Allemagne : les élections en Bavière portent un coup dur au gouvernement de grande coalition

Le résultat des élections régionales qui se sont déroulées dimanche en Bavière constituent un coup dur pour la grande coalition (Union démocrate-chrétienne - CDU, Union sociale chrétienne - CSU et Parti social-démocrate - SPD) qui gouverne l'Allemagne. Après que l'Union conservatrice (CDU et CSU) et le SPD eurent obtenu leurs plus mauvais résultats depuis la guerre aux élections législatives de septembre 2017, ces partis ont subi une défaite encore pire à la première élection régionale de cette année, perdant collectivement plus de 21% des voix, les électeurs exprimant leur opposition à la politique droitière du gouvernement.

La CSU, qui gouverne la Bavière depuis 1957, n’a recueilli que 37,3% des voix et a manqué la majorité absolue. C'était son pire résultat depuis 1950. Lors des dernières régionales de 2013, le parti avait encore remporté 47,7 pour cent des voix.

Le SPD a perdu encore plus de voix que la CSU n’obtenant que 9,5% des voix, soit une chute de 11,1%, son pire résultat lors d’une élection dans l’histoire de l’après-guerre. Au niveau fédéral, les sociaux-démocrates se situent maintenant à 15%, un record historique.

«Nous n'avons pas pu convaincre les électeurs et c'est bien amer», a déclaré Andrea Nahles, présidente du SPD, visiblement dépitée, lors de la soirée électorale. Une des raisons de ce résultat misérable était la «mauvaise performance de la grande coalition» à Berlin. Le SPD avait été incapable de « se libérer des différends politiques entre la CDU et la CSU ».

Le résultat en Bavière confirme la profonde aversion des travailleurs et des jeunes à l’égard du SPD, le parti qui a introduit la politique antisociale de l’Agenda 2010, a plongé des millions de personnes dans la pauvreté et créé le plus grand secteur à bas salaires d’Europe. La «performance» du SPD au sein de la grande coalition a consisté à intensifier la politique militariste, à renforcer la police et les agences de renseignement et à mener des coupes sociales en s'appuyant sur le soutien des forces les plus à droite.

Le président de la CSU et ministre fédéral de l'Intérieur, Horst Seehofer, n'a pu mettre en œuvre son «Plan directeur pour la migration» (largement basé sur la politique de l'AfD d'extrême droite) qu'avec le soutien du SPD. La même chose s’applique à Hans-Georg Maassen, président toujours en poste du service de renseignement intérieur BfV, qui travaille en étroite collaboration avec l’AfD et les cercles d’extrême droite. Lorsque des milliers de néo-nazis ont défilé dans la ville de Chemnitz fin août, pourchassant les migrants et les gens de gauche et attaquant un restaurant juif, Maassen et Seehofer ont tous deux exprimé leur solidarité avec les bandes d'extrême droite.

L'opposition populaire monte à mesure que le SPD cimente ses relations avec l'extrême droite. Un jour avant les élections en Bavière, un quart de million de personnes sont descendues dans les rues de Berlin pour protester contre l'AfD et le programme de droite du gouvernement fédéral et des partis d'opposition. Malgré une augmentation du taux de participation électorale de près de 10% en Bavière par rapport à 2013, ce sentiment ne pouvait que trouver une expression déformée au sein du système des partis existants.

Les Verts ont été le principal parti à en tirer profit obtenant 17,5% des suffrages, soit environ 9% de plus qu’il y a cinq ans. Selon l'institut de recherche sur les élections Infratest dimap, la principale augmentation du nombre de voix des Verts provient d'anciens électeurs du SPD (210 000) et de la CSU (180 000). En outre, environ 120 000 anciens non-votants ont donné leur vote aux Verts cette fois-ci.

Certains ont peut-être voté pour les Verts avec l'idée que le parti est moins agressif en matière de politique relative aux réfugiés que les autres partis. Mais c'est une illusion. Après que les anciens pacifistes Verts eurent soutenu la première intervention militaire de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale (en Yougoslavie) en 1999, face à une opposition populaire acharnée, le parti a aussi viré nettement à droite dans le domaine de la politique sociale et de la protection des réfugiés.

