Julian Assange nomme un nouveau rédacteur en chef de WikiLeaks

WikiLeaks a annoncé mercredi dernier que Julian Assange avait nommé le journaliste d’investigation islandais Kristinn Hrafnsson au poste de rédacteur en chef, assumant l’un de ses rôles au sein de l’organisation médiatique de lanceurs d’alerte.

Assange reste l’éditeur du site. WikiLeaks a expliqué dans une brève déclaration : « En raison des circonstances extraordinaires où Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, a été sans contact avec l’extérieur (à l’exception des visites de ses avocats) pendant six mois alors qu’il est détenu arbitrairement à l’ambassade équatorienne, M. Assange a nommé Kristinn Hrafnsson rédacteur en chef de WikiLeaks. »

Depuis la création de WikiLeaks en 2006, Assange a joué un rôle courageux et de principe en diffusant des informations censurées ou passées sous silence qui ont révélé de nombreux crimes commis par des gouvernements et des grandes entreprises du monde entier. Pour ses révélations sur les crimes de l’impérialisme américain – notamment le « massacre collatéral » par des hélicoptères Apache en Irak, les livres de bord des guerres d’Irak et d’Afghanistan et le communiqué cablegate documentant les intrigues diplomatiques mondiales de Washington – le journaliste a été victime d’une chasse aux sorcières brutale.

À la suite d’allégations sans fondement à propos d’agressions sexuelles en Suède, Assange fut menacé d’une série de fausses accusations criminelles aux États-Unis. Il a demandé l’asile politique en 2012, lorsqu’il est entré à l’ambassade équatorienne à Londres. Depuis, il a été illégalement détenu arbitrairement par les autorités britanniques, qui menacent de l’arrêter et, par conséquent, de l’extrader vers les États-Unis, s’il sortait de l’ambassade. Le siège a été renforcé en mars, lorsque le gouvernement équatorien, capitulant devant la pression énorme de Washington, a interrompu la communication d’Assange avec le monde extérieur et a indiqué qu’il s’apprêtait à l’expulser. Cette menace pourrait toujours être appliquée à tout moment.

La nomination de Kristinn Hrafnsson témoigne de la contribution inestimable de WikiLeaks à un véritable journalisme. Il souligne également la base de soutien qu’Assange conserve toujours parmi un groupe de journalistes qui ont des principes, qui ont refusé de dénoncer le journaliste assiégé ou de garder le silence face à la pression du gouvernement américain, comme l’ont fait la majorité de ses collègues au sein des médias bien établis dans le monde entier.

Hrafnsson est un journaliste d’investigation acclamé en Islande, ayant travaillé pour plusieurs journaux et journaux télévisés. Il est à l’origine de nombreuses révélations sur la corruption à haut niveau, notamment dans le secteur bancaire islandais, et a été récompensé du prix de « journaliste de l’année » en 2004, 2007 et 2010. Hrafnsson a commencé à travailler avec WikiLeaks après la publication par Assange de documents détaillant des pratiques de prêt peu scrupuleuses par la plus grande banque islandaise, sur fond de l’effondrement du système financier du pays scandinave.

Hrafnsson se rendit en Irak en avril 2010 pour s’entretenir avec les enfants des civils tués par les troupes américaines, enregistré dans la vidéo divulguée de « massacre collatéral ». Ensuite il devint le porte-parole de WikiLeaks pendant plusieurs années et était la seule personne autre qu’Assange autorisée à recevoir des informations sensibles au nom de WikiLeaks.

En 2014, il expliqua son point de vue sur l’expansion de la surveillance étatique : « Il est très étrange que nous vivions à une époque où la vie privée des individus devient pratiquement inexistante, mais le voile du secret des personnes au pouvoir s’étend chaque jour. C’est quelque chose qui va totalement à l’encontre de tous les principes et de toutes les valeurs de la société et, bien sûr, il faut l’inverser. Nous avons besoin de plus de transparence à l’égard de ceux qui sont au pouvoir. Nous avons besoin de plus de vie privée pour le simple citoyen – l’individu. »

En acceptant le poste de rédacteur en chef la semaine dernière, Hrafnsson a déclaré : « Je condamne le traitement de Julian Assange qui m’amène à mon nouveau rôle, mais je me félicite de la responsabilité de pouvoir poursuivre le travail important basé sur les idéaux de WikiLeaks. »

En dépit de la campagne extraordinaire menée par le gouvernement américain contre Assange, d’abord sous la direction du président Barack Obama et maintenant de Donald Trump, et de ses alliés, WikiLeaks continue de publier d’importants documents qui seraient autrement restés cachés au regard du public.

Vendredi dernier, deux jours après la désignation de Hrafnsson, WikiLeaks a publié un document secret de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale portant sur un paiement de commission contesté lors d’un contrat d’armements d’un montant de 3,6 milliards de dollars entre un fabricant français de chars et d’armes et les Émirats Arabes Unis (EAU).

