Perspectives

L'introduction en bourse d'Uber: des milliards pour les investisseurs, un redoublement de l’exploitation pour les travailleurs

La valorisation de la société de partage de courses de taxis, Uber, a atteint 82,4 milliards de dollars lors de son introduction en bourse (IPO) jeudi, l'un des plus importants IPO aux États-Unis depuis Facebook. La vente a enrichi encore plus les investisseurs tout en générant quelque 8 milliards de dollars pour la société.

Les principales sociétés d’investissement, notamment Goldman Sachs et Morgan Stanley, ont souscrit à l’introduction en bourse. D'autres investisseurs fortunés ont bien rempli leurs poches, certains clients de Goldman Sachs ramassant un milliard de dollars. La participation de Garret Camp, fondateur d’Uber, s’élève à 3,7 milliards de dollars, tandis que le cofondateur, Travis Kalanick, détient 5,3 milliards de dollars de titres d’Uber.

La capitalisation boursière actuelle de 82,4 milliards de dollars pour Uber est comparable à une capitalisation boursière d’environ 52 milliards de dollars pour General Motors et de 41 milliards de dollars pour Ford. Les principaux investisseurs d'Uber comprennent le fonds souverain de l'Arabie saoudite, géré par la société Softbank basée au Japon; Alphabet, la société mère de Google; le géant de l'automobile Toyota; Pay Pal; et le milliardaire d’Amazon, Jeff Bezos.

L’introduction en bourse d’Uber suit celle de son rival Lyft, qui a levé 2,3 milliards de dollars, avec une capitalisation boursière totale d’environ 16 milliards de dollars.

La vente publique des actions d'Uber et de Lyft signifie que ces sociétés seront désormais soumises aux pressions directes des investisseurs du marché, qui leur demanderont de réaliser un profit. Uber et Lyft ne sont actuellement pas rentables. Uber a perdu 1,8 milliard de dollars l’an dernier, soit la plus grosse perte de toute société dans l’année précédant son introduction en bourse.

La spéculation financière sur l'introduction en bourse d'Uber sera suivie de demandes d'investisseurs souhaitant des augmentations de tarif et de nouvelles attaques contre les chauffeurs, déjà largement sous-rémunérés. Cela a été clairement expliqué dans un récent document de la direction d'Uber remis à l’US Securities and Exchange Commission (l'organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers). Uber a écrit: «Du fait que nous visons à réduire les intéressements des chauffeurs afin d’améliorer notre rentabilité financière, nous nous attendons à une augmentation du mécontentement chez les chauffeurs.»

Les chauffeurs Uber sont classés comme des entrepreneurs indépendants et non comme des employés réguliers. Ils ne sont donc pas admissibles aux prestations de santé, aux congés de maladie ou aux vacances. Ils ne sont pas non plus protégés par les réglementations concernant le salaire minimum et les heures supplémentaires, tandis que les employeurs sont exempts de paiements de charges sociales.

Une étude réalisée par Larry Mishel de l’Economic Policy Institute l’an dernier a conclu que le salaire horaire effectif d’un chauffeur d’Uber était inférieur à ce que gagnent 90 pour cent des travailleurs américains. En d'autres termes, ils gagnent un revenu de misère.

Les chauffeurs Uber et Lyft se mobilisent et ont commencé à riposter. Mercredi, des milliers de chauffeurs Uber du monde entier ont fait grève et protesté contre les bas salaires, dans un contexte où les cadres supérieurs se remplissaient plein les poches.

En prenant position, les chauffeurs d’Uber et de Lyft s’opposent à la précarisation du travail, qui a vu une proportion croissante de la main-d’œuvre à être pousser dans la gig economy (l’économie des petits boulots).

Quelque 36 pour cent des travailleurs américains font partie de la gig economy sous une forme ou une autre, c’est-à-dire que leur principale source de revenus est le travail occasionnel, un travail à temps partiel sans avantages sociaux, ou bien ils sont obligés de chercher d'autres sources de revenus pour compenser la baisse des salaires et des avantages liés à un emploi standard.

