Le président sri-lankais Sirisena renvoie son Premier ministre

Le président sri-lankais Maithripala Sirisena a renvoyé vendredi soir Ranil Wickremesinghe, le Premier ministre, et a nommé à ce poste l’ancien président, Mahinda Rajapakse, pour le remplacer.

Ce faisant, Sirisena a mis fin au « gouvernement d’union » entre sa fraction du Parti de la liberté du Sri Lanka (SLFP) et le Parti national unifié (UNP) de Wickremesinghe, qui dirige le pays depuis 2015.

Le 19ᵉ amendement à la constitution du Sri Lanka, promulgué en avril 2015, élimine les pouvoirs considérables du président en exercice, y compris son droit de décider unilatéralement de révoquer un Premier ministre.

Sirisena et Rajapakse ont gardé leur démarche inconstitutionnelle strictement secrète même envers leurs plus proches alliés jusqu’à la dernière minute. Ce coup est une expression de l’énorme crise politique qui secoue la classe dirigeante du Sri Lanka dans le contexte d’une crise économique profonde, de tensions géopolitiques croissantes et d’une résurgence de la lutte de classe des travailleurs et des pauvres.

Le nouveau régime resserre son emprise sur le pouvoir. Des voyous pro-Rajapakse ont chassé du personnel considéré comme favorable à Wickremesinghe de la télévision publique. Sirisena a immédiatement pris le contrôle de ces chaînes de télévision et de la maison de presse publique, Lake House. Il s’est également substitué au ministère de l’intérieur.

Wickremesinghe a qualifié l’initiative de Sirisena d’« inconstitutionnelle », déclarant qu’il était toujours Premier ministre et appelant à la convocation du Parlement pour « prouver sa majorité ».

Sirisena a réagi en publiant deux éditions du journal officiel (la Sri Lanka Government Gazette), l’une pour annoncer et valider sa décision de révoquer Wickremesinghe, l’autre pour proroger ou suspendre le Parlement pendant trois semaines jusqu’au 16 novembre. Il compte faire assermenter le nouveau cabinet de Rajapakse lundi.

La coalition dirigée par l’UNP compte 106 membres sur les 225 sièges du parlement, tandis que Sirisena et Rajapakse réunis comptent 95 députés. Wickremesinghe compte sur le soutien de l’Alliance nationale tamoule (TNA), qui dénombre 16 députés. Le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) a annoncé qu’il ne soutiendrait aucun des deux groupes.

S’adressant hier à un groupe de députés du SLFP et de ses alliés, Sirisena a déclaré qu’il ne pouvait pas continuer à travailler avec Wickremesinghe, parce que le gouvernement était plongé dans la corruption financière. Il a également cité des affirmations sans preuves d’un « complot visant à le tuer ».

En septembre, Namal Kumara, un ancien soldat et informateur de la police, aurait eu connaissance d’un complot visant à tuer Sirisena et l’ancien secrétaire à la défense, Gotabhaya Rajapakse, de l’inspecteur général de la police adjoint, Nalaka de Silva.

Les allégations de Sirisena ne sont que des prétextes transparents pour justifier ses actions antidémocratiques. Aucune des factions de l’élite politique sri-lankaise, qu’elles soient dirigées par Sirisena, Rajapakse ou Wickremesinghe, ne ressent autre chose que du mépris pour les droits démocratiques fondamentaux et les normes constitutionnelles.

Le gouvernement d’unité nationale a été mis en place après l’élection présidentielle de 2015 au Sri Lanka qui a renversé Rajapakse. Sirisena, un haut ministre du gouvernement de Rajapakse, a fait défection en novembre 2014 à la suite d’un complot orchestré par Wickremesinghe et l’ancienne présidente Chandrika Kumaratunga, en collusion avec Washington et New Delhi.

Sirisena a exploité alors l’opposition généralisée des travailleurs et des pauvres aux attaques du gouvernement Rajapakse contre les droits démocratiques et les conditions de vie, ainsi que les atrocités commises par l’armée dans la guerre contre les séparatistes Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE).

Les États-Unis n’étaient pas préoccupés par les violations des droits de l’homme et les crimes de guerre du gouvernement Rajapakse. En réalité, ils étaient hostiles aux relations étroites du gouvernement avec la Chine. Le gouvernement Sirisena-Wickremesinghe a immédiatement modifié la politique étrangère envers Washington, renforçant ainsi ses liens avec les forces armées américaines et indiennes.

Aujourd’hui, cependant, face à une crise financière qui s’aggrave rapidement, le gouvernement a été contraint de se tourner vers la Chine pour obtenir de l’aide humanitaire et de l’assistance, provoquant de vives critiques de la part de Washington. Dans le même temps, il a été contraint de contracter un prêt de sauvetage avec le FMI et de mettre en œuvre ses demandes d’austérité, notamment pour réduire les dépenses sociales et des subventions de l’État aux prix des produits de base.

Ces attaques ont alimenté l’opposition parmi les travailleurs, les étudiants et les jeunes. Ces derniers mois, des travailleurs des chemins de fer, des transports en commun, de la santé et des services des eaux, ainsi que du personnel technique des universités, des enseignants, et des retraités ont participé à des grèves et à des manifestations. Ces mouvements ont été temporairement étouffés par les syndicats, soutenus par les organisations pseudo-gauchistes.

