George Galloway se rallie au Parti du Brexit de Nigel Farage

Le soutien de George Galloway au Parti du Brexit pour l’élection européenne du 23 mai est un nouveau point bas dans la trajectoire nationaliste qu'il poursuit depuis la convocation du référendum de 2016 sur l'adhésion de la Grande-Bretagne à l'Union européenne (UE).

Justifiant son soutien au nouveau parti de l’ex-dirigeant du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), Nigel Farage, Galloway a tweeté: «Compte tenu de la nature de la liste des candidats euro-fanatiques du Parti travailliste et du point crucial que nous avons atteint dans la lutte pour la pleine mise en œuvre du résultat du référendum #Brexit et pour une seule fois, je soutiendrai @Nigel Farage à l’élection du mois prochain. »

Galloway a dénoncé les voix critiques qui qualifiaient Farage de fasciste car elles contribuaient à «l'aliénation de nombreux travailleurs vis-à-vis du Parti travailliste, aujourd'hui dominé par les libéraux de la métropole et les diplômés d’université».

Après avoir passé plus de trois ans à applaudir l'élection de Jeremy Corbyn comme une renaissance de gauche du Parti travailliste, il répète maintenant à n’en plus finir que c'est Farage qui articule les vues de la classe ouvrière pour ce qui est, d’après lui, la plus importante question du jour, à savoir le Brexit : «Je ne crois pas en Farage, je crois dans le Brexit. Plus encore, je crois en la démocratie », dit-il. Farage obtiendrait «au moins 50% des suffrages» car «la classe ouvrière du Nord du pays est en mouvement».

Une victoire de Farage et le Brexit Party, ajoute-t-il, signifierait que les « euro-fanatiques de la 5e colonne » du Parti travailliste au Parlement européen et au Parlement britannique subiraient une « déroute » et pourrait même « précipiter la dissolution des conservateurs ...

«Ceci est un jugement tactique. Je suis sérieux au sujet du #Brexit. Je suis encore plus sérieux à propos de la démocratie. »

L’éloge du Galloway à l’égard de Farage et sa présentation des divisions sur le Brexit comme d’une alliance de la classe ouvrière (du Nord) avec de vrais démocrates défendant le résultat du référendum de 2016 contre une élite métropolitaine libérale et antidémocratique, sont réactionnaires de bout en bout.

Au lieu de présenter une perspective permettant de surmonter la dangereuse division de la classe ouvrière qu'il a contribué à favoriser, il réitère l’affirmation égoïste de l'aile pro-Brexit du parti conservateur et de sa périphérie, représentée par Farage, selon laquelle le référendum était une suprême manifestation de l'ordre démocratique britannique et exprimait la «volonté du peuple».

Ni ceux dans les milieux politiques, d'affaires et des médias officiels qui insistent maintenant sur le caractère sacré du vote de 2016, ni ceux qui le critiquent et réclament un deuxième «vote populaire» ne sont motivés par des principes démocratiques pour un sou. Ils soutiennent tous les mesures d'austérité qui pénalisent les pauvres, rassasient les appétits égoïstes des super-riches et défendent les guerres de conquête menées contre la volonté populaire.

Le référendum de 2016 était une manœuvre politique désastreusement conçue du premier ministre conservateur David Cameron visant uniquement à résoudre un conflit de factions insoluble du parti conservateur ; un conflit relatif à la politique étrangère impérialiste dans lequel la masse des travailleurs n'aurait jamais dû prendre parti.

Le Socialist Equality Party (SEP, Parti de l'égalité socialiste) a appelé à un boycott actif, expliquant que, bien que présenté comme un moyen de permettre au «peuple» de décider, le référendum était antidémocratique à la base. Il offrait seulement aux travailleurs et aux jeunes le choix binaire de déclarer leur soutien à l'une des deux campagnes officielles, dirigées par des forces pro-affaires, pro-austérité, pro-militarisme, anti-travailleurs et anti-migrants, issues d’ailes opposées du Parti conservateur.

Le SEP est, de façon inconciliable, hostile à l'Union européenne (UE). Mais comme nous l'avons expliqué lors du référendum, notre opposition est de gauche, pas de droite. L'UE est un mécanisme d'assujettissement du continent aux diktats des marchés financiers et un forum dans lequel des États concurrents se battent entre eux et conspirent contre la classe ouvrière. Les partisans du maintien dans l’UE considéraient que l’adhésion au bloc commercial de l’UE et à son marché unique était un élément essentiel de leur compétitivité internationale et grâce auquel l’OTAN pouvait mener à bien un programme de militarisme et de guerre contre la Russie et la Chine.