Ce contrat portait sur la vente de 436 chars français et autres véhicules blindés (équipés de moteurs fabriqués en Allemagne) qui avaient été déployés au Yémen à partir de 2015, pour soutenir l’offensive gouvernementale brutale contre les rebelles houthis. L’attaque continue de l’Arabie saoudite et des EAU contre le Yémen, soutenue par les États-Unis, a provoqué des dizaines de milliers de morts et menace maintenant de déclencher une famine massive. WikiLeaks a partagé la publication des informations avec trois médias européens ; Der Spiegel en Allemagne, La Repubblica en Italie et Mediapart en France.

Der Spiegel a expliqué : « Il est difficile de savoir combien de ces décès sont dus aux chars envoyés par les EAU, mais il est possible de reconstituer la manière dont les engins se sont retrouvées dans la péninsule arabique. La plate-forme de lanceurs d’alertes WikiLeaks a publié un document rare qui dévoile les activités du commerce international des armes.

L’exposé souligne à nouveau le caractère diffamatoire des dénonciations de WikiLeaks accusé d’être un complice du gouvernement russe, ou, comme l’a dit l’ancien chef de la CIA et secrétaire d’état américain Mike Pompeo, un « service de renseignement non étatique hostile ». La diatribe de Pompeo – un rejet explicite de la protection de la liberté d’expression par le Premier amendement – continue à trouver son écho dans la presse de l’establishment, par la voie de diverses personnalités méprisables, que le journaliste indépendant John Pilger qualifie à juste titre de « journalistes de Vichy » (article en anglais).

La dernière en date est Frida Ghitis, ancienne correspondante et productrice de CNN, qui a publié la semaine dernière une tribune libre dans le Washington Post intitulée « L’image de Julian Assange s’assombrit chaque jour ».

Ghitis recycle toutes les calomnies contre Assange qui ont été promues par l’establishment politique aligné sur le Parti démocrate aux États-Unis depuis que Hillary Clinton a perdu l’élection présidentielle en novembre 2016. Ghitis déclare : « Assange, nous le savons maintenant, était un acteur clé dans l’opération russe visant à saper l’élection présidentielle américaine de 2016 – en aidant activement Donald Trump à devenir président et à saper la confiance des Américains dans leur démocratie, le double objectif de la campagne d’ingérence du président russe Vladimir Poutine. »

Comment Ghitis le sait-elle ? La tribune ne présente pas la moindre preuve. Pour Ghitis et ses semblables, l’affirmation de la CIA et d’autres agences de l’État est un motif suffisant pour s’opposer à un journaliste qui fait l’objet d’une assignation à résidence de fait depuis plus de six ans.

Assange, dit joyeusement Ghitis à ses lecteurs, est un « comploteur mégalomane ». Vers la fin de son billet, le chroniqueur laisse échapper ce qui constitue le véritable crime d’Assange à ses yeux, à savoir d’avoir permis au peuple américain de connaître la vérité au sujet des primaires démocrates truquées. « En juillet 2016, juste avant la Convention démocrate – le lancement de la phase finale de la campagne Clinton – WikiLeaks a publié des courriels de la DNC [Commission nationale démocrate] suggérant que le parti avait favorisé Clinton aux dépens de sénateur Bernie Sanders », note-t-elle. « Le timing a agacé la convention, poussé de hauts responsables démocrates à démissionner et a indiscutablement nui aux efforts de Clinton pour obtenir le soutien des partisans de Sanders. »

Comment Assange ou toute autre personne osent-ils « nuire aux efforts de Clinton ! » Ghitis soutient depuis longtemps les opérations impérialistes américaines, au nom de « l’intervention humanitaire » – dans les Balkans, en Afrique et en Syrie – et soutient les politiques féministes dont la campagne électorale de Hillary Clinton. (« Les épreuves de la campagne montrent la ténacité de Clinton à faire face à un assaut impitoyable et aux jeux psychologiques de ses futurs adversaires », a-t-elle écrit servilement en octobre 2016. « Mais il y a plus : avoir une femme à la présidence du pays le plus puissant du monde pour la première fois, cela pourrait être éducatif pour les hommes et inspirant pour les femmes du Moyen-Orient et même du monde entier.)

Les travailleurs du monde entier doivent rejeter les insultes et les calomnies visant à détruire Assange et continuer à soutenir WikiLeaks. Il faut continuer à exiger que Julian Assange jouisse de ses droits démocratiques fondamentaux et qu’il lui soit permis de quitter l’ambassade d’Équateur, sains et saufs, et avec une garantie contre l’extradition vers les États-Unis.

(Article paru en anglais le 1 octobre 2018)

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