Le scandale de la corruption à l’UAW s’élargit alors que les travailleurs américains font pression pour obtenir des augmentations de salaire

De nouveaux détails ont émergé jeudi dans le scandale de corruption grandissant auquel fait face le syndicat United Auto Workers (travailleurs de l’automobile – UAW) aux États-Unis. Une enquête fédérale a déjà débouché sur des plaider coupable (guilty plea) de sept dirigeants de l’UAW, et de dirigeants de Fiat Chrysler, impliqués dans le projet illégal visant à acheminer des fonds de l’entreprise vers l’UAW en échange de contrats de travail favorables à l’entreprise.

Selon le Detroit News, les procureurs fédéraux se concentrent désormais sur le détournement de plus d’un million de dollars de cotisations syndicales et de fonds de formation payés par les dirigeants de l’UAW pour acheter de l’alcool, de la nourriture, des voyages de golf et des séjours dans des résidences de luxe pendant des conférences de « formation » à Palm Springs, en Californie.

« Les archives de la Cour fédérale et les pièces fournies par le ministère du travail ont mis en lumière les activités des dirigeants de l’UAW qui ont assisté à une convention d’une semaine à Palm Springs, mais sont restés pendant des mois. Dans cette oasis en plein désert, les dirigeants de l’UAW ont utilisé soit les cotisations des ouvriers, soit l’argent de Fiat Chrysler, leur prétendu adversaire à la table des négociations, pour payer dîners, résidences, frais de golf et 1217 dollars dans un salon géré par le styliste hollywoodien qui a travaillait sur le film Mad Max : Fury Road. »

Une grande partie de cela a été révélé dans l’accord avec le procureur signé en juillet par l’ancienne responsable de l’UAW, Nancy Adams Johnson, l’assistante-principale du vice-président de l’UAW, Norwood Jewell. Jewell a accepté des concessions radicales dans la convention collective 2015 UAW-FCA. Johnson a admis avoir pris des dizaines de milliers de dollars pour des fêtes somptueuses, des voyages en avion de première classe dans les centres de golf de Californie et des bijoux et des vêtements coûteux, dont des chaussures de chez Christian Louboutin à 1100 dollars (soit 936 euros).

Dans une révélation qui a porté le scandale de corruption au sommet de l’UAW, Johnson a déclaré aux enquêteurs fédéraux que l’ancien président de l’UAW, Dennis Williams, avait autorisé le transfert illégal de fonds du centre de formation UAW Chrysler à Detroit pour payer les frais de voyage, de bouche, et de divertissement. La directive de Williams, a-t-elle dit, a été promulguée pour réduire les coûts pour l’UAW « parce que le budget de l’UAW était sous pression ».

Entre 2014 et 2016, l’UAW a dépensé sept cent trente mille euros pour des séjours à l’hôtel Palm Springs et cent quatre-vingt-sept mille euros supplémentaires en 2017, selon une analyse des dossiers déposés par le Detroit News auprès du ministère américain du Travail. Contredisant les affirmations de Williams selon lesquelles aucune cotisation syndicale n’a été utilisée dans le complot, les procureurs ont écrit que « les hauts responsables de l’UAW ont utilisé des fonds UAW pour payer des repas extravagants, des boissons alcoolisées de qualité, des séjours de plusieurs mois, de nombreuses parties de golf pour presque aucune, voire aucune, activité syndicale ou de relations syndicat-direction légitime. »

Pendant ce temps, l’UAW a augmenté les cotisations de 25 pour cent, affirmant cyniquement que cela était nécessaire pour se préparer à une éventuelle grève contre Fiat Chrysler et les autres constructeurs automobiles. Pendant tout ce temps, ses principaux négociateurs ont accepté des pots-de-vin pour vider les salaires et les avantages sociaux des travailleurs tout en augmentant considérablement le nombre de travailleurs temporaires à temps partiel qui paient des cotisations syndicales mais n’ont aucun droit. Les membres de l’UAW paient entre 570 et 1360 euros de cotisations annuelles.

Si Williams a pris sa retraite plus tôt cette année, les enquêteurs fédéraux pourraient maintenant porter leur attention sur son successeur, Gary Jones. Se référant à la période 2014-16, le journal dit : « Les seules dépenses liées à Palm Springs identifiées dans les rapports financiers de l’UAW pour ces années sont les conférences des dirigeants de la région 5 du syndicat. Jones a pris la tête de la région 5 avant de devenir président de l’UAW en juin ». Après avoir été nommé président de l’UAW en juin, Jones a déclaré que « des individus spécifiques, et non pas des institutions comme l’UAW » sont à mettre en cause.

Le scandale en cours démontre toutefois que l’ensemble des UAW est un outil de gestion corrompu. Son rôle principal au cours des quatre dernières décennies a été de supprimer la résistance des travailleurs de l’automobile face aux attaques incessantes contre les emplois, le niveau de vie et les conditions de travail. Au cours de cette période, les travailleurs de l’automobile ont connu un revirement historique, passant des travailleurs industriels les mieux payés à des travailleurs de moins en moins rémunérés et intérimaires qui ne peuvent pas acheter les voitures qu’ils fabriquent.

Les conditions dans les usines atteignent un point d’ébullition. Il y a deux mois, 7000 travailleurs des usines de transmission de FCA à Kokomo et à Tipton, dans l’Indiana, ont voté à 99,9 pour cent contre plus de 200 griefs non résolus, notamment en matière de santé et de sécurité et de travail temporaire. Le caractère grave de ces problèmes a été récemment mis en évidence par les graves blessures subies par un travailleur de l’usine de moulage de Kokomo.