Au cours des dernières semaines, des centaines de milliers de travailleurs des plantations ont commencé à manifester pour réclamer une augmentation des salaires de 100 pour cent. Mercredi dernier, 5000 jeunes travailleurs et travailleuses, unis au-delà des divisions ethniques, se sont rassemblés dans une grande manifestation à Colombo afin de soutenir les travailleurs des plantations.

La révolte dans le nord s’approfondit parmi les travailleurs tamouls contre l’occupation militaire qui continue et la détérioration des conditions de vie.

L’étendue de l’opposition au gouvernement a été montrée lors des élections du conseil municipal de février dernier. La fraction du SLFP dirigée par Rajapakse a participé à cette élection en tant que parti sri-lankais Podujana Peramuna (SLPP) et a pris le contrôle de la majorité des conseils. La faction Sirisena est arrivée troisième, loin derrière l’UNP, intensifiant la crise du gouvernement « d’union ».

Sirisena a tenté hypocritement de se démarquer des mesures d’austérité du gouvernement en attribuant la corruption présumée de l’UNP à la crise économique dans le pays.

Sirisena a également cherché à apaiser la circonscription chauvine cinghalaise bouddhiste et l’armée. Il s’est opposé à toute « chasse à l’homme » des officiers de l’armée pour crimes de guerre et a ordonné à la police de ne pas fournir d’informations aux tribunaux dans de tels cas.

Le président s’est récemment opposé aux projets du gouvernement visant à transformer le terminal à l’est du port de Colombo en une entreprise commune avec l’Inde. Cela va dans le sens de la xénophobie anti-indienne promue par les groupes chauvins cinghalais.

L’élite dirigeante du Sri Lanka est de plus en plus alarmée par la montée des grèves et des manifestations. L’installation de Rajapakse n’a rien à voir avec des préoccupations concernant la corruption, mais vise à diviser et à étouffer la classe ouvrière.

Rajapakse est réputé pour avoir poursuivi la guerre sans merci-contre les Tamouls et pour avoir eu recours à des méthodes policières de répression afin de réprimer toute opposition. Après avoir prêté serment, il a confié au Sunday Times qu’il avait « relevé le défi de venir en aide aux Sri-lankais, qui souffrent de difficultés considérables en raison de la détérioration de la situation économique. La roupie se déprécie par rapport au dollar américain et le coût de la vie augmente à pas de géant. »

C’est un double langage orwellien. S’adressant aux hindous le mois dernier, Rajapakse avait dit que l’absence d’un « gouvernement stable » détournait les investisseurs. « Un gouvernement doit être fort et parler d’une seule voix », avait-il déclaré.

Son fils, Namal Rajapakse, qui s’est confié au New York Times hier, a déclaré d’emblée : « Mais vous allez maintenant avoir la stabilité avec le nouveau gouvernement. Les gens peuvent s’opposer à nous, mais au bout du compte, nous parviendrons à résoudre l’instabilité économique et sociale. »

Le coup d’État de Sirisena ne fera que renforcer les rivalités géopolitiques, ainsi que les intrigues politiques à Colombo. Le département d’État américain a déclaré qu’il suivait de près les événements au Sri Lanka et a appelé toutes les parties à « agir conformément à la Constitution, à s’abstenir de toute violence et à respecter la loi. »

Les États-Unis ne toléreront pas un nouveau gouvernement sri-lankais qui pencherait vers la Chine. Le vice-président, Mike Pence, a critiqué la « diplomatie du piège de la dette » plus tôt ce mois-ci et a cité le Sri Lanka comme exemple. Le Sri Lanka, a-t-il affirmé, en louant le port de Hambantota à Pékin, « deviendrait bientôt une base militaire avancée pour la marine de haute-mer chinoise grandissante. »

Bien que le gouvernement indien n’ait publié aucune déclaration, les médias préviennent que la Chine, rivale de l’Inde, en bénéficiera. Indrani Bagchi, éditorialiste du Times of India, a écrit : « L’Inde a de grands intérêts en matière de sécurité au Sri Lanka et le gouvernement Modi serait réticent à l’idée d’une plus grande présence chinoise dans cette nation insulaire, compte tenu en particulier des difficultés posées par les Maldives et leur propre Président qui penche du côté des Chinois. »

Le paysage diplomatique résultant était évident hier. Wickremesing a rencontré des diplomates étrangers des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Union européenne, du Japon et de l’Inde à Colombo, tandis que l’ambassadeur de Chine à Colombo, Cheng Xueyuan, a rencontré Rajapakse afin de transmettre les meilleurs vœux du président Xi Jinping.

La classe ouvrière ne peut pas se permettre d’entretenir la moindre illusion envers l’une ou l’autre des fractions de l’élite dirigeante, qui ont toutes deux longtemps attaqué les droits démocratiques et sociaux des travailleurs et des masses rurales. Celui qui formera finalement le prochain gouvernement tentera d’imposer le fardeau de la crise économique aux travailleurs et utilisera les mesures de l’État policier pour supprimer l’opposition.

(Article paru d’abord en anglais le 28 octobre 2018)

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