Canada: un programme socialiste est nécessaire pour combattre le danger populiste de droite

Cette déclaration sera diffusée par des sympathisants du PES à une «marche contre le racisme» qui est organisée ce dimanche à Montréal par divers groupes de pression des classes moyennes. Cette marche prend place quelques jours après le scrutin du 1er octobre au Québec qui s’est soldé par l’élection d’un gouvernement majoritaire des populistes de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ).

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Pour combattre l’assaut brutal mené par l’élite dirigeante québécoise et canadienne – tous partis confondus – sur les immigrants, les réfugiés et les droits démocratiques, il faut une mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste et la guerre impérialiste.

Une telle mobilisation exige avant tout une lutte intransigeante pour démasquer l’aile «gauche» au sein de l’establishment politique – la bureaucratie syndicale, les sociaux-démocrates du NPD, le Parti québécois et ce que Québec solidaire appelle la «famille souverainiste» dont il fait pleinement partie.

C’est cette supposée «gauche» qui – en imposant ou facilitant l’assaut anti-ouvrier de la grande entreprise et en encourageant ouvertement ou tacitement le chauvinisme anti-immigrants – a créé les conditions pour que des forces populistes de droite, comme la CAQ au Québec ou Doug Ford en Ontario, prennent le pouvoir en exploitant la désaffection populaire envers les partis traditionnels de la classe dirigeante.

Partout dans le monde, l’élite dirigeante voit la montée d’un sentiment anti-austérité et anti-guerre parmi les travailleurs et les jeunes, ce qu’elle perçoit avec raison – malgré son caractère encore politiquement inarticulé – comme une menace à l’ordre capitaliste. Sa réponse est d’attiser la xénophobie contre les réfugiés et les immigrants pour détourner l’attention de la véritable cause de la pauvreté de masse et de l’insécurité économique: le capitalisme en faillite.

Grâce à l’agitation xénophobe de tous les partis et médias de la grande entreprise, et au soutien venant des plus hauts sommets de l’État capitaliste, des forces populistes et nationalistes de droite – par exemple Trump aux États-Unis, l’AFD néo-fasciste en Allemagne ou la Ligue du Nord d’extrême-droite en Italie – sont mobilisées par une classe dirigeante qui prépare des mesures anti-démocratiques de répression contre l’opposition sociale montante de la classe ouvrière.

La classe ouvrière et la défense des droits démocratiques

Cette analyse socialiste de la montée du chauvinisme et de la xénophobie – partant d’un point de vue international et basée sur la classe ouvrière mondiale en tant que seule force sociale capable de contrer le tournant accéléré de l’élite dirigeante vers la droite par sa propre lutte de classe indépendante contre le capitalisme et la guerre – est rejetée par les organisateurs de la marche d’aujourd’hui contre le racisme.

Ces derniers – une coalition amorphe de militants anti-racistes, groupes de pression des classes moyennes et éléments pseudo-marxistes – mettent plutôt de l’avant un programme nationaliste de protestation, qui constitue un piège politique pour la classe ouvrière visant à garder ses luttes confinées dans le cadre du capitalisme et de l’État national au sein duquel il s’est historiquement développé.

Cette «coalition contre le racisme» détache la montée du chauvinisme au Québec de sa source objective qu’est la crise capitaliste mondiale. Elle en fait un phénomène largement «québécois», séparé des développements parallèles qui prennent place dans le reste du Canada et à travers le monde, en particulier le lien étroit qui existe entre la montée de la droite et l’imposition de brutales politiques d’austérité et de guerre par la «gauche» traditionnelle – le parti socialiste français, le parti travailliste britannique, le parti social-démocrate allemand, le parti démocrate américain soutenu par les syndicats. Politiquement sceptique envers les travailleurs, qu’elle dépeint comme étant attirés, sinon dominés, par le racisme, ses appels «anti-racistes» s’adressent aux sections supposément libérales de la classe dirigeante et de l’État capitaliste.

En point de presse plus tôt cette semaine, la porte-parole de la manifestation d’aujourd’hui, Safa Chebbi, a endossé le discours des grands médias sur le supposé «raz-de-marée» de la CAQ aux dernières élections, qui sert avant tout à intimider politiquement les travailleurs dont l’opposition aux mesures radicales de droite du nouveau premier ministre François Legault ne tardera pas à éclater.

Passant sous silence le fait que seulement un électeur sur quatre a voté pour la CAQ, et que c’était largement un vote de protestation contre les partis traditionnels de la classe dirigeante québécoise que sont les Libéraux et le Parti québécois, Chebbi a soutenu que le nouveau gouvernement était «le fruit de plusieurs années où le racisme a été normalisé dans le débat public». Elle laissait ainsi entendre que le racisme s’est emparé d’une bonne partie de l’électorat – une calomnie contre la classe ouvrière qui figure de manière plus explicite sur le site web de la marche d’aujourd’hui dans sa condamnation des politiques de droite de Legault «et de ses nombreux partisans d’extrême droite».

Lors du même point de presse, un autre organisateur de la manifestation, Javiera Araya de l’organisme Solidarité Sans Frontières, a fait appel dans la supposée lutte «contre le racisme» à ce bastion de racisme et de violence systématique contre les minorités ethniques qu’est la police de Montréal, en réclamant «la fin de la collaboration entre le Service de police de la ville de Montréal et les services frontaliers».

Une véritable opposition à la montée du chauvinisme québécois doit forger l’unité des travailleurs du Québec avec leurs frères et sœurs de classe du Canada, des États-Unis et d’outremer dans la lutte contre la guerre impérialiste, l’austérité capitaliste et l’assaut patronal sur les droits des immigrants et des minorités religieuses, qui fait partie d’un assaut sur tous les droits démocratiques.

