Le ministre de l’Intérieur britannique exige «l’application de la loi avec sévérité » à l’encontre des manifestants contre le changement climatique

Les arrestations massives de manifestants contre le changement climatique ont continué à Londres vendredi, après que le ministre de l'intérieur du gouvernement conservateur, Sajid Javid, ait exigé de la police « d’appliquer la loi avec sévérité ».

Plus de 682 manifestants ont été arrêtés depuis lundi.

«Personne ne devrait pouvoir enfreindre la loi sans conséquences», a tweeté Javid jeudi matin. Il a appelé la police à «prendre une position ferme» contre «tout manifestant qui outrepasse les limites de la loi» et qui «perturbe considérablement la vie des autres».

La déclaration de Javid fait suite à plus de 100 arrestations supplémentaires dans le centre de Londres mercredi, après que la police de Londres ait demandé l’évacuation des manifestants de Parliament Square. Des images de médias sociaux ont montré des centaines de policiers marchant en formation en provenance de Millbank, pour ensuite embarquer les manifestants.

Javid a proféré ses menaces malgré les tactiques pacifiques des manifestants qui occupaient des espaces publics tels que Parliament Square, Piccadilly Circus, le pont de Waterloo, Oxford Circus et Marble Arch. Bien que des centaines de personnes aient été arrêtées, seules 10 personnes ont été inculpées jusqu'ici.

Après des manifestations largement médiatisées à Londres vendredi, la police de Londres a confirmé que 106 arrestations avaient été effectuées. À Oxford Circus, l'actrice Emma Thompson s'est adressée aux manifestants depuis un bateau en bois rose au milieu de la route. «Nous sommes ici dans cette petite île de santé mentale et je suis ravie de pouvoir me joindre à vous tous et d'ajouter ma voix aux jeunes qui ont inspiré un tout nouveau mouvement», a-t-elle déclaré. Des rangs de policiers entouraient le bateau avant de se précipiter pour procéder à des arrestations.

Jeudi soir, la police de Londres a publié une déclaration confirmant que plus de 1000 policiers avaient été mobilisés et précisant que, conformément à la réglementation, les manifestations à Waterloo Bridge, Oxford Circus et Parliament Square étaient «illégales». Cette déclaration faisait suite à une réunion entre Javid et la commissaire de la police de Londres, Cressida Dick.

La police de Londres a répondu aux demandes de Javid et d'autres de durcir l'action de la police en expliquant qu'elle opérait dans des conditions juridiques contraignantes et avec des moyens insuffisants: «On nous a demandé pourquoi nous n'utilisions pas de tactiques telles que le confinement - arrêter physiquement et empêcher par la force les déplacements des manifestants. La réponse simple est que nous n’avons aucune base légale pour le faire. Ce sont des manifestants pacifiques; bien que perturbantes, leurs actions ne sont pas violentes envers la police, elles-mêmes ou d’autres membres du public.»

Les médias ont réagi en réclamant une répression accrue, comme le préconisait Javid.

Jeudi, le présentateur de Sky News, Adam Boulton, a attaqué les manifestants pour «perturbation fascisante» dans le but clair de redéfinir et d'ériger en infraction l'exercice du droit de manifester.

Boulton exprimait la position de larges couches des médias et de l'establishment politique. Mercredi soir, le Daily Mail a publié un commentaire rédigé par Sir David Blunkett, ancien ministre de l'Intérieur du Parti travailliste. Il s’est plaint violemment: «Pourquoi toute la force de la loi n'a-t-elle pas été utilisée contre ces éco-anarchistes pour lesquels je n’ai que du mépris?»

«En tant que ministre de l'intérieur entre 2001 et 2004, j'ai dû faire face aux manifestations anti-mondialisation et au mouvement Reclaim the Streets (mouvement pour réapproprier les espaces publics). Je devais décider la limite à ne pas dépasser par ces manifestations.»

Blunkett a décrit avec précision la réponse draconienne et antidémocratique du Parti travailliste à l'époque: «Ce que j'ai appris, c'est qu'il fallait être dur. Il faut utiliser toute la force de la loi contre ceux qui ont été avertis mais qui persistent dans leurs manifestations antisociales.»

