Un groupe de musiciens appelle à l’abolition des services secrets allemands

Mardi matin, le réseau d'action musicale Lebenslaute a conclu sa manifestation contre les services secrets allemands (l'Office fédéral de la protection de la Constitution ou BfV) avec un grand concert de clôture devant un public enthousiaste à Cologne. La veille, des musiciens et des chanteurs de l'organisation avaient bloqué toutes les voies d'accès et les entrées de la salle de concert.

Une partie du concert

Dans un concert de presque deux heures, les musiciens et la chorale de Lebenslaute, qui se traduit par des «sons de la vie», ont présenté des œuvres symphoniques, une lamentation turque et leurs propres arrangements du thème de James Bond et de la chanson «That’s What Friends Are For» (aussi connu sous le nom de «The Vulture Song») du film d'animation de Disney de 1976, The Jungle Book.

Le Coriolan de Beethoven et des extraits de l'opéra Orpheus et Eurydice de Christoph Willibald Gluck ont été joués à tour de rôle avec la chorale. Finalement, beaucoup de gens présents ont dansé au son de la Valse No. 2 de Dmitri Shostakovich.

Le chef d'orchestre Ulrich Klan a annoncé la valse avec les mots: «De Shostakovich, nous avons appris à faire de la belle musique dans des conditions d’espionnage et de surveillance omniprésents.»

Lebenslaute organise depuis plus de 30 ans des actions de protestation estivales contre les «lieux illégaux». La manifestation de cette année était dirigée contre les services secrets. Elle avait pour devise: «Des suites et des cantates contre l’État dans l’État: abolissez les services secrets!»

Un groupe de musiciens appelle à l’abolition des services secrets allemands

Une troupe de théâtre appelée Keupstrasse ist überall (Keupstrasse est partout), une référence au nom de la rue à Cologne où un attentat fasciste en 2004 a fait 22 blessés dans un quartier turc, a également participé à la manifestation. Keupstrasse a organisé une «représentation de destruction de documents», mettant en scène les actions menées par un fonctionnaire de Cologne, sous le nom de code «Lothar Lingen», qui a déchiqueté des fichiers sur l'implication des services secrets dans le milieu néonazi de Thuringe suite à la révélation des actes du groupe nazi du Parti national-socialiste clandestin (NSU). Les acteurs ont cité la déclaration secrète de 2014 de «Lingen» faite au bureau du procureur fédéral dans laquelle il avait reconnu avoir délibérément déchiqueté les dossiers.

Dans un discours prononcé à la manifestation, Ayşe Gül de Lebenslaute a déploré le fait que le procès NSU avait laissé de nombreuses questions sans réponse sur le rôle des services secrets dans des attaques sanglantes des fascistes, indiquant que la protection des sources des services secrets – plus de 40 informateurs secrets, pour la plupart des condamnés de justice dans l'orbite de la NSU – était plus importante que la résolution d'au moins dix meurtres.

Des reporters du WSWS et des membres du Parti de l'égalité socialiste (SGP) se sont entretenus avec un grand nombre de musiciens, chanteurs et spectateurs qui ont exprimé leur vif soutien pour la déclaration distribuée par le SGP: «Le gouvernement allemand place le Parti de l'égalité socialiste sur une liste de surveillance de groupes subversifs».

Wolfgang Rothe est chargé de cours dans une école privée de Cologne. Il a déclaré être venu au concert parce que «la façon dont les services secrets s’associent aux nazis» est un sujet important. Il a rappelé qu’il y a 15 ans, la Cour suprême avait mis fin à la procédure d’interdiction du Parti national allemand néonazi (NPD) «parce qu’il était plein d’informateurs infiltrés».

Le procès NSU n'était pas crédible, a déclaré Rothe. Il ne pouvait pas croire que le trio de Mundlos, Böhnhardt et Zschäpe du NSU avait mené à bien les meurtres sans soutien local, c'est-à-dire par des nazis ayant des connaissances des environs.

Rothe s'est notamment prononcé contre la construction d'un État policier en Allemagne. «Je suis contre la fusion de la police et des services secrets», a-t-il déclaré. «Cela s'est déjà produit et ça s’appelait la Gestapo.» Il a ajouté que les nouvelles règles de la police permettaient «l'intimidation et la détention préventive presque illimitée» sur la base de «simples soupçons abstraits [...] si vaguement interprétés que ça peut tout couvrir ».

Quand un reporter a déclaré à Rothe que le rapport annuel des services secrets de 2017 cite explicitement la critique du capitalisme comme motif pour la surveillance du SGP, il a répondu: «C'est très inquiétant, le gouvernement veut rendre la critique du capitalisme anticonstitutionnelle et faire de la défense du capitalisme la raison d'être de l'État.»

Susanne, une jeune musicienne de Lebenslaute, a été surprise d'entendre que les services secrets pensaient que la critique du capitalisme était la preuve de l'extrémisme de gauche. «C'est crasse, que le service secret assimile le capitalisme à la démocratie», a-t-elle déclaré.

