comme force de police des grandes entreprises et du gouvernement.

Les organisations, actives dans et autour du Parti démocrate, qui s'opposent à la formation de nouvelles organisations de lutte, à des comités d'usine de base, le font du point de vue de dissimuler la nature et le rôle des syndicats. Leur objectif est d'empêcher les travailleurs de tirer les conclusions organisationnelles et politiques nécessaires de leurs expériences amères avec les syndicats.

À cette fin, les sites Web de l’Organisation internationale socialiste (ISO), des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) et d’autres groupes de pseudo-gauche n’ont pratiquement rien dit sur le scandale de la corruption de l’UAW, qui défraye la chronique depuis plusieurs mois.

Socialist Worker, la publication de l'ISO, qui contrôle le Chicago Teachers Union (syndicat des enseignants de Chicago), n'a pas publié un seul article sur le scandale UAW. Motus également au magazine Jacobin, associé à la DSA. Labour Notes, qui promeut diverses factions soi-disant dissidentes de l’appareil syndical, n’a publié qu’un article – en février dernier – qui soutenait lamentablement que l’UAW pouvait être transformé par une campagne pour l’élection directe des dirigeants et des responsables régionaux.

Ces organisations parlent au nom des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure. Elles sont terrifiées à l'idée que les travailleurs entrent en lutte et cherchent se libérer du carcan des syndicats. Les grèves des enseignants cette année ont pris la forme d’une rébellion contre les syndicats, qui, au début, s’étaient opposés aux grèves pour ensuite en prendre le contrôle afin de les isoler et de les trahir. Les travailleurs d’UPS (United Parcel Service) sont actuellement confrontés à une conspiration commune du syndicat des Teamsters et de l'entreprise qui cherchent à imposer un accord contre l’opposition massive des travailleurs, dénoncés par les responsables syndicaux comme des gens « subjectifs » et égoïstes parce qu’ils rejettent des salaires de misère.

La création de nouvelles organisations est la condition préalable essentielle à la mobilisation et à l’unité de ces sections et d’autres de la classe ouvrière. Les comités d'usine de base et du lieu de travail sont la forme par laquelle les travailleurs peuvent faire valoir leurs propres exigences, y compris la restauration de tous les acquis perdus, l'élimination des échelons, l'embauche permanente de tous les travailleurs temporaires, une augmentation immédiate des salaires pour tous les travailleurs, et une démocratie et un contrôle véritable des lieux de travail par les travailleurs.

Les comités indépendants des travailleurs, libérés de l'emprise bureaucratique des syndicats nationalistes, créeront les conditions pour unifier les travailleurs du monde entier dans une lutte commune.

Le World Socialist Web Site et le Parti de l'égalité socialiste feront tout ce qui est en leur pouvoir pour promouvoir et soutenir la création d'organisations indépendantes de travailleurs, en reliant les luttes de classe grandissantes à une perspective et un programme politique socialistes. Nous encourageons vivement les travailleurs qui s’intéressent à la construction de tels comités à nous contacter aujourd'hui.

(Article paru en anglais le 22 août 2018)

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