Le programme de la campagne des partisans du Brexit était, lui, dicté exclusivement par les forces de droite comme l’UKIP de Farage. Leur objectif était de mettre fin à toute contrainte à la dictature des grandes entreprises et des parasites financiers de la City londonienne en se libérant des «bureaucrates de Bruxelles», en renforçant les alliances avec les États-Unis et en concluant des accords de libre-échange avec les marchés émergents en Chine, en Inde et ailleurs.

La rhétorique anti-immigrés et xénophobe de Farage et ses semblables n’était pas un élément accessoire mais bien essentiel de leur point de vue pour légitimer leur programme en faveur du patronat en accusant les migrants d’être responsables de l’effondrement de services sociaux essentiels anéantis par des gouvernements travaillistes et conservateurs successifs et en subordonnant la classe ouvrière à «l'intérêt national».

Le SEP avait lancé un appel en faveur d'un boycott actif afin de maintenir l'indépendance politique de la classe ouvrière en luttant pour l'adoption d'une perspective socialiste et internationaliste qui articulait véritablement les intérêts des travailleurs : non pas la dissolution de l'UE par le nationalisme économique et la xénophobie anti-immigrés, mais le développement d’une offensive commune sur tout le continent contre l’UE et tous ses gouvernements, et pour les États socialistes unis d’Europe.

Notre position fut prise contre le Parti travailliste, la Confédération des syndicats et certains des groupes plus petits de la pseudo-gauche qui soutenaient le camp du maintien dans l’UE dirigé par Cameron, ainsi que contre les partisans d’un « Brexit de gauche » comme le Parti socialiste, le Parti socialiste des travailleurs et le Parti communiste de Grande-Bretagne.

Galloway décrit son soutien à Farage pour l’élection européenne comme une exception. Ce n'est pas le cas.

L’argument-clé des partisans du «Lexit» (Brexit de gauche) était qu’une rupture avec l’UE serait la base d’un futur gouvernement travailliste chargé de mettre en œuvre une politique nationale réformiste, libérée des contraintes de Bruxelles. La réalisation de ces objectifs l'emportait supposément sur toute considération de classe fondée sur des principes, y compris sur le fait que la campagne pour le Brexit était dirigée par la droite politique. L'objectif de fait du camp du « Lexit » était que des mesures protectionnistes nationales soient appliquées par un gouvernement travailliste, notamment pour mettre fin à la libre circulation des travailleurs européens, comme le préconise ouvertement Jeremy Corbyn.

Tandis que les groupes de la psuedo-gauche essayaient vainement de se démarquer d'UKIP lors de la campagne référendaire, Galloway était un ardent défenseur d'une alliance politique avec Farage.

Le 19 février 2016, il eut la place d'honneur sur une plate-forme commune avec Farage pour la campagne de sortie de l’UE mobilisant la base («Grassroots Out»), aux côtés de représentants de l'aile hyper-thatchérienne du Parti conservateur comme Bill Cash, Peter Bone et David Davis.

Farage a présenté Galloway comme une «figure dominante de la gauche de la politique britannique». Les remarques de Galloway se concentrèrent sur l'affirmation que la «gauche» et la «droite» devaient s'unir pour défendre la souveraineté britannique, comme «le droit de décider qui peut venir vivre et travailler en Grande-Bretagne, qui peut être déporté, et ce que doit être le niveau de dette publique ou la politique étrangère britannique ».

Pour que le Royaume-Uni puisse commercer librement «avec le Commonwealth» et «avec le Brésil, avec la Russie, avec l'Inde, avec la Chine, avec l'Afrique du Sud, avec l'Iran, où le soleil se lève, ne se couche pas et où la plupart des clients dans le monde vivent réellement. … eh bien c’est cela l'internationalisme ».

Le SEP écrivit que Galloway ne faisait pas que brouiller les lignes de classe, il les effaçait. Cela était conforme à la politique stalinienne qui a façonné toute sa carrière. Galloway a déclaré que la Seconde Guerre mondiale était «notre heure de gloire. Quand nous avancions tous ensemble – M. Churchill et M. Atlee et M. Bevan… C'est ce que nous faisons ici ce soir. M. Farage et moi, Mlle [Kate] Hoey et M.[David] Davis. Gauche, droite, gauche, droite, en avant marche. »

Sur Twitter, il a ajouté à propos de Farage que, «nous ne sommes pas des amis. Nous sommes des alliés dans une cause commune. Comme Churchill et Staline ... »

