Le gouvernement allemand prépare une mission de combat contre la Syrie

Derrière le dos du peuple allemand, la grande coalition des démocrates chrétiens et des sociaux-démocrates prépare une mission de combat massive contre le gouvernement syrien du président Bachar al-Assad. Selon un article paru dans le journal Bild publié lundi, la ministre de la Défense Ursula von der Leyen (Union démocratique chrétienne — CDU) examine de possibles représailles de la Luftwaffe (armée de l’air) contre les troupes syriennes si des armes chimiques étaient utilisées contre les zones tenues par les rebelles dans la province d’Idlib.

Le quotidien Bild, qui a des liens étroits avec les milieux militaires et du renseignement, décrit un « jeu de simulation » qu’on mènerait : « Si Assad attaquait son propre peuple avec des gaz toxiques, alors, outre que les États-Unis seraient à nouveau rejoints par la Grande-Bretagne et la France (et éventuellement d’autres alliés nouveaux), des Tornados armés de la Luftwaffe pourraient mener des missions contre des infrastructures militaires (casernes, bases aériennes, postes de commandement, dépôts de munitions, dépôts d’armes, usines, centres de recherche).

Le journal rapporte que les préparatifs du ministère de la Défense sont la réponse à une demande du gouvernement américain à la chancellerie allemande. Le Bild écrit qu'il y a deux semaines, lors de discussions de haut niveau, « diverses options ont été discutées au ministère ».

Dans des entretiens subséquents, les options abordées incluaient des « vols de reconnaissance et une analyse des dommages après une éventuelle attaque (‘évaluation des dommages de combat’) , la participation possible à des missions de combat dans lesquelles des Tornados allemands largueraient des bombes pour la première fois depuis la guerre des Balkans ».

Pour mener à bien la mission, les pouvoirs de contrôle parlementaire prévus par la Constitution doivent être effectivement abrogés. « Le Parlement ne serait consulté que rétrospectivement en cas d’intervention rapide, en raison des contraintes de temps », rapporte le journal.

En réponse aux questions du journal, le gouvernement a confirmé les plans. Le Bild cite une déclaration conjointe du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères dirigé par le parti social-démocrate, déclarant que « la situation en Syrie suscite les plus grandes inquiétudes ».

La déclaration poursuit : « Bien sûr, nous sommes en contact étroit avec notre allié américain et nos partenaires européens dans cette situation. Nous échangeons constamment des informations à tous les niveaux sur la situation actuelle, des scénarios de crise possibles et des options d’action communes. L’objectif pour les parties dans ce conflit est d’éviter une escalade de la situation déjà terrible pour les personnes touchées. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l’utilisation d’armes chimiques interdites, qui furent utilisées auparavant par le régime d’Assad ».

Lors d’une conférence de presse, le porte-parole du gouvernement, Steffen Seibert, a évoqué la possibilité de frappes aériennes allemandes contre la Syrie. Il a déclaré : « La situation en Syrie, en particulier à Idlib, est telle qu’on doive vraiment craindre que des événements horribles ne se reproduisent sur d’autres champs de bataille syriens, dans des conditions où des centaines de milliers de personnes sont gravement menacées ». Seibert a ajouté que la situation était en cours de discussion avec alliés et partenaires.

Le porte-parole parlementaire démocrate-chrétien pour la Défense, Henning Otte, a été encore plus clair : « Les images et les rapports qui nous parviennent sont difficiles à supporter. De nombreuses personnes à Idlib souffrent de la terreur d’Assad qui bombarde son propre peuple. Il est donc important que nous examinions toutes les options d’action. Bien entendu, nous devons également envisager une action militaire. Nous sommes en contact permanent avec tous nos partenaires pour échanger des informations sur la situation. Il ne fait aucun doute que l’utilisation d’armes chimiques en Syrie doit être empêchée à tout prix ».

Dans le Tagesspiegel, l’ancien ministre de la Défense Volker Rühe (CDU) a menacé : « Si le dictateur syrien utilise à nouveau des gaz toxiques, la Bundeswehr (forces armées) devrait participer aux attaques contre les dépôts de munitions syriens. C’est le sens d’une politique de sécurité européenne commune avec la France ».

L’assertion de la cheffe du Parti social-démocrate (SPD) Andrea Nahles que son parti « n’accepterait pas une participation allemande à la guerre en Syrie » est de la pure hypocrisie et n’a rien à voir avec une attitude pacifique. En fait, alors qu’il était au gouvernement, le SPD a poussé, à la fin de 2015, à ce que l’Allemagne entre dans la guerre syrienne ; depuis la Conférence de Munich sur la sécurité de 2014, il a été le moteur du retour du militarisme allemand.

