Brexit: les pêcheurs français et britanniques se battent à propos de coquilles Saint-Jacques

La «guerre de la coquille Saint-Jacques» qui a éclaté mardi matin entre pêcheurs normands et britanniques est une conséquence inattendue de la crise du Brexit. Alors que le risque monte que Londres et l’Union européenne (UE) ne parviendront pas à un accord amical sur le Brexit, c’est un avertissement des nombreux conflits inattendus qui pourraient éclater en Europe, alors que la bourgeoisie attise le nationalisme des deux côtés de la Manche.

Mardi, 40 petits bateaux français et cinq navires de pêche britanniques se sont affrontés, avec des jets de pierre et de fumigènes et de multiples collions. Dimitri Rogoff, président du comité régional des pêcheurs de Normandie, a relaté l’affrontement au Figaro: «Une quarantaine de bateaux avaient pris la mer dans la nuit pour dénoncer les pêcheurs britanniques qui pillent le gisement de coquilles Saint-Jacques. Les Français sont allés au contact des Britanniques pour les empêcher de travailler. Ils se sont frictionnés.»

Les bateaux britanniques, qui risquaient d'être encerclés, se sont retirés de la baie de Seine. Les garde-côtes français auraient refusé d'intervenir.

Barrie Deas, le chef de la Fédération nationale des organisations de pêcheurs britannique, a dit: «On appelle tout le monde au calme; d’après les clips vidéo, certains bateaux manœuvrent très dangereusement. … Il faut résoudre les problèmes de fond à l’origine des affrontements en discutant autour de la table, pas en haute mer où les gens pourraient être blessés ».

Deas a relayé les appels de pêcheurs britanniques pour envoyer la Royal Navy dans les eaux françaises, rappelant les «guerres de cabillaud» de 1958-1976 entre la Grande-Bretagne et l'Islande, quand les marines de ces deux pays s’affrontaient régulièrement dans les zones de pêche. Deas a déclaré à la BBC: «Cela va bien au-delà du comportement légal. Nous avons demandé au gouvernement britannique d'intervenir au niveau diplomatique mais aussi de protéger nos bateaux.»

Pour l’heure, Londres et Paris tentent de minimiser l’incident. Interrogée là-dessus, le Premier ministre britannique, Theresa May, a appelé à la négociation: «Je pense qu’il est important de trouver une solution à l’amiable pour la Manche. C'est ce que nous voulons et c'est ce que veut la France, et nous allons y travailler. »

George Eustice et Stéphane Travert, les ministres britannique et français de l'agriculture, ont discuté des affrontements. Selon Europe1, «Stéphane Travert n’a pas encore communiqué sur ce sujet sensible. Pour cause, la réglementation européenne donne tort aux pêcheurs français dans ce dossier.»

Mais cet épisode démontre que la perspective du Brexit exacerbe les tensions économiques bien connues en Europe. Pour empêcher la surpêche, la France a limité unilatéralement il y a 15 ans la saison de pêche de la coquille Saint-Jacques du 1er octobre au 15 mai. Mais les bateaux britanniques et irlandais n'étaient pas soumis à la réglementation française. Dans les eaux françaises en dehors de la zone d’exclusion territoriale à 12 milles marins des côtes françaises, les navires britanniques ont continué à pêcher légalement tout au long de l’année.

Après des affrontements similaires en 2012, on avait signé des accords pour limiter les conflits entre pêcheurs. Les Français critiquaient les pêcheurs britanniques qui pêchaient en été et, selon eux, parfois illégalement dans les eaux territoriales françaises. Les négociations de ces accords ont capoté cette année, alors que le Brexit se profile en mars prochain.

Si May appelle à un «Brexit souple» qui maintiendrait des liens substantiels avec l'UE, lors d’un «Brexit dur» ou un Brexit sans accords commerciaux entre Londres et l'UE, la Grande-Bretagne sortirait également des accords de pêche européens.

Les déclarations des pêcheurs indiquent que les problèmes liés aux affrontements ne sont toujours pas réglés.

Rogoff s'est plaint amèrement: «Pour les Britanniques, c'est open bar: ils pêchent quand ils veulent, où ils veulent et autant qu'ils veulent. On ne veut pas les empêcher de pêcher. Mais qu'ils attendent au moins le 1er octobre pour qu'on partage ça ensemble!» Selon lui, les pêcheurs normands espèrent que le Brexit empêchera les bateaux britanniques de pêcher dans leur secteur: «Normalement, après le 29 mars 2019, ils seront considérés comme un pays tiers et n'auront plus accès à ces zones-là.»

Les pêcheurs français travaillant dans de petites embarcations de 15 mètres se plaignent aussi de l’impact écologique des bateaux britanniques deux fois plus longs qui utilisent des méthodes de dragage industriel. Un pêcheur britannique anonyme a déclaré au Guardian: «Le dragage, c’est un type de pêche horrible. Tous les pêcheurs ne veulent pas le faire. Cela laisse le milieu marin dans un terrible désordre.»

Même si Londres et Paris arrivent à bricoler un accord sur ce dossier, l’incident a révélé le climat nationaliste exacerbé qui prédomine dans les médias et la classe politique avant le Brexit en mars, et le potentiel pour des conflits même plus violents. Le Daily Telegraph britannique pronostique que «La dispute sur les coquilles Saint-Jacques n’est qu’un début: le Brexit déclenchera une véritable guerre du poisson avec l’UE».

Les relations Londres-EU et des centaines de milliards d’euros sont en jeu, et les marchés financiers et les cercles dirigeants sont sur le qui-vive. Après que Edouard Philippe a déclaré lundi que Paris s’apprête à un «Brexit sans accord», la déclaration apparemment plus favorable du négociateur européen Michel Barnier, a fait grimper de 1,2 pour cent la livre britannique mercredi. Il a proposé à Londres «un partenariat comme jamais il n'y en a eu avec aucun pays tiers», après le Brexit. Il a aussi indiqué que l'UE pourrait donner à Londres plus de temps pour négocier un accord.

La livre est retombée quand Barnier s’est ravisé en excluant, lors d’une réunion avec le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas, un accès «à la carte» avec Londres.

Alors que les médias français rapportaient des messages britanniques sur Twitter appelant la Royal Navy à tirer sur les pêcheurs français, Sébastien Jumel, le maire PCF de Dieppe, a écrit une lettre à Travert pour soutenir les pêcheurs français. Il a écrit: «Nos pêcheurs français ont mis en place des méthodes de pêche artisanale afin de respecter la ressource. Mais ils se trouvent de plus en plus confrontés à des navires de pêche battant pavillons anglais, dont certains mesurent plus de 30 mètres, et qui pratiquent une pêche industrielle massive et irresponsable, érodant dangereusement les ressources de la mer. »

Mais les pêcheurs français obtiennent jusqu'à 40 pour cent de leurs prises dans les eaux britanniques; un Brexit sans accord aurait également de vastes répercussions économiques en France. Le 14 juin 2018, Travert a mis en garde une conférence de pêcheurs à Sète: «Si le 30 mars 2019, par malheur, le Royaume-Uni devait brutalement couper les ponts avec l’Union européenne, sans accord de retrait et donc sans période de transition, les conséquences seraient brutales et immédiates.»

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