Les Etats-Unis assignent en justice un prétendu « espion chinois »

Dans une escalade dramatique de sa déclaration de guerre économique et stratégique contre la Chine, le gouvernement américain a révélé hier qu’un citoyen chinois accusé d’être un agent de renseignement avait été arrêté et extradé de Belgique pour être accusé d’avoir conspiré pour commettre « de l’espionnage économique » et voler des secrets commerciaux.

Bien que de nombreuses circonstances entourant l’affaire demeurent extrêmement obscures, l’extradition de Yanjun Xu comme prétendu « espion » chinois est sans précédent. Xu aurait été interpellé par les autorités belges le 1ᵉʳ avril à la suite d’une opération de coup monté américain dans lequel il a été attiré en Belgique depuis la Chine par une proposition d’information sur un concept d’hélices de ventilateur développée par GE Aviation, géant américain de l’aérospatiale.

Malgré une vague croissante d’allégations vagues et non-fondées du gouvernement américain et des médias faisant état d’un « vol » de technologies commerciales et militaires par la Chine, c’est la première fois qu’un prétendu agent chinois est arrêté et transféré aux États-Unis pour y être jugé.

En outre, le calendrier de l’opération marque une nouvelle étape dans la campagne de plus en plus ouverte de Washington visant à empêcher la Chine de défier l’hégémonie mondiale des États-Unis sur le plan militaire et économique. Cette campagne combine des droits de douane punitifs, une guerre commerciale et des sanctions avec des allégations à l’emporte-pièce « d’espionnage » et « d’ingérence » chinois aux États-Unis.

L’extradition de Xu a été annoncée quelques jours après que le président américain Donald Trump, le vice-président Mike Pence et le directeur du FBI Christopher Wray aient tous déclaré que la Chine était la plus grande menace à la sécurité économique et militaire des États-Unis.

Cela est intervenu également moins d’une semaine après la publication par le Pentagone d’un document de 146 pages intitulé « Évaluer et renforcer la résilience de la base industrielle et la chaîne logistique des industries manufacturières de la défense des États-Unis » qui indiquait sans détour que Washington se préparait à un effort de guerre totale massif contre la Chine et la Russie.

Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lu Kang, a immédiatement rejeté les accusations américaines, affirmant lors d’une conférence de presse hier qu’elles étaient « purement fabriquées ». Il a déclaré : « Nous espérons que les États-Unis pourront régler le problème de manière juste et légale et garantir les intérêts légitimes d’un citoyen chinois. »

Néanmoins, le dévoilement du guet-apens contre Xu s’est accompagné d’accusations provocatrices contre la Chine, intensifiant la confrontation avec Pékin et portant préjudice à toute possibilité que Xu n’obtienne un procès équitable sur des charges passibles, s’il est condamné, de 15 ans en prison.

Alors que Xu comparaissait pour la première fois devant un tribunal fédéral de l’Ohio hier, le procureur général adjoint à la Sécurité nationale, John Demers, a déclaré : « Cette affaire n’est pas un incident isolé. Cela fait partie d’une politique économique généralisée visant à développer la Chine aux dépens des États-Unis […] Nous ne pouvons tolérer qu’une nation vole notre puissance de feu et les fruits de notre intelligence. »

De même, le directeur adjoint du FBI, Bill Priestap, a déclaré aux médias : « Cette extradition sans précédent d’un officier des renseignements chinois révèle la supervision directe exercée par le gouvernement chinois sur l’espionnage économique contre les États-Unis. »

Cette manière de parler faisait écho à celle du directeur du FBI, Christopher Wray, qui avait qualifié la Chine de « menace la plus généralisée, la plus complexe et la plus durable » pour les intérêts des États-Unis lors d’une audience devant la Commission de la sécurité intérieure du Sénat.