Partout où les Verts sont au gouvernement, ils soutiennent les mesures d'État policier et la déportation brutale des réfugiés. Dans l’État de Hesse, la coalition au pouvoir de la CDU et des Verts, dirigée par Volker Bouffier (CDU), a établi de nouveaux records en matière de déportations. Près de 600 hommes et femmes ont été déportés au cours des quatre premiers mois de cette année, soit 50% de plus que durant la même période en 2017. La prochaine élection des Lands aura lieu en Hesse dans un peu moins de deux semaines.

En Bavière, les Verts se préparent à former une coalition avec la CSU de Seehofer et à appliquer sa ligne politique d'extrême droite contre une résistance populaire croissante. Les principaux candidats verts en Bavière, Ludwig Hartmann et Katharina Schulze, ont tous deux exprimé leur soutien à une alliance avec la CSU tout comme les dirigeants Verts de Berlin. La porte-parole du Parti Vert, Franziska Brantner, a souligné que «à la suite des négociations sur une coalition jamaïcaine (une coalition de conservateurs, de Verts et du parti néo-libéral FDP) au niveau fédéral, nous sommes prêts à aller jusqu'au bout, nous voulons participer de manière constructive et montrer que nous sommes plus déterminés que le SPD. »

Immédiatement après les élections, toutefois, il semblait que le CSU cherchait à former une administration avec les Electeurs libres (FW) basés en Bavière, qui avait recueilli 11,6% des voix (un gain de 2,6%). Le soir des élections, le premier ministre bavarois, Markus Söder (CSU), a déclaré que la CSU avait «un mandat gouvernemental clair» et cherchait une «alliance civique» avec les Electeurs libres. Le président de FW, Hubert Aiwanger, a annoncé qu'il « mettrait des propositions réalisables sur la table de Söder ».

Le FDP entre dans le nouveau parlement avec 5,1% des voix tandis que le Parti de gauche, avec 3,2%, n'a pas franchi le seuil des 5% nécessaires pour entrer au parlement. Le Parti de gauche est largement considéré par les travailleurs et les jeunes comme un ennemi politique plutôt qu'une alternative. Dans les gouvernements où le Parti de gauche est allié au SPD ou aux Verts, il applique des politiques d'austérité aux conséquences désastreuses. Dans la politique sur les réfugiés, le parti présente des vues nationalistes et d'extrême droite.

Récemment, la cheffe de la fraction parlementaire du Parti de gauche, Sahra Wagenknecht, s'est prononcée ouvertement contre la manifestation de masse du 13 octobre à Berlin. « Lorsque nous parlons de l'ouverture des frontières pour tous, nous nous référons à une demande que la plupart des gens trouvent irréelle et complètement naïve, et ils ont raison », a-t-elle expliqué, faisant écho à l'AfD. Il est déjà clair que son mouvement nouvellement fondé, Aufstehen (Debout), n'est qu'un mouvement nationaliste droitier visant à s'opposer à la résistance croissante au racisme et à la xénophobie.

Wagenknecht et le Parti de gauche s'inquiètent de la montée de l'opposition sociale et politique et ont adopté la propagande d'extrême droite xénophobe de l'AfD. Elle a rapidement reçu les louanges du chef de file de l'AfD, Alexander Gauland. Gauland, qui a publié il y a quelques jours à peine un article dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, basé en grande partie sur un discours prononcé par Hitler en 1933, a loué Wagenknecht comme une «voix courageuse de la raison».

Bien que les élites dirigeantes en Allemagne et leurs principaux médias et partis promeuvent systématiquement l'AfD et légitiment ses politiques néfastes, les extrémistes de droite ont reçu moins de voix que prévu. Son résultat d'environ 10 pour cent était inférieur à celui enregistré en Bavière à l'élection fédérale de septembre 2017 (12,4 pour cent).

Mais ce n'est pas une raison pour baisser la garde. Quel que soit le gouvernement formé en Bavière, il ira invariablement plus à droite et s’orientera davantage encore vers le programme de l’AfD. La menace de la droite ne peut être arrêtée que par la mobilisation indépendante de la classe ouvrière sur la base d'un programme socialiste. La construction du Parti de l'égalité socialiste (SGP) revêt donc une importance cruciale.

(Article paru en anglais le 15 octobre 2018)

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