Toutefois, depuis le vote de grève, les responsables de la section locale 685 de l’UAW et la vice-présidente de l’UAW, Cindy Estrada, qui a succédé à Norwood Jewell, ont ignoré le mandat de la base tout en maintenant les ouvriers dans l’ignorance totale, pendant qu’ils négocient un autre accord au rabais.

Lors des réunions syndicales de lundi, les travailleurs ont dénoncé le blocage par l’UAW et exigé la fixation d’une date de grève. En réponse, le président de la section locale 685 de l’UAW, Rick Ward, a déclaré que les travailleurs ne pouvaient pas faire grève sans l’autorisation de l’UAW internationale – les mêmes bureaucrates qui ont effectué des paiements illégaux auprès de la FCA.

« L’UAW fait sa petite escapade à Palm Springs alors que c’est nous qui avons été trahis », s’est plaint un employé de Kokomo au bulletin du travailleur de l’automobile du WSWS. « Certains de mes collègues disent que nous avons besoin d’un « nettoyage complet de la maison » et que toutes ces personnes doivent être remplacées. Mon opinion est qu’il est trop tard pour cela. Cette organisation ne peut pas être réformée. »

« Si nous voulons savoir quelle était la prémisse originelle des syndicats, nous devrons trouver un moyen de s’organiser en dehors des UAW », a déclaré le travailleur. « Nous n’avons pas d’intérêts communs avec l’UAW. Les responsables locaux ne veulent pas faire de mal à l’Internationale parce qu’ils perdraient leurs positions. C’est une folie d’essayer de réformer cette organisation. Si les syndicats étaient ce qu’ils étaient censés être, ils mobiliseraient toute la classe ouvrière maintenant – mais ils ne le sont pas. »

Un employé en CDD de GM à Detroit a déclaré au WSWS : « Les membres de l’UAW saignent de l’argent depuis des années. Ils ne lèvent pas le petit doigt pour nous aider. Il y a des entreprises sans syndicats qui accordent les mêmes acquis que nous. »

« L’UAW est incitée à ne pas déclencher une grève. Ils gardent le fonds de grève pour payer leurs sorties de golf, et se payer de bons repas et du bon vin. Je ne vois pas comment ils se sont donné une augmentation de salaire de 30 pour cent avec tout ce qui se passe. »

Le krach financier mondial de 2008 a été suivi par la restructuration de l’industrie automobile par l’Administration Obama et la réduction de moitié des salaires des nouveaux employés chez Chrysler et GM. Cela a été utilisé comme un précédent pour une attaque à grande échelle contre les salaires et les conditions de travail des travailleurs et les mesures d’austérité sans fin qui ont alimenté la bulle boursière et un transfert historique de richesse à l’élite des entreprises et des finances. Tout cela dépend de la suppression artificielle de la lutte de classe par les syndicats, qui a réduit le nombre de grèves à des niveaux historiques au cours de la dernière décennie.

Cette année, cependant, la lutte des classes a repris aux États-Unis et dans le monde. Le nombre de grèves majeures aux États-Unis a plus que doublé depuis l’année dernière, avec plus d’un demi-million de travailleurs, soit plus que le total des six dernières années. Il en va de même au Royaume-Uni, où les grèves du secteur privé sont les plus fortes depuis plus de deux décennies, après avoir chuté l’an dernier à son niveau le plus bas depuis 1893.

Un rapport récent d’un analyste de la banque et cabinet de courtage Charles Schwab a mis en garde que : « les pressions salariales devraient s’intensifier » au cours de la période à venir, les marchés du travail serrés ayant, au moins temporairement, ébranlé le chômage massif des travailleurs. Toute augmentation des salaires, a-t-il ajouté, « pourrait également avoir des implications pour le marché boursier ».

Aux États-Unis, plus de 5000 travailleurs de l’hôtellerie sont en grève à Chicago, tandis que 9000 autres à Boston, à San Francisco, à Seattle, à Detroit, à Honolulu et dans d’autres villes ont voté massivement pour les rejoindre. Plus de 30 000 métallurgistes chez ArcelorMittal et US Steel ont voté à l’unanimité, et 230 000 travailleurs d’UPS, 33 000 enseignants et membres du personnel de soutien à Los Angeles et 4000 infirmiers à l’Université du Michigan ont aussi voté massivement, pour la grève.

Dans tous les cas, les syndicats jouent le même rôle, cherchant à empêcher les grèves ou, lorsque des luttes éclatent, à les isoler et à leur imposer des défaites.

Le développement de l’opposition parmi les travailleurs de l’automobile et toutes les sections de la classe ouvrière à l’assaut de l’élite des entreprises et de la finance nécessitent la formation de comités d’usine, de lieu de travail et de quartier, indépendants des syndicats contrôlés par les entreprises. En opposition à la dictature dans les usines exercée par la direction et les syndicats, les comités d’entreprises de base doivent lutter pour le contrôle de la production par les travailleurs, y compris la vitesse de la ligne, la santé et la sécurité.

Cette action industrielle de masse de la classe ouvrière doit être combinée à une lutte politique pour le pouvoir des travailleurs, à l’expropriation des fortunes de l’élite des entreprises et des finances et à la réorganisation socialiste de la vie économique.

(Article paru d’abord en anglais le 21 septembre 2018)

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