Les accusations concordaient également avec le discours belliqueux de Pence de la semaine dernière, dans lequel il accusait Pékin de conseiller à « ses bureaucrates et ses entreprises de se procurer la propriété intellectuelle américaine – le fondement de notre supériorité économique – par tous les moyens nécessaires. » Et Trump lui-même avait auparavant accusé la Chine d’ingérence aux États-Unis dans les élections de mi-mandat dans une tentative de le démettre de ses fonctions.

L’acte d’accusation contre Xu affirme qu’il est directeur adjoint d’une division du ministère de la Sécurité de l’État de Chine, l’agence de renseignement du pays. Mais les accusations portées contre lui ont trait à ce qui semble être des activités de routine impliquant des échanges d’informations entre chercheurs et universitaires, dans lesquelles Xu était engagé par l’Association de promotion des sciences et de la technologie du Jiangsu.

Les procureurs ont allégué que Xu avait travaillé de 2013 à cette année avec d’autres associés du ministère et plusieurs universités chinoises pour obtenir « des informations sensibles et confidentielles » de sociétés aéronautiques et aérospatiales. Ils ont déclaré qu’il avait invité des experts à se rendre en Chine, souvent dans le but initial de faire une présentation universitaire, et dont il a assumé leurs frais.

De telles invitations et arrangements sont monnaie courante parmi les universitaires, les scientifiques et les experts en technologie. Par conséquent, les accusations portées contre Xu constituent également une menace plus large pour les libertés individuelles et les droits démocratiques fondamentaux, y compris ceux de milliers de chercheurs et étudiants chinois ou d’origine chinoise aux États-Unis.

Dans son discours de la semaine dernière, Pence a qualifié les plus de 300 000 étudiants chinois qui étudient aux États-Unis, ainsi que leurs organisations, « d’écrans de fumée » potentiels qu’il fallait contrer à mesure que Washington met les États-Unis sur le pied de guerre contre la Chine.

Xu a été attiré en Belgique après des mois d’opérations secrètes menées par des agents du FBI et travaillant en collaboration avec GE Aviation. Hier, le ministère de la Justice a félicité GE Aviation pour sa coopération dans l’enquête.

Cette opération conjointe souligne la fusion croissante des géants américains du secteur de la technologie, qui bénéficient de contrats énormes du Pentagone, avec l’appareil répressif des renseignements et de la police qui protègent de manière agressive les intérêts nationaux et mondiaux de l’impérialisme américain.

Les médias institutionnels ont placardé des titres sensationnels portant sur un « espion chinois » accusé d’avoir volé des secrets. Mais toutes activités diplomatiques et de renseignement chinoises axées sur les États-Unis ont sans aucun doute une importance insignifiante par rapport aux opérations massives menées par la surveillance et les agences militaires de Washington contre la Chine et tous les autres pays. Celles-ci ont été documentées à fond par le lanceur d’alerte de l’Agence nationale de sécurité, Edward Snowden, et le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange.

De manière significative, Stratfor, qui entretient des liens étroits avec l’appareil de sécurité américain, a qualifié « d’inhabituelle » la décision de transporter Xu aux États-Unis pour un procès public, au lieu de l’échanger pour un espion ou un informateur américain arrêté par la Chine. Le journal gouvernemental chinois Global Times a déclaré que cette opération sans précédent pourrait être liée au « démantèlement » annoncé en 2010-2012 par les autorités chinoises d’un réseau d’agents de la CIA à travers le pays.

Le 15 août, Foreign Policy a annoncé que la CIA avait « bâclé le système de communication utilisé auparavant pour interagir avec ses sources en Chine, selon cinq responsables du renseignement et d’anciens responsables des services de renseignement ». Des dizaines d’espions américains présumés auraient été exécutés. La Chine n’a ni confirmé ni démenti les informations de Foreign Policy et les agences américaines ont refusé de les commenter.

Ce qui est évident, c’est que, en saisissant Xu et en le traduisant en justice huit mois plus tard dans un procès-spectacle, le gouvernement des États-Unis a fait un pas de plus vers un affrontement militaire avec la Chine.

(Article paru en anglais le 12 octobre 2018)

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