Le SEP a insisté sur le fait que: «La première responsabilité d'un socialiste est de s'opposer à ce que les drapeaux de classe soient confondus. Lors du référendum, cela signifie qu’il faut rejeter tout appel pour que les travailleurs se mettent à la remorque de l’une ou de l’autre faction de la bourgeoisie, qui se disputent entre elles uniquement pour déterminer la stratégie qui défend le mieux les intérêts de l’impérialisme britannique. »

«Agir autrement et approuver de quelque manière que ce soit les politiques nationalistes et pro-capitalistes défendues par les campagnes soit « pro-UE » soit « Brexit » sème une confusion politique dangereuse, affaiblissant les défenses politiques de la classe ouvrière à un moment où les vapeurs nocives du nationalisme, de la xénophobie anti-migrants et du militarisme polluent le Royaume-Uni, l'Europe et le monde entier. »

Plus tard au mois de mai, Galloway accorda une interview à John Haylett, rédacteur politique du journal stalinien Morning Star où il dit: « Notre approche de la politique consiste à constituer les coalitions les plus larges possibles pour réaliser des objectifs que nous estimons être corrects. »

Le SEP écrivit: «Le ‘notre’mentionné par Galloway est la politique du stalinisme qu'il partage avec Haylett. L’histoire des partis staliniens dans tous les pays est caractérisée par des alliances politiques avec des partis bourgeois, justifiées par la construction de «fronts populaires» pour la défense de la démocratie etc. Mais il existe de nombreux exemples d’alliances conclues entre des partis staliniens et des tendances bourgeoises ouvertement droitières dans la quête stalinienne d’une politique nationaliste et pro-capitaliste. »

La déclaration du SEP sur le référendum de 2016 attirait l'attention sur la plus tristement célèbre de ces alliances – le soutien accordé par le parti communiste stalinisé (KPD) au référendum de 1931 initié par le parti nazi de Hitler. Citant un objectif commun avec les nazis, celui d’utiliser le «référendum rouge» pour renverser les sociaux-démocrates au pouvoir en Prusse, le KPD affirma qu'il s'agissait d'un pas en avant vers une «révolution populaire».

Le SEP expliqua à quel point la critique du KPD par Trotsky constituait une accusation dévastatrice du rôle joué aujourd'hui par Galloway et les défenseurs pseudo de gauche du « Lexit » lors du référendum sur le Brexit.

Trotsky expliquait que le «référendum rouge» n'offrait aucun moyen de distinguer l'opposition des travailleurs de tendance révolutionnaire aux sociaux-démocrates pour leur rôle dans la défense de l'impérialisme allemand, du programme nationaliste contre-révolutionnaire des fascistes. Le KPD céda l’initiative politique aux nazis, tout comme Galloway et compagnie ont cédé la direction de l’opposition à l’UE à UKIP et à la droite nationaliste pro-capitaliste du Parti conservateur.

Trotsky écrivit, « Si, du moins, on avait pu sur le bulletin de vote marquer le nom du parti auquel appartient le votant, le référendum aurait eu cette justification (politiquement tout à fait insuffisante dans le cas donné) de permettre de compter ses forces et du même coup, de se différencier des forces du fascisme. Mais la « démocratie » bourgeoise n’a pas eu soin, à Weimar, d’assurer le droit aux partisans du référendum de marquer le nom de leur parti. Tous les votants sont mêlés indistinctement dans la masse qui donne à une question déterminée la même réponse... »

« Le fait que les fascistes votent ou ne votent pas aux côtés des communistes aurait perdu toute signification à partir du moment où le prolétariat, par sa pression, renverserait les fascistes et prendrait entre ses mains le pouvoir. », a-t-il ajouté. Cependant, « Sortir dans la rue avec le mot d’ordre: “A bas le gouvernement Brüning-Braun!” quand, d’après le rapport de forces, ce gouvernement ne peut être remplacé que par un gouvernement Hitler-Hugenberg est de l’aventurisme pur... nous considérons donc la question de la collusion des votes avec les fascistes non pas du point de vue d’un principe abstrait quelconque, mais du point de vue de la lutte des classes réelles pour le pouvoir et du rapport des forces au stade donné de la lutte. »

Cette tentative du KPD de court-circuiter la lutte patiente pour convaincre les travailleurs réformistes d'adopter une perspective révolutionnaire s'avéra désastreuse – et se termina par le triomphe du fascisme.

Trois ans après la campagne référendaire sur le Brexit, les avertissements du SEP sur son impact politique négatif et notre lutte pour armer la classe ouvrière d'une perspective socialiste et internationaliste, ont été justifiés.

Décrivant «La voie à suivre après le référendum sur le Brexit», le 27 juin 2016, le SEP a fait mentir les insultes grossières et méprisantes lancées par Galloway et ses opposants blairistes au sujet des travailleurs qui se trouvaient dans l’un ou l’autre camp du clivage sur le Brexit.

