Le Brexit dans une impasse au sommet de l’Union européenne

La Première ministre britannique Theresa May a tenu une nouvelle série de négociations avec les dirigeants de l’Union européenne à Bruxelles jeudi, après que l’accord qu’elle avait conclu avec son gouvernement en juillet ait été officiellement rejeté mercredi soir par l’UE.

Les pourparlers sur les conditions de la sortie (Brexit) du Royaume-Uni de l’Union européenne ont terminé dans l’impasse, principalement à propos du statut de l’Irlande du Nord pendant et après la période de transition jusqu’au Brexit complet commençant le 29 mars de l’année prochaine.

Dans ce qui est maintenant devenu une humiliation de routine, May n’a eu que 15 minutes pour parler mercredi soir avant que les 27 de l’UE (sans le Royaume-Uni) ne suspendent la séance pour dîner et discuter davantage du Brexit entre eux. Avant l’arrivée de Theresa May, l’UE avait déjà déclaré que les progrès réalisés étaient insuffisants pour justifier la convocation d’un sommet extraordinaire prévu les 17 et 18 novembre pour finaliser un accord.

La chancelière allemande Angela Merkel a déclaré que les négociations étaient dans l’impasse et que May devait revenir avec de « nouvelles idées ». Une source diplomatique a déclaré qu’elle avait insisté pour que l’UE « tienne bon » contre le Royaume-Uni dans les prochaines semaines. Le chancelier autrichien Sebastian Kurz a déclaré que tout progrès pourrait prendre « des semaines ou des mois ».

Pour May, le temps lui est compté. Une dernière réunion en décembre est possible, mais si cela est exclu, l’échéance pour une sortie en mars est impossible, car tout accord doit être ratifié par les 27 parlements membres de l’UE.

Il y a un débat ouvert sur le fait que la période de transition britannique post-Brexit, prévue pour 21 mois se terminant le 31 décembre 2020, sera prolongée d’un an. Dans une tentative désespérée de calmer les conservateurs en faveur d’un « Brexit dur » (sans accord), qui rejettent de telles initiatives, May a déclaré : « Ce ne serait que pour quelques mois, et en tous cas on ne s’attend pas à ce que cela entre en jeu, car nous travaillons de sorte que nos relations futures soient en place d’ici à la fin de 2020 ».

Une sortie de l’UE sans accord où le Royaume-Uni n’aura plus d’accès au marché unique et à l’Union douanière est contestée par de sections dominantes des affaires. L’organisation d’employeurs de la Confederation of Business Institute a déclaré : « La nécessité d’un compromis entre les deux parties pour convenir d’un accord de retrait et garantir la période de transition est attendue depuis longtemps […] Si une prolongation de la période de transition facilite la conclusion d’un accord de sortie, il convient de s’en féliciter ».

Les partisans de May ont présenté l’extension possible comme une concession de l’UE, mais c’est un cadeau empoisonné. Jeroen Dijsselbloem, l’ancien président du groupe euro, a plaidé cette semaine pour une prolongation au motif que les divisions politiques au sein des conservateurs de Theresa May au pouvoir étaient insolubles. Son appel était explicitement lié à la perspective permettant « de nouvelles élections ou un deuxième référendum [en Grande-Bretagne] si l’accord est rejeté à moyen terme, ce qui semble encore assez probable. »

Phillip Stephens a écrit dans le Financial Times : « La menace d’un non-accord et d’un Brexit au bord du gouffre pourrait bien voir le Parlement forcer la main du Premier ministre. Une prolongation serait également nécessaire si la paralysie devait entraîner le départ de Mme May et / ou des élections législatives. Cela ouvrirait la possibilité d’un deuxième référendum. »

Six des partisans en faveur du Brexit les plus en vue – l’ancien secrétaire au Brexit, David Davis, l’ancien secrétaire aux affaires étrangères, Boris Johnson, et les députés, Jacob Rees Mogg, Iain Duncan Smith, Owen Paterson et Priti Patel, ont signé une lettre ouverte à May pour s’opposer à toute concession :

« Nous avons tous été élus sur un manifeste pour obtenir une indépendance totale en quittant l’union douanière et le marché unique », ont-ils insisté. L’Irlande du Nord et le Royaume-Uni ne sauraient rester dans aucun arrangement transitoire de « soutien » basé sur un alignement réglementaire avec l’UE. Au lieu de cela, un « super accord de libre-échange du genre canadien » devrait être négocié pour « l’ensemble du Royaume-Uni […] Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons gagner le gros lot, l’accès au large éventail d’opportunités commerciales disponibles en dehors de l’UE, et nous libérer du fardeau de la réglementation de l’UE. »

