Élections sud-africaines

Ramaphosa a été élu président sur fond d’une baisse record du vote pour l'ANC

Dans une élection marquée par un net recul du soutien au Congrès national africain (ANC) au pouvoir, ainsi que par une baisse sensible de la participation électorale, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, un homme d'affaires devenu multimillionnaire, a remporté l'élection à la présidence pour un mandat de cinq ans mercredi dernier.

Au cours du week-end, la Commission électorale indépendante du pays a annoncé que l'ANC, qui dirige le pays depuis la fin de l'apartheid il y a 25 ans, avait remporté 58 pour cent des voix aux élections législatives nationales. C'est la première fois dans l'histoire de l'ANC post-apartheid que son vote soit tombé en dessous de 60 pour cent. Lors des précédentes élections nationales tenues en 2014, l'ANC avait obtenu 62 pour cent des voix.

Le taux de participation global aux élections, qui comprenaient celles des régions et des districts, est tombé à 66 pour cent, contre 73 pour cent il y a cinq ans. Le taux d’abstention était le plus élevé parmi les jeunes. Parmi la majorité des 10 millions de Sud-Africains qui n'ont même pas pris la peine de s'inscrire pour voter, environ 6 millions ont moins de 30 ans.

L'ANC a à peine gardé le contrôle de la province de Gauteng, où se situent Johannesburg et Pretoria, les capitales économiques et politiques du pays et la concentration de la classe moyenne noire qui s'est enrichie aux dépens des masses de travailleurs noirs et pauvres depuis l’élection de Nelson Mandela à la présidence en 1994.

Ramaphosa, l'ancien président de l'Union nationale des mineurs, a mis à profit ses relations pour devenir l'un des hommes les plus riches d'Afrique du Sud après la fin de l'apartheid. Après avoir remplacé l'ancien président Jacob Zuma à la tête de l'ANC en 2017, Ramaphosa a pris le pouvoir en tant que président de l'Afrique du Sud en février 2018. Il a pris le contrôle du parti et devenu chef d’État sur la base d'engagements visant à éliminer la corruption qui entachait le régime de l'ANC sous Zuma.

L'Alliance démocratique, qui a succédé au parti des blancs au pouvoir à l'époque de l'apartheid, et qui a depuis incorporé des factions dissidentes de la bourgeoisie noire, a également perdu une part des électeurs par rapport à 2014, remportant environ 22 pour cent des suffrages. Le parti dirigé par Mmusi Maimane, a toutefois maintenu le contrôle de sa base traditionnelle dans la province de Western Cape et dans la ville de Cape Town.

Le parti soi-disant d’extrême gauche des Economic Freedom Fighters (Combattants pour la liberté économique), dirigé par l'ancien président de la Ligue de la jeunesse de l'ANC, Julius Malema, lui-même millionnaire, a vu sa part des suffrages augmenter à environ 11 pour cent, mais c’était en deçà de la hausse prévue dans les sondages d'avant l'élection.

La profonde crise sociale et politique, dans des conditions où les aspirations et les intérêts de la classe ouvrière et de la jeunesse n’arrivent à trouver aucune représentation par le biais des partis bourgeois, s’est exprimée d’une façon réactionnaire dans l’augmentation du vote pour le Freedom Front Plus, une coalition de partis de l’extrême droite prônant «l'autonomie blanche» qui a vu augmenter le nombre de ses députés parlementaires de 4 à 10.

Le conflit entre les factions de Zuma et Ramaphosa de l'ANC, en aucun cas réglé avec le résultat des élections, est entre deux groupes de droite de l'élite noire pour des positions et le contrôle du butin liés au pouvoir, où les deux camps défendent le capitalisme et les intérêts des grandes entreprises autochtones et occidentales contre ceux des masses de la population.

L’importance de la victoire de l'ANC pour les enjeux des milieux d’affaires est soulignée par le fait que le rand, la monnaie sud-africaine, a gagné 0,4 pour cent, le fixant à 14,3242 de dollars américains la semaine dernière, à mesure qu'une victoire de l'ANC devenait évidente.

Ramaphosa a clairement indiqué qu'il avait pour objectif d'imposer un programme de droite axé sur la privatisation et visant à rendre l'Afrique du Sud plus attrayante pour les investissements étrangers. Il s'est fixé pour objectif d'attirer 1200 milliards de rands (83 milliards de dollars) d'investissements directs étrangers d'ici 2023.

L’implication de la mise en œuvre de cette politique peut être perçue par le rôle meurtrier de Ramaphosa dans le massacre de 34 mineurs de la société Lonmin à Marikana en 2012, alors qu'il était le partenaire de Black Economic Empowerment (développement économique des noirs). Ramaphosa, alors haut responsable de l'ANC, détenait 9 pour cent du capital de la société. Lorsque les mineurs ont fait grève au mépris des syndicats officiels, il dénonça les ouvriers comme des criminels et demanda aux autorités de «prendre des mesures».

L’objectif de l’ANC d’imposer le programme de privatisation de Ramaphosa et «d’attirer les investissements» a suscité beaucoup d’éloges de la part de la finance et des entreprises internationales. Vendredi, le Financial Times a suggéré dans un éditorial que Ramaphosa devrait chasser les «ennemis du progrès» de l'ANC.

«Le problème n'est pas qu'il y aurait quelques pommes pourries. Toute l'ANC est pourrie. M. Ramaphosa doit faire des exemples des pires de coupables en les renvoyant. Il doit également donner aux procureurs et aux enquêteurs le pouvoir de les poursuivre en justice… Plus généralement, le président doit tenir sa promesse d'attirer les investissements et de relancer l'économie morose.»

Ralph Mathekga, l'auteur de Ramaphosa's Turn, a déclaré au Washington Post que le fait que l'ANC obtienne une plus petite part des suffrages rendra plus facile la mise en œuvre de son programme de droite: «Obtenir moins de 60 pour cent des voix à l'échelle nationale signifie que Ramaphosa sera moins lié aux promesses plus radicales du parti, telles que l'expropriation de terres sans compensation.»

L’économie sud-africaine stagne, ne progressant que de 0,8 pour cent l’année dernière. Selon la Banque mondiale, il s'agit du pays le plus socialement inégalitaire de la planète, avec un taux de pauvreté de 50 pour cent et un taux de chômage officiel de 27,5 pour cent. Le taux de chômage des jeunes de 18 à 35 ans avoisine les 50 pour cent.

Le pays compte 10 milliardaires qui pèsent collectivement plus de 30 milliards de dollars, le 1 pour cent les plus riches du pays possède 70 pour cent de la richesse du pays, tandis que les 60 pour cent les plus pauvres n'en possèdent que 7 pour cent.

L'arrivée au pouvoir de l'ANC et de Mandela et la fin de l'apartheid sur la base d'un programme nationaliste et pro-capitaliste ont produit, après un quart de siècle, une pauvreté et des inégalités encore plus grandes pour la classe ouvrière, tout en enrichissant une bourgeoisie noire cupide et une classe moyenne privilégiée, qui ont pillé l’économie au nom de «l’émancipation économique des Noirs».

Les élections préparent le terrain pour une intensification de la crise sociale et de la lutte des classes en Afrique du Sud. Dans les conditions d'une vague croissante de luttes de classes à travers l'Afrique et au niveau international, la classe ouvrière sud-africaine cherchera une alternative révolutionnaire en dehors de tout le cadre social, économique et politique existant.

(Article paru en anglais le 13 mai 2019)

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