Un million d'espèces menacées d'extinction, selon un rapport soutenu par l'ONU

Le système naturel de la Terre se détériore à un rythme sans précédent et constitue une menace urgente pour l'humanité, a affirmé un groupe de scientifiques de renom la semaine dernière dans ce qui constitue l'évaluation la plus complète jamais réalisée sur la biodiversité mondiale. Le rapport a révélé que les réponses politiques existantes sont totalement inadéquates et que rien de moins que des «changements transformateurs» ne peut arrêter l'effondrement de la nature qui va en s'accélérant.

Selon le rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), environ un million d'espèces – peut-être un huitième de toutes les espèces végétales et animales de la planète – sont en danger d’extinction.

Bien qu'il y ait eu cinq extinctions de masse antérieures au cours des 3,5 milliards d’années de vie sur Terre, la disparition de la biodiversité au cours des 50 dernières années n'est pas seulement sans précédent dans l'existence de l'humanité, elle est causée par notre espèce.

«Les preuves accablantes de l'évaluation globale de l'IPBES, issues d'un large éventail de domaines de connaissances, donnent une image inquiétante», a expliqué Robert Watson, le président du groupe, la semaine dernière lors de la publication du rapport de synthèse. «La santé des écosystèmes dont nous et toutes les autres espèces dépendons se détériore plus rapidement que jamais. Nous érodons les fondements mêmes de nos économies, de nos moyens de subsistance, de la sécurité alimentaire, de la santé et de la qualité de la vie dans le monde».

L'IPBES, à l'instar de l'effort parallèle du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sur le réchauffement de la planète, est convoqué sous les auspices des Nations Unies pour évaluer l'état actuel des connaissances sur la crise environnementale et explorer les liens avec les voies de développement économique. Le rapport est le produit de 145 experts de renom du monde entier, qui a passé en revue environ 15.000 études scientifiques ainsi que des informations provenant de peuples autochtones. Il s’agit du premier examen complet de la perte de biodiversité depuis 2005.

Les statistiques rassemblées par ces experts révèlent l’ampleur de la crise. Le rapport a révélé que les trois quarts des environnements terrestres et les deux tiers des environnements marins ont été «gravement altérés». 85% des zones humides qui existaient à l'époque préindustrielle ont été anéanties. Environ un tiers des zones forestières ont également disparu.

L'altération à grande échelle de la terre et de la mer, ainsi que l'exploitation directe, sont les principaux facteurs de l'effondrement spectaculaire de groupes entiers d'espèces. Plus de 40% des amphibiens sont en danger d'extinction. Un tiers des coraux et des requins pourrait disparaître au cours des prochaines décennies.

«Les écosystèmes, les espèces, les populations sauvages, les variétés locales et les races de plantes et d'animaux domestiqués sont en train de se rétrécir, de se détériorer ou de disparaître. Le réseau essentiel et interconnecté de la vie sur Terre est de plus en plus petit et de plus en plus effrité», a déclaré le biologiste allemand et coprésident du rapport, Josef Settele.

Le changement climatique est également un facteur majeur dans la destruction de la nature qui devrait s’aggraver à mesure que les températures augmentent. On estime que le réchauffement à lui seul menace environ 5% des espèces d'extinction avec une augmentation de 2 degrés Celsius – un seuil que le monde est sur le point de dépasser dans quelques décennies. Si les températures augmentent de 4,3 degrés, 16% de toutes les espèces pourraient être menacées d'extinction à cause du climat.

Éviter les pires impacts du changement climatique mondial dépend également du maintien de systèmes naturels sains. «Les écosystèmes marins et terrestres sont les seuls puits de carbone anthropiques, avec une séquestration brute de 5,6 gigatonnes de carbone par an (l'équivalent d'environ 60% des émissions anthropiques mondiales)», note le rapport.

La destruction de la nature a déjà eu de graves conséquences pour l’humanité. «La nature joue un rôle essentiel en fournissant des denrées alimentaires et des animaux, de l’énergie, des médicaments, des ressources génétiques et divers matériaux essentiels au bien-être physique et au maintien de la culture», indique le rapport. Plus de 800 millions de personnes en Afrique et en Asie sont menacées de famine, alors que 40% des habitants de la planète n'ont pas accès à de l'eau potable.

La perte de la nature et sa capacité à assumer ces fonctions vitales devraient s’aggraver dans la plupart des scénarios économiques et sociaux évalués dans le rapport.

Une grande partie du discours sur la perte de biodiversité et l'extinction d'espèces est centrée sur la croissance de la population humaine. La population mondiale a plus que doublé depuis 1970, créant une demande supplémentaire de nourriture et de ressources. Bien que les auteurs aient identifié cette croissance comme un «moteur indirect» clé, ils soulignent également que, même si la population continue d'augmenter de manière modérée, «la nature peut être conservée, restaurée et utilisée de manière durable».

En revanche, le rapport signale diverses pratiques de production et politiques économiques non durables, y compris des subventions à l’agriculture estimées à 100 milliards de dollars, susceptibles de nuire directement à l’environnement dans les pays capitalistes avancés. La gestion irrationnelle des ressources marines a conduit à un tiers des stocks de poissons exploités à des niveaux insoutenables, avec 60% supplémentaires «exploités de manière maximale». Des pratiques et des politiques dommageables d’utilisation des terres ont résulté en la dégradation de 23% de la superficie des terres à l’échelle mondiale.

Ce qui est nécessaire, ce ne sont cependant pas quelques initiatives politiques éclairées. Le rapport appelle clairement à un «changement transformateur», c'est-à-dire «une réorganisation fondamentale à l'échelle du système, qui tient compte de facteurs technologiques, économiques et sociaux». Ce qui manque, ce ne sont ni les connaissances ni la capacité technologique pour mettre en œuvre ces changements, mais plutôt l’initiative sociale.

«De par sa nature même», a déclaré Robert Watson de l'IPBES, «un changement transformateur peut entraîner une opposition de la part de ceux qui ont des intérêts attachés au statu quo, mais aussi… une telle opposition peut être surmontée pour le bien public en général».

Traduit du libellé prudent d’études scientifiques menées sous les auspices des Nations Unies, le problème auquel l’humanité est confrontée est l’incapacité de faire face aux catastrophes écologiques sous le régