Perspectives

Perquisition chez Mélenchon: l’État attaque la France insoumise

Les perquisitions menées hier chez Jean-Luc Mélenchon et aux locaux de la France insoumise (LFI) à Paris représentent une attaque majeure contre les droits démocratiques en Europe. C’est une opération politique lancée sur de faux prétextes contre une organisation ayant recueilli le vote de 20 pour cent des Français aux élections présidentielles de 2017. Si la première cible est Mélenchon, l’opération vise dans l’analyse finale à intimider toute opposition au gouvernement Macron.

Environ 100 policiers, selon les estimations de LFI, sont allés réveiller Mélenchon et fouiller son appartement, ainsi que ceux de ses collaborateurs, et aspirer toutes les données sur les ordinateurs aux locaux de LFI ainsi que du Parti de gauche (PG).

Mélenchon a réagi en tournant une vidéo de son appartement occupé par la police et en demandant à ses sympathisants de manifester devant les locaux perquisitionnés de LFI. «Vous me trouvez une drôle de tête, c’est parce que je fais l’objet d’une perquisition depuis 7 heures du matin chez moi, ainsi qu’au siège du Parti de gauche ainsi qu’au siège de la LFI. ... Toute ma maison est remplie de gens: s’il vous plaît, dites partout que ceci est un acte politique, une agression politique.»

Le procureur aurait cité deux affaires pour lancer les perquisitions: les allégations l’année dernière que Mélenchon aurait rémunéré des cadres de LFI via des emplois fictifs au Parlement européen, et celles que les comptes de campagne de LFI auraient été truqués.

Ces accusations douteuses ne justifient aucunement le coup de filet dirigé par la justice contre LFI. La première vient de l’eurodéputée néo-fasciste Sophie Montel, qui a expliqué après coup que c’était simplement un «pied de nez» visant à se venger des accusations que le Front national aurait eu recours à des emplois fictifs. Mélenchon y avait d’ailleurs réagi en portant plainte contre Montel pour dénonciation calomnieuse.

La seconde, venant de diverses sources dont l’association Anticor, met en cause des «prestations à des proches» que LFI aurait surfacturées afin d’assurer des profits à des proches de Mélenchon. Certaines de ces accusations, dont celles qui visaient la société Médiascop détenue par Sophia Chikirou, la directrice de communication de Mélenchon à la présidentielle, ont déjà été classées sans suite. Les comptes de campagne de Mélenchon ont été validés.

Le Parti de l’égalité socialiste (PES) a documenté ses différends politiques avec le populisme antimarxiste et antitrotskyste de Jean-Luc Mélenchon. Mais ce genre d’opération visant LFI est une atteinte aux droits démocratiques de tous, et le PES défend LFI contre les manoeuvres concoctées par une alliance de fait entre la justice, l’extrême-droite et le gouvernement Macron.

Le choix d’utiliser ces allégations pour fouiller les locaux de l’organisation ayant recueilli le plus de votes de gauche en 2017 est éminemment politique. La campagne de Macron et de La République en Marche (LRM) fait aussi l’objet d’accusations similaires, qui sont à présent monnaie courante dans les élections françaises, mais elle n’a pas subi de pareilles perquisitions.

Avant tout, même si la justice enquêtait sur des accusations de ce genre, cela ne justifierait pas la décision d’aspirer toutes les données informatiques d’une organisation disposant d’environ 240.000 sympathisants, dont l’écrasante majorité n’a rien à voir avec de telles affaires. Des questions sérieuses se posent: quelles données les forces de l’ordre ont-t-elle recueillies sur des masses de sympathisants ou d’électeurs LFI? Et que feront-elles avec les masses de fichiers qu’elles ont ainsi recoltées?

Ces questions se posent avec une urgence particulière dans le contexte actuel de montée des pouvoirs de police et de répudiation des droits sociaux et démocratiques acquis à travers les luttes ouvrières au 20e siècle, au courant de la Libération et de la chute du fascisme. Après dix ans de profonde crise capitaliste depuis le krach de Wall Street en 2008, la bourgeoisie prend des mesures de plus en plus violentes visant toute opposition sociale.

Macron, le président des riches, est aux abois, répudié par une majorité écrasante des travailleurs. Sa casse des statuts des cheminots et des fonctionnaires et les coupes claires qu’il veut imposer aux retraites, à la Sécu et à l’assurance-chômage suscitent une opposition sourde qui terrifie l’ensemble de la classe politique. Ces mesures, qui traduisent en France le programme d’enrichissement des milliardaires et de renforcement des armées mené par toute l’Union européenne, vont de pair avec la construction par la classe dirigeante d’États policiers à travers l’Europe.

Entre 2015 et 2017, la France a vécu pendant deux ans sous un état d’urgence qui suspendait les droits démocratiques de base et qui a massivement accru les pouvoirs de perquisition et d’assignation à résidence dont disposent les forces de l’ordre. En même temps, l’état d’urgence servait de prétexte à matraquer l’opposition sociale à la loi travail impopulaire du PS.

L’impopularité de Macron, qui a pris deux semaines pour trouver suffisamment de ministres qui accepteraient de travailler avec lui pour remanier son gouvernement, témoigne d’une crise de régime et de l’effondrement de la démocratie européenne dans son ensemble. A présent, un gouvernement italien néofasciste menace de déporter les réfugiés en masse. Et des responsables allemands dont le ministre de l’Intérieur Horst Seehofer ont déclaré leur sympathie pour des émeutes néo-nazies à Chemnitz, lors desquelles on a attaqué des établissements juifs.

Cette évolution donne d’ailleurs raison aux critiques formulées par le PES à l’encontre de Mélenchon. Ayant déclaré la mort de la gauche et du socialisme dans son livre L’Ère du peuple, l’ex-ministre PS a refusé d’appeler à un boycott actif et à la construction d’un mouvement contre Macron au second tour des présidentielles entre Macron et Marine Le Pen.

Cette année, Mélenchon a couvert la capitulation des syndicats qui ont approuvé la casse de la SNCF et invité des députés de droite à discuter de questions militaires à l’université d’été LFI. Il déclarait alors que, «Quand il s’agit de protéger l’État et de faire respecter la norme républicaine, il y a une convergence avec la droite, je l’assume.»

A présent, Mélenchon a récolté le fruit empoisonné des illusions qu’il semait là. Hier soir, il s’est trouvé réduit à demander à l’Assemblée si la France était encore un État de droit, sous les huées des députés de droite et de LRM.

La question décisive est d’unifier les travailleurs en lutte et de mobiliser la classe ouvrière à travers l’Europe dans un mouvement révolutionnaire pour défendre les droits démocratiques et les acquis sociaux, et s’opposer à la guerre et à la militarisation de la société. Pour cela, il faut rompre sans pitié avec le nationalisme et les liens avec la social-démocratie et la droite que véhicule Mélenchon.

Et face au danger de dictature révélé par l’attaque de l’État contre LFI, il faut défendre les droits de Mélenchon et de son mouvement contre l’État policier.

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