Le doyen parlementaire conservateur Ken Clarke est intervenu au nom des partisans conservateurs souhaitant rester dans l’UE pour avertir qu’en raison des divisions parlementaires, « vous ne pouvez pas obtenir un accord à Bruxelles qui puisse obtenir une majorité au sein du Cabinet ministériel ou réduire les pro-Brexit conservateurs au silence […] Les deux partis [conservateur et travailliste] sont brisés et désespérément divisés – ils ne peuvent pas s’entendre même entre eux. »

Mercredi, le quotidien allemand Die Welt a publié un appel conjoint de l’ancien dirigeant travailliste Tony Blair, de l’ancien dirigeant démocrate libéral Nick Clegg et du conservateur pro-européen Lord Michael Heseltine pour que l’UE maintienne sa position contre May. La déclaration commune a déclaré : « Notre débat national est loin d’être terminé et, même à cette heure tardive, nous sommes nombreux à continuer de faire valoir que le public britannique doit prendre la décision finale une fois que nous disposons de tous les faits pertinents. »

En janvier, Blair a préconisé, par le biais du même journal, la tenue d’un deuxième référendum. Cette fois-ci, Blair et ses alliés conservateurs et libéraux-démocrates ont passé à l’acte trois jours avant un rassemblement prévu à Londres pour soutenir un deuxième référendum, appelé « Vote du peuple ».

Blair répondait également à l’appel du leader du Parti travailliste Jeremy Corbyn, à l’unité avec l’aile droite du parti, basé sur la conclusion d’un accord sur le Brexit qui maintiendrait l’accès au marché unique européen et à l’union douanière.

La déclaration commune a décrié « les espoirs irréalistes en Grande-Bretagne non pas d’une concession majeure « de dernière minute » de la part de l’UE dans les négociations en cours, mais de quelque chose d’encore plus délirant : qu’une fois que le Royaume-Uni est sorti et se trouve dans la période de transition, les 27 autres États membres capituleront sur les principes du marché unique et donneront à la Grande-Bretagne un accès au marché sans se conformer à ses règles. »

Corbyn a qualifié son appel aux députés travaillistes cette semaine de rejeter l’affirmation de May selon laquelle les seuls choix proposés étaient son accord négocié ou un Brexit dur, sans accord – ce dont elle a fait la base de son appel aux députés du Parti travailliste de lui soutenir et défier la discipline de vote de leur propre parti. Le ministre du Brexit, Dominic Raab, a averti qu’aucun amendement d’opposition ne serait autorisé dans le vote parlementaire « significatif » sur un accord du Brexit. Les députés devraient voter pour ou contre l’accord de May et donc pour un Brexit dur. Il n’y aura pas de deuxième référendum, a insisté May.

Le ministre des finances fantôme du Labour John McDonnell a lancé un appel direct aux grandes entreprises et l’UE déclarant qu’il était dans l’intérêt national et celui des puissances de l’UE d’œuvrer pour un gouvernement travailliste car : « Nous pensons que nous pouvons obtenir un accord [Brexit] assez rapidement » qui « transformerait l’ambiance, et ce serait sur une base de bénéfice et d’intérêt mutuels ».

L’incapacité de parvenir à un accord sur le Brexit est le résultat de la montée des antagonismes nationaux. Cela explique la ligne dure adoptée par l’UE sur la question de la frontière irlandaise après le Brexit et les dispositifs élaborés par l’Allemagne et la France pour faire face à la sortie désordonnée du Royaume-Uni de l’UE. Merkel a averti mercredi les députés allemands : « En tant qu’un gouvernement responsable et prévenant, il convient d’être en mesure de faire face à tous les scénarios – y compris la possibilité que la Grande-Bretagne quitte l’Union européenne sans accord. »

L’administration Trump s’en est mêlée directement dans le but d’exacerber les divisions au sein de l’UE. Hier, le représentant du commerce américain, Robert Lighthizer, a écrit au Congrès : « Nous avons l’intention d’entamer des négociations avec le Royaume-Uni dès qu’il sera prêt après la sortie de l’Union européenne le 29 mars 2019. »

La classe ouvrière doit s’opposer aux deux camps de la classe dirigeante, celui de vouloir rester (Remain) autant que celui de vouloir quitter (Brexit) l’UE. Ni l’un ni l’autre ne propose aucune voie menant à autre chose qu’un avenir de tensions nationales grandissantes et de conflits commerciaux et militaires. Ils n’envisagent que de faire augmenter l’exploitation des travailleurs et une austérité accrue afin que les entreprises puissent être compétitives au niveau international. Les travailleurs et les jeunes doivent opposer leur propre stratégie aux plans de l’élite dirigeante, fondée sur l’unité transfrontalière des travailleurs à travers la perspective des États socialistes unis d’Europe.

(Article paru en anglais le 19 octobre 2018)

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