Avec une cote de crédit en baisse, d'énormes réductions d'emplois sont imminentes chez Ford

Dans la foulée du récent déclassement du crédit Ford par l'agence de notation Moody's, la presse financière spécule que le constructeur automobile américain prépare d’importantes réductions d’emplois dans le cadre de son plan de restructuration annoncé plus tôt.

Le 29 août, Moody's a abaissé la cote de Ford de premier rang non garantie à Baa3, soit un échelon au-dessus du statut «poubelle», ou «junk» en anglais. Un tel déclassement rend le financement de la dette plus difficile et plus coûteux. Le déclassement s'accompagnait d'un avertissement indiquant qu'il y a une probabilité accrue d'une nouvelle baisse du crédit de Ford au cours des 12 à 24 prochains mois.

Les mesures prises à l’encontre de Ford par l'agence de notation de crédit représentent une mesure disciplinaire de la part de Wall Street, qui exige une nouvelle attaque contre les travailleurs, afin d'augmenter ce qu'elle considère comme des profits inadéquats de la part du constructeur automobile. Elle fait suite à des décennies de coupes incessantes, facilitées par les syndicats aux États-Unis et dans le monde entier, qui ont entraîné la décimation de centaines de milliers d'emplois et l'érosion constante des salaires et des avantages sociaux dans toutes les entreprises automobiles basées aux États-Unis.

Pendant ce temps, le Sunday Times de Londres a rapporté cette semaine que Ford pourrait supprimer jusqu'à 24.000 emplois dans sa division européenne à la suite d'une réorganisation préparée par les cadres supérieurs. Le plan prévoit des coûts de restructuration de 11 milliards de dollars, y compris les rachats d'emplois et les fermetures d'usines. Le Sunday Times a noté que Ford emploie 12.000 personnes en Grande-Bretagne, et que ses usines de moteurs à Bridgend et Dagenham sont menacées.

Le journal a également rapporté que le président de Ford Europe, Steven Armstrong, a déclaré que l'entreprise se concentre sur «la baisse agressive des coûts, la mise en œuvre de l'efficacité des installations et des programmes de produits afin de réduire les coûts des produits et des matériaux».

Ford a perdu de l'argent sur ses opérations européennes, contrairement à l'Amérique du Nord, où elle continue de faire des profits. Le projet de la Grande-Bretagne de quitter l'Union européenne, Brexit, a ajouté à l'incertitude quant à l'avenir de Ford dans ce pays.

Pour sa part, Moody's a noté le potentiel d'un ralentissement «cyclique» dans l'industrie automobile. En effet, la situation financière mondiale de plus en plus volatile, y compris la menace de droits de douane sur les automobiles de la part de l'administration américaine Trump, laisse entrevoir l'éclatement probable d'une autre crise économique majeure qui pourrait dépasser le crash de 2008. L'élite financière comprend, implicitement, que les coûts d'un tel choc seraient répercutés sur le dos de la classe ouvrière.

L'analyste de Morgan Stanley, Adam Jonas, qui a récemment projeté une réduction de 12 pour cent des 202.000 employés de Ford dans le monde, a déclaré: «Nous ne considérons pas la restructuration de Ford comme un luxe, mais comme une étape cruciale pour replacer l'entreprise transnationale sur une base plus équilibrée», a écrit Jonas le 20 août.

Toute attaque contre sa main-d'œuvre européenne ne ferait que préparer des attaques contre les travailleurs en Amérique du Sud, en Asie et aux États-Unis mêmes.

La pression unanime de Wall Street pour une action décisive de la part de Ford a lieu dans des conditions où l'entreprise réalise encore des profits substantiels. La société a réalisé des profits avant impôts ajustés de 8,4 milliards de dollars en 2017, mais elle est bien en deçà des attentes. Alors que les ventes de Ford ont augmenté de quatre pour cent dans l'ensemble en août et que la camionnette Ford F-150 rentable se vend à un rythme record pour l'année, les ventes de Ford sont en baisse de 1,2 pour cent en 2018.

L'entreprise a déjà annoncé la fin de la production de la plupart des voitures particulières afin de se concentrer sur les camions légers et les VUS les plus populaires. Elle chercherait également à mettre fin à la production du Galaxy et du S-Maxy en Europe pour se concentrer sur des modèles plus grands et plus rentables.

Dans une interview accordée cette semaine au Detroit Free Press, Bob Shanks, directeur financier de Ford, a reconnu que le terme «restructuration» suggère des «réductions et fermetures d'effectifs». Il a poursuivi: «Il y a un an, nous avions entrepris l’aventure d’une refonte très fondamentale de notre activité automobile traditionnelle. C'est une énorme, énorme transformation».

Il a ajouté que «[Ford] envisage une refonte majeure de nos activités, en particulier sur les marchés d'outre-mer. La performance n'y est pas bonne. Après des années de travail acharné, de restructuration, de nouveaux produits et de changements. Ce n'est pas ce qu'il faut.... Le résultat est inacceptable.»

Malgré les efforts déployés par les syndicats européens pour empêcher la résistance aux mesures de réduction des coûts de Ford, les travailleurs de l'automobile en Allemagne ont fait grève chez l'entreprise américaine et d'autres constructeurs automobiles plus tôt cette année et, à la fin de 2017, 1.000 travailleurs ont mené une grève sauvage pour s'opposer à un accord pourri signé par le syndicat Ford Craiova Automobile et Ford en Roumanie.