Pour le SPD, la question est de savoir comment faire respecter les intérêts propres de l’Allemagne — si nécessaire contre les États-Unis — dans une éventuelle offensive militaire contre la Syrie. « Il est de notre intérêt de renforcer le pilier européen de l’Alliance atlantique… car nous ne pouvons pas laisser les choses dans les mains de Washington autant que par le passé », a écrit le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas (SPD) récemment dans Handelsblatt.

Les prétendus partis d’opposition participent à la propagande de guerre et ont signalé à la classe dirigeante de quel côté ils se trouveraient en cas d’attaque contre la Syrie. Tobias Linder, le leader du Parti vert à la Commission parlementaire à la Défense, s’est limité à exiger : « Si le gouvernement prévoit un tel engagement, il doit d’abord demander le consentement du Bundestag et expliquer comment, à son avis, cela est compatible avec le droit international ». Il a ajouté que l’Allemagne devait utiliser toutes les avenues fournies par les Nations-Unies pour empêcher une attaque d’armes chimiques par le régime syrien.

Stefan Liebich, le porte-parole parlementaire du Parti de gauche pour la politique étrangère, qui a longtemps battu le tambour pour une intervention plus agressive de l'impérialisme allemand au Moyen-Orient, a écrit sur Twitter : « L'utilisation de gaz toxique serait un terrible crime de guerre. Mais selon la Constitution, les missions de combat de la Bundeswehr sont toujours décidées par le parlement et non par le gouvernement ! »

En d’autres termes, les dirigeants du Parti de gauche et des Verts ne sont pas opposés en principe à une intervention militaire en Syrie. Ils veulent simplement être inclus dans la planification d’une guerre !

Le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste — SGP) est le seul parti qui a résolument condamné l’intervention militaire en Syrie et s’est opposé au retour du militarisme allemand sur la base d’un programme socialiste international.

Lorsque l’armée de l’air allemande est entrée en guerre en Syrie à la fin de 2015, sous le prétexte de combattre l’État islamique, le SGP a averti : « Le déploiement d’un avion de reconnaissance n’est que le début. Si la Bundeswehr est à nouveau impliquée dans la guerre, les demandes pour un engagement accru, y compris l’utilisation de troupes au sol, suivront bientôt. L’Allemagne s’engage dans une guerre qui, à l’instar des conflits des Balkans avant la Première Guerre mondiale, est devenue le centre de conflits internationaux inconciliables ».

Et en avril dernier, lorsque le gouvernement allemand a soutenu les frappes aériennes illégales des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne contre Damas, nous avons écrit : « L’attaque des puissances impérialistes contre la Syrie doit être condamnée avec la plus grande fermeté. Les frappes militaires menées par les forces américaines, françaises et britanniques vendredi soir avec l’appui du gouvernement fédéral allemand constituent une violation du droit international qui risque de déclencher un conflit avec la Russie, la deuxième puissance nucléaire mondiale ».

Si les puissances impérialistes envisagent à présent de nouvelles frappes aériennes contre la Syrie, c’est pour sauver des « rebelles », à la tête desquels se trouvent au moins 10.000 combattants d’Al-Qaïda, qu’eux et leurs alliés régionaux ont développés et financés depuis que cette guerre par procuration a commencé en Syrie il y a sept ans. Washington, Paris, Londres et Berlin ne s’intéressent pas aux droits de l’homme, mais à la défense de leurs intérêts géostratégiques et économiques au Moyen-Orient, en alliance avec les forces les plus réactionnaires, et à repousser l’influence de l’Iran et de la Russie en Syrie et dans toute la région.

Quant aux avertissements concernant une attaque à l’arme chimique à Idlib, ils reviennent à lancer une invitation aux combattants d’Al-Qaïda pour qu’ils organisent un incident afin de fournir un prétexte aux frappes aériennes des puissances impérialistes. Le gouvernement syrien a nié toute responsabilité pour des attaques présumées aux gaz toxiques comme à Douma cette année et à Khan Shaykhun en avril 2017. Mais dans les deux cas on s’en est quand même servi pour justifier des frappes illégales aériennes et de missiles. Le gouvernement allemand s’engage maintenant à participer à une nouvelle série d’attaques de ce genre.

(Article paru d’abord en anglais le 12 septembre 2018)

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