Le principal obstacle à la mobilisation politique indépendante des travailleurs est formé par la bureaucratie syndicale, qui étouffe depuis des décennies l’opposition des travailleurs aux attaques de la grande entreprise sur les emplois, les salaires, les pensions et les services publics. Et lorsque des luttes sociales éclatent malgré tout – par exemple lors de la grève étudiante qui a secoué le Québec en 2012 et menacé de s’étendre à la classe ouvrière dans un large mouvement anti-austérité, ou en 2015 lors de la lutte militante du plus d’un demi-million de travailleurs du secteur public contre les concessions drastiques exigées par le gouvernement libéral d’alors –, les syndicats interviennent rapidement pour les isoler, les confiner à un cadre strictement provincial et les torpiller en fin de compte.

Le rôle de Québec solidaire dans la montée du chauvinisme québécois

Un allié fidèle des syndicats a été Québec solidaire, un parti supposément «de gauche» qui a bénéficié aux dernières élections, à son propre étonnement, du sentiment anti-austérité qui grandit notamment parmi les jeunes. Ses timides demandes de réformes sociales sont dérisoires devant la catastrophe sociale causée par le capitalisme et ne dépassent jamais le cadre du système de profit.

Formé de couches aisées des classes moyennes, QS est hostile à la lutte de classe des travailleurs, comme en attestent son rôle dans la grève étudiante de 2012 où il a aidé les centrales syndicales à détourner ce mouvement derrière le parti de la grande entreprise qu’est le PQ, et son rôle dans la lutte des travailleurs du secteur public de 2015 où il a qualifié de «victoire» ce qui était une capitulation complète des syndicats avec le maintien des coupes sociales du gouvernement Couillard et des reculs majeurs dans les salaires, les conditions de travail et les régimes de pension.

Un rôle particulièrement pernicieux a été joué par QS dans la montée du chauvinisme québécois le plus virulent. QS a qualifié de légitime le débat sur les accommodements «excessifs» supposément accordés aux minorités culturelles et religieuses sur lequel avait politiquement surfé il y a dix ans le prédécesseur de la CAQ, l’Action démocratique du Québec de Mario Dumont. Il a refusé de condamner fermement la Charte des valeurs québécoises présentée en 2013 par le gouvernement péquiste minoritaire de Pauline Marois pour cibler les minorités, surtout de foi musulmane, travaillant dans le secteur public: QS a seulement regretté que le PQ soit allé trop loin. Québec solidaire a ensuite pris une position ambivalente sur le projet de loi 62 (sur la «neutralité de l’État») des libéraux de Philippe Couillard, qui visait à priver les femmes dont le visage est voilé pour des raisons religieuses des services publics de santé, d’éducation et de transport en commun: QS s’y est opposé sur la seule base qu’une telle loi serait «inapplicable». Et QS a une responsabilité politique dans la loi discriminatoire annoncée par la CAQ pour interdire aux soi-disant «représentants de l’État» – les juges, les policiers et même les enseignants – de porter des signes religieux ostentatoires comme le foulard islamique: QS a lui-même constamment réclamé une telle mesure (sans y inclure les enseignants).

Dans la mesure où QS prend une certaine distance envers les manifestations les plus criantes de chauvinisme anti-immigrants, c’est du point de vue de la simple moralité. QS cache la fonction politique essentielle de l’islamophobie, qui est de diviser la classe ouvrière et de justifier les guerres impérialistes lancées au Moyen-Orient et ailleurs par Washington, avec le plein soutien d’Ottawa. Dans les rares occasions où ce parti provincialiste prend position sur les grandes questions internationales comme la guerre, c’est pour couvrir les propres actions impérialistes du Canada d’un voile pseudo-humanitaire. QS n’a pas dénoncé l’augmentation du budget militaire canadien de 70 pour cent sur 10 ans par le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau.

Québec solidaire ne cache pas ses ambitions de «jouer dans les grandes ligues» en s’intégrant encore plus à l’establishment dirigeant, y compris en entrant au gouvernement. Il suit ainsi les traces de son «cousin» grec SYRIZA (Coalition de la gauche radicale) qui a pris le pouvoir en promettant la fin de l’austérité capitaliste, mais a vite renié ses promesses en formant une coalition avec un parti nationaliste grec de droite et en imposant des coupes sociales encore plus draconiennes que ses prédécesseurs.

Le rôle central de QS est de raviver le programme discrédité de l’indépendance du Québec, le programme d’une section de la classe dirigeante pour établir une République du Québec capitaliste afin de mieux défendre ses propres intérêts de classe, y compris de mieux positionner les entreprises québécoises sur le marché mondial au moyen d’un assaut accru sur les conditions de travail et les services publics et de diviser les travailleurs du Québec de la classe ouvrière canadienne selon des lignes linguistiques et ethniques.

Dans le contexte d’une montée de la lutte des classes à l’échelle internationale, nous appelons tous les véritables opposants politiques de la CAQ à lier étroitement l’opposition au racisme et au chauvinisme anti-immigrants à la lutte des travailleurs pour la défense des emplois, des salaires et des programmes sociaux. Seule la lutte pour un gouvernement ouvrier voué à l’égalité sociale peut préserver les droits démocratiques bafoués par une classe capitaliste qui se tourne vers la réaction débridée.

Contactez le Parti de l’égalité socialiste, qui lutte au Canada en entière solidarité politique avec le Comité International de la Quatrième Internationale. Le CIQI est l’héritier politique des luttes de principe qui ont été menées pour préserver l’unité internationale de la classe ouvrière, et combattre toutes les formes d’opportunisme au sein du mouvement ouvrier mondial telles que le stalinisme et la social-démocratie, par la Quatrième Internationale fondée par Léon Trotsky et qui fête cette année le 80ème anniversaire de sa fondation.

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