L'accord exigeait que 4.200 travailleurs roumains acceptent le gel des salaires des travailleurs âgés et une réduction de la rémunération des nouveaux employés à cinq pour cent en dessous du salaire minimum actuel, soit aussi peu que 300 € (358 $US) par mois. Ford a également exigé une réduction de la rémunération des heures supplémentaires et des heures de travail «flexibles» chaque fois que «les demandes opérationnelles l’exigent».

Dans une infolettre du 13 décembre 2017 adressée aux travailleurs, le chef de Ford Roumanie, John Oldham, les a menacés de chômage de masse, en disant: «Nous devons réfléchir à ce qui est critique en ce moment crucial pour l'usine de Craiova: avoir une augmentation de salaire plus élevée ou assurer l'avenir de cette usine! Nous espérons que vous comprenez l'importance des négociations de cette année dans le climat actuel d'instabilité politique et économique».

Les constructeurs d’automobiles du monde entier sont confrontés à la pression d'investissements majeurs pour la recherche et le développement de véhicules électriques et autonomes. L'investissement important nécessaire à la mise en œuvre d'une telle technologie exerce une forte pression sur la marge brute d'autofinancement des entreprises, ce qui accroît la nécessité de procéder à des réductions.

L'une des victimes possibles de la réduction des coûts de Ford pourrait être son projet de centre technologique à Detroit, où l'entreprise a récemment acheté l'ancien Michigan Central Depot dans le but apparent de le convertir en centre de recherche pour les véhicules autonomes.

Le déclassement de crédit de Moody's fait suite à l'éviction de Mark Fields, PDG de Ford, en 2018, après seulement trois ans à la barre de l’entreprise. En annonçant le remaniement, le président Bill Ford a souligné la faible valorisation des actions de l'entreprise et la baisse des retours sur investissements.

La menace qui pèse sur les travailleurs de Ford a lieu dans des conditions où les pressions financières s'intensifient sur les autres constructeurs automobiles américains. Il est bien connu que GM, qui a vendu ses divisions européennes Opel et Vauxhall en 2017, pourrait bientôt annoncer la fermeture d'une ou plusieurs de ses usines d'assemblage de voitures particulières aux États-Unis, en particulier son usine de Lordstown, dans l'Ohio, où la société a récemment éliminé le deuxième quart de travail. GM est le seul constructeur automobile américain qui continue de construire des voitures particulières en Amérique du Nord.

Fiat Chrysler est en pleine restructuration ayant entraîné la fermeture temporaire d'un certain nombre de ses plus grandes usines. La société a mis fin à la production de voitures particulières aux États-Unis en 2016 pour se concentrer sur les camions légers et les VUS.

Comme on pouvait s'y attendre, le syndicat de l’UAW a gardé le silence sur les rapports de Ford concernant les plans d'une nouvelle série de réductions. Ce n'est pas seulement parce qu'il est prévu que les coupes tomberont le plus lourdement sur les travailleurs européens de l'automobile, mais parce que l'UAW prend sa position entièrement sur la base de la défense des intérêts des profits de la direction.

L'UAW a facilité les licenciements aux États-Unis en mettant en œuvre des changements contractuels qui éliminent les maigres protections de l'emploi dont bénéficiaient les travailleurs de l'automobile. Le syndicat a accepté l'élimination de la banque d'emplois qui offrait une certaine sécurité d'emploi aux travailleurs mis à pied dans le secteur de l'automobile. Entre-temps, l'UAW a sanctionné l'utilisation d'un plus grand nombre de travailleurs temporaires et à temps partiel (TPT) qui ne sont pas admissibles aux prestations supplémentaires de chômage et qui n'ont pas de pensions ou de droits de rappel.

Le contrat de 2015 ne prévoyait aucune garantie d'emploi explicite. Au lieu d'une lutte pour défendre les emplois, l'UAW incite activement au conflit fratricide entre les travailleurs de l'automobile américains et les travailleurs de l'automobile dans le reste du monde, en soutenant les mesures protectionnistes du président Trump et en dénonçant les travailleurs de l'automobile mexicains et chinois parce qu’ils «prennent des emplois américains».

Le syndicat UAW a encouragé les entreprises automobiles à forcer les travailleurs vétérans mieux rémunérés et à les remplacer par des TPT. L'impact de l'impitoyable poussée pour la réduction des coûts de Ford a été mis en évidence par la blessure subie plus tôt cette année par Lynn Hagood, 55 ans, une employée de Ford Flat Rock Assembly, qui a subi de graves blessures après avoir été placée sur une chaîne de montage avec une formation insuffisante.

Dans toutes les entreprises automobiles, l’UAW a cautionné l'utilisation d'heures supplémentaires forcées par la direction pour éviter l'embauche de travailleurs supplémentaires. Cela a conduit à l'épuisement professionnel et à l'augmentation de la probabilité de décès ou de blessures au travail.

La lutte pour la défense des emplois exige que les travailleurs élisent des comités d'usine, indépendants de l’UAW, pour lancer une lutte contre les fermetures d'usines et les licenciements. Cette lutte doit être menée dans l'unité la plus étroite avec les travailleurs de l'automobile à l'échelle internationale pour contrer les efforts des constructeurs automobiles mondiaux et des syndicats consistant à opposer les travailleurs les uns aux autres pays par pays. La défense des emplois est liée à la lutte pour un programme socialiste, y compris la transformation des géants de l'automobile en entreprises publiques sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 7 septembre 2018.)

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