Albert Müller, étudiant et l'un des porte-parole de Lebenslaute, a déclaré que la définition de l'extrémisme de gauche par les services secrets suppose un idéal de «citoyen très obéissant qui doit respecter les règles et ne remet rien en question». C’est le contraire d'un État libre, a-t-il déclaré.

Selon les services secrets, «tout devrait rester tel quel», a-t-il poursuivi. «La question de l’inégalité, de la répartition inégale massive [de la richesse] et de l’injustice reste intacte, et même les critiquer, voire entreprendre des discussions, devrait être impossible. C'est une criminalisation flagrante de toute opposition.»

Müller a également commenté le signalement du SGP dans le rapport des services secrets. «En principe, ce sont aussi de telles choses qui nous ont conduits à entreprendre cette action de protestation», a-t-il déclaré. «Ici, l’État décide qui est criminalisé et qui ne l’est pas». Dans la mesure où les services de renseignement, et en particulier les services secrets, définissent qui est politiquement «bien et acceptable» et qui devrait être rejeté, ils s’immiscent «activement dans le processus politique».

Hedi (Hedwig Sauer-Gühr) participe depuis des années à des concerts visant à attirer l'attention sur ce que Lebenslaute qualifie de «lieux illégaux».

«Il était grand temps que nous soyons là et que les services secrets soient désignés comme lieux illégaux», a déclaré Hedi. Elle a souligné l’histoire fasciste de l’organisme qui, en 1956, a fourni les arguments en faveur de l’interdiction du Parti communiste (KPD) et qui, dans les années 70, a détruit la vie professionnelle des jeunes gens de gauche à travers le soi-disant «décret sur les extrémistes», leur interdisant l’embauche dans le secteur public. Elle a eu beaucoup d'amis qui furent touchés par cela.

«Les services secrets sont également illégaux, car ils veulent espionner les gens et les intimider», a déclaré Hedi. «Les services secrets contrôlent les structures en discriminant tout ce qui est de gauche et, à l’opposé, donnent libre cours au milieu de droite, y compris l'Alternative pour l'Allemagne (AfD).»

Le chef d'orchestre Ulrich Klan est un musicien et compositeur internationalement actif. Il a amorcé et dirigé des performances musicales internationales, des commémorations et des projets conjoints Europe-Australie et Allemagne-Turquie-Azerbaïdjan. Son répertoire musical va de la musique classique à la nouvelle musique des XXe et XXIe siècles. Il a reçu de nombreux prix pour son engagement musical et politique.

Klan était présent en 1986 lors de la création de l'organisation. «Je suis particulièrement heureux que ce grand mouvement non seulement existe toujours, mais qu'il soit rempli de nouveaux jeunes musiciens», a-t-il déclaré. «C'est un mouvement qui rajeunit.»

Klan a déclaré au WSWS qu'en janvier, les membres de Lebenslaute ont débattu longuement sur l’intégration de la question des services secrets dans leur action estivale annuelle. Le sujet ne semblait pas populaire à l'époque. «Mais maintenant, en août 2018, nous voyons que nous avons déclenché quelque chose ici, que nous avons ouvert un sujet complexe», a-t-il déclaré. En déchiquetant des dossiers, les services secrets «ont non seulement entravé la résolution d'un crime, mais ont également étouffé des crimes, voire les auraient même commis».

Pour lui, le service secret est «une association criminelle [...] Il ne protège pas notre constitution; il la menace énormément». Klan a exprimé sa colère que, même après toutes les révélations de ses abus, «il obtient de plus en plus de pouvoirs, de plus en plus d'argent, et de plus en plus de groupes sont surveillés et surnommés extrémistes de gauche présumés dans le rapport annuel des services secrets. Cela est autoritaire. Ce n’est pas à la BfV de décider ce qui est extrême et ce qui ne l'est pas. Cet organisme est lui-même extrême.»

Lorsqu’on lui a indiqué que dans le rapport annuel des services secrets, le SGP est nommé comme extrémiste de gauche, Klan a répondu que c'était une raison de plus de travailler ensemble. «C’est particulièrement scandaleux, car il est étrangement silencieux au sujet de la terreur fasciste et nazie du NSU et de ses centaines de partisans qui ne furent pas au banc des accusés lors du procès», a-t-il ajouté.

Dès son inauguration, l'Office fédéral de protection de la Constitution a été anticommuniste et anti-gauche, a déclaré Klan. «Après la guerre, il fut créé par de vrais anciens nazis, et les extrémistes de droite continuent à donner le ton aujourd'hui. Le dernier scandale qui a éclaté est que le chef des services secrets, Hans-Georg Maassen, entretient des contacts étroits avec des extrémistes de droite. Donc, il n’y a pas d’autre solution: les services secrets doivent être abolis.»

(Article paru en anglais le 23 août 2018)

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