« La colère face au résultat du referendum est plus prononcée dans la jeune génération, qui a voté massivement pour un maintien dans l’UE. Comme de nombreux travailleurs et professionnels de la classe moyenne réfléchis, ils l'ont fait non pas parce qu'ils font partie d'une « élite qui n’a pas le sens des réalités » mais parce qu'ils ont été repoussés par la xénophobie des dirigeants du « Sortir » et leur encouragement à l'extrême droite, illustré par l'assassinat politique de la députée travailliste Jo Cox, une semaine avant le scrutin.

« Leur opinion tout à fait saine qu'une communauté européenne plus large, garantissant la liberté de mouvement, est plus progressiste que le chauvinisme de type « petite Angleterre » est maintenant exploité par les politiciens travaillistes et conservateurs qui appellent à ce que le résultat soit annulé au moyen de divers mécanismes.

« Mais ces politiciens et commentateurs des médias qui battent leur coulpe sur le Brexit ne peuvent pas expliquer pourquoi l'UE s’est avérée si largement impopulaire. Ils sont incapables de le faire parce que la campagne en faveur du maintien, présentant l'UE comme une force bénéfique, ne fut pas moins malhonnête que celle de ses adversaires.

« Le vote pour le Brexit était un cri de détresse sociale, en particulier des couches les plus pauvres de travailleurs qui savent que l'Union européenne n'a pas été moins impitoyable dans ses attaques contre la classe ouvrière que les conservateurs en Grande-Bretagne, surtout dans sa destruction de la Grèce. Les éloges à l’UE de la campagne du « Rester », se réclamant des dirigeants mondiaux et des banquiers, ne pouvaient jamais obtenir le soutien de ceux qui ont le plus souffert d‘années d'austérité et de chômage. »

En opposition à la lutte pour unifier les travailleurs dans une lutte pour le socialisme, Galloway apporte sur un plateau à Nigel Farage la crédibilité politique dont il dispose, quelle qu’elle soit – en faveur de la propagation du toxique nationalisme britannique.

Galloway affirme ne pas être d’accord avec Farage autre que sur le soutien au Brexit. L’atteinte de cet objectif, affirme-t-il, entraînerait une séparation de leurs itinéraires, puisqu’il se préparerait à faire élire un gouvernement travailliste dirigé par Corbyn. Mais bien que le Brexit soit présenté comme une passerelle vers une nouvelle «voie britannique au socialisme», Galloway est largement d'accord avec le programme nationaliste du Parti du Brexit.

Un de ses tweets justifiant son soutien à Farage était, entre autres, celui-ci: «Quelqu'un peut-il expliquer comment la Roumanie toute entière – qui s'est battue contre nous pendant la Seconde Guerre mondiale – peut déménager ici, alors que des résidents des Caraïbes qui sont ici depuis 60 ans sont déportés? Est-ce que c'est ça le Brexit? Vraiment?"

Le tweet de Galloway qui renvoie au site Web Westmonster a été créé par Arron Banks, ancien donateur de l’UKIP, en tant que portail d’informations à la manière de Breitbart, et est la copropriété de Michael Heaver, ancien conseiller de presse de Farage. Galloway a écrit de nombreux billets pour ce site.

Il a également retweeté avec approbation une déclaration d'anciens combattants partisans du Brexit, saluant les opportunités offertes par la sortie de l'UE pour la construction d'une nouvelle flotte de guerre britannique.

Dans une chronique pour RT, « Pourquoi je vote pour le Brexit aux élections européennes », Galloway a également déclaré qu'il était sur le fond en accord avec Farage sur la réduction de l'immigration:

«En tout état de cause, s'opposer à l'immigration de masse n'est pas (nécessairement) raciste. Il n'y a rien de gauche dans l'immigration de masse… Tout le monde le sait, vraiment. Seuls les trotskystes et les capitalistes mondialisés croient réellement aux « frontières ouvertes »… »

Cela fait plus de huit décennies que la politique nationaliste de gauche du KPD, poursuivie sous la direction de l'Internationale communiste dirigée par Staline, s'est terminée par le plus grand désastre politique jamais subi par la classe ouvrière internationale. Le slogan du leader du KPD, Ernst Thälmann, « Après Hitler, notre tour! » a par la suite illustré cette trahison politique historique. La banale version moderne de Galloway, «Après Farage, Corbyn!» doit être rejetée avec le mépris qu'elle mérite.

Lire aussi:

Pour un boycott actif du référendum sur le Brexit

(Article paru en anglais le 24 avril 2019)

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