Jeudi soir, la police de Londres a prévenu que les manifestations prévues le lendemain à l'aéroport d'Heathrow seraient accueillies avec «une action ferme […] Nous avons demandé l'aide mutuelle d'autres forces de police pour soutenir notre opération.»

Le lendemain matin, des dizaines de policiers ont sillonné les rues autour de l'aéroport d'Heathrow et ont encerclé un petit groupe de manifestants du groupe Extinction Rebellion Youth. Les 10 adolescents occupaient un rond-point et n’entravaient pas l’accès à l’aéroport. Ils portaient une banderole sur laquelle on pouvait lire: «Sommes-nous la dernière génération?»

Samar Faraj, 14 ans, a déclaré aux journalistes: «Dans 30 ans, je ne veux pas regarder en arrière et regretter de ne pas avoir fait tout ce que je pouvais faire pour aider à prévenir les catastrophes qui risquent de se produire.» Nathan Hunter, 15 ans, a déclaré: «Je manifeste aujourd'hui parce que je ne veux pas me réveiller dans 15 ans et éprouver du regret car je n’aurais pas assez fait pour arrêter la crise climatique. Je ne veux pas vivre dans un avenir défini par un climat instable; un monde où les générations futures pourraient ne pas être en mesure de vivre une vie heureuse et en bonne santé, voire d'avoir une vie du tout.»

Les manifestations de cette semaine ont été organisées par Extinction Rebellion (XR), attirant le soutien d'étudiants et de différentes couches de la classe moyenne, y compris des retraités et des cadres. Farhana Yamin, avocate spécialiste de l'environnement, a participé à une manifestation devant le siège du géant pétrolier Shell. Elle a participé à la rédaction de l'accord de Paris sur le climat en 2015. Elle s’est ancrée au trottoir au moyen de superglue devant le bâtiment de Shell, déclarant aux journalistes: «Les moyens juridiques sont en mauvais état en ce moment. Et nous devons enfreindre la loi plutôt que de légiférer, à cause de l'inaction de ces entreprises depuis maintenant 30 ans.»

Un communiqué de presse publié par XR expliquait que leurs membres avaient délibérément causé plus de 6000 £ de dommages aux biens de Shell afin de garantir que leur affaire soit entendue par un tribunal avec un jury (et non un tribunal ne comportant qu'un magistrat), où ils espéraient pouvoir porter à la connaissance du public leurs préoccupations au sujet des activités de Shell.

Les actions de protestation de XR, notamment le blocage des routes et des réseaux de tramway, reposent sur des appels lancés à l'État capitaliste. XR demande au gouvernement de déclarer une urgence climatique, de réduire les émissions de gaz à effet de serre à zéro d'ici 2025 et de créer une assemblée de citoyens sur la justice écologique. XR explique qu'une telle assemblée comprendrait des membres du public «choisis au hasard» qui seraient censés «travailler ensemble» sur une «base non partisane» pour résoudre l'urgence climatique.

Alors que la plupart des manifestants contre le changement climatique arrêtés cette semaine ont été libérés sans mise en accusation mais en faisant toujours l'objet d’une enquête, la police a confirmé jeudi qu'ils seraient «convoqué de nouveau pour être officiellement interrogés et inculpés le cas échéant en temps voulu.»

Les déclarations de Sajid Javid, Blunkett et les attaques médiatiques au vitriol sont un avant-goût de la manière dont l’État répondra à tout mouvement de la classe ouvrière. Les arguments mis en avant pour justifier la répression policière - y compris les «perturbations» et les «inconvénients» pour le public - seront utilisés demain pour exiger des arrestations de masse et la répression contre les cheminots, les chauffeurs de bus, les pilotes et le personnel de cabine ou le personnel des hôpitaux publics en grève.

Le maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, a ajouté sa voix celle de la police de Londres afin d’utiliser les manifestations en vue d’obtenir plus de moyens financiers pour la police: «La capacité de la police de Londres d’encadrer les manifestations sans affecter les priorités essentielles en matière de maintien de l'ordre, telles que la lutte contre les agressions au couteau, a été rendue considérablement plus difficile en raison des réductions budgétaires du gouvernement pour la police.»

(Article paru en anglais le 20 avril 2019)

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