Comme l’a constaté un chauffeur Uber de San Francisco au World Socialist Web Site: «Laissez-moi dire que je suis fatigué de conduire des cadres du secteur technologique de San Francisco à des dîners qui coûtent plus que ce que je gagne toute la journée, portant des chaussures qui coûtent plus de ce que je gagne en une semaine, et habitent des appartements qui coûtent plus cher chaque mois que la totalité de mon revenu… alors que je vis de ma voiture, permettant au PDG de gagner 45 millions de dollars par an.»

Cela fait partie d'une tendance plus large qui a vu le travail à temps partiel et des contrats de zéro heure s'étendre au secteur manufacturier et à d'autres secteurs de l'économie. Un pourcentage croissant de travailleurs occupe des emplois temporaires ou à temps partiel, ce qui les prive de toute sécurité d'emploi ou de tout avantage de base. Aux États-Unis, Amazon a mis en place un CamperForce, qui emploie principalement des travailleurs migrants âgés qui ont été forcés de vivre dans des camping-cars pour des emplois saisonniers.

Le même Internet et la même technologie informatique qui ont rendu possible la propagation de l’emploi basé sur les applications ont également facilité l’organisation de l’opposition sociale par le biais de plates-formes telles que Facebook.

Le mouvement social mondial des employés d’Uber et de Lyft, qui ont organisé des débrayages simultanes partout dans le monde, aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Brésil, au Kenya, au Nigéria, au Costa Rica, au Panama, au Chili, en France, au Japon et en Inde, laisse entrevoir l’avenir. Cela démontre l'unité objective de la classe ouvrière internationale qui est liée comme jamais auparavant dans un réseau économique mondial. Les travailleurs de tous les pays sont exploités par le même système économique capitaliste et, dans de nombreux cas, par les mêmes employeurs.

Le débrayage des chauffeurs d’Uber et de Lyft fait partie d’un mouvement croissant de la classe ouvrière internationale, notamment parmi des enseignants aux États-Unis, des ouvriers de la maquiladora au Mexique, des Gilets jaunes en France et des manifestations ouvrières de masse en Algérie. Ces luttes se sont développées de manière largement indépendante et en opposition aux syndicats existants.

Cela confirme la perspective mis en avant par le Comité international de la Quatrième Internationale, à savoir que compte tenu de la mondialisation croissante de la production, non seulement le contenu de la lutte des classes, mais aussi sa forme, devait revêtir un caractère mondial.

Les tentatives d'intervention des syndicats pour étouffer la résistance des travailleurs, pays après pays, soulignent le caractère réactionnaire de ces organisations, ancrées dans le système des États-nations et la défense du capitalisme. Ils constituent des obstacles au besoin impératif d'unification globale de la classe ouvrière. De nouvelles organisations, des comités d’usine de base et des lieux de travail, indépendants des syndicats, sont nécessaires de toute urgence pour unifier les luttes des différentes sections de la classe ouvrière au niveau international. Si les chauffeurs Uber et Lyft peuvent commencer à s'organiser de manière indépendante, il en va de même des travailleurs de l’automobile, des travailleurs d’Amazon et de toutes les couches de la classe ouvrière.

En même temps, la classe ouvrière doit mener son combat avec une perspective basée sur la libération des forces productives de l'emprise des oligarques du monde des affaires.

Sous le capitalisme, les développements de la science et de la technologie, tels qu'Internet, la prolifération des téléphones mobiles, le GPS et les technologies des transports sans conducteur, sont utilisés pour enrichir la classe des propriétaires des grandes entreprises et les investisseurs, plutôt que d’améliorer la qualité de vie de la vaste majorité. Pendant ce temps, la rivalité entre États-nations entre en conflit avec le développement rationnel de l’économie mondiale, évoquant le spectre de guerre commerciale et de guerre mondiale tout court.

Le potentiel progressiste incroyable des réalisations de la connaissance de l'humanité ne peut être réalisé que lorsque la classe ouvrière, la grande majorité de la société, prendra le contrôle des forces productives et les organisera à l'échelle mondiale, de manière rationnelle et planifiée.

Pour mener à bien cette transformation, la classe ouvrière a besoin d'un mouvement politique international fondé sur un programme socialiste visant à placer le pouvoir entre ses mains. C’est le combat que mène le Comité international de la IVe Internationale, ses sections affiliées et le World Socialist Web Site.

(Article paru en anglais le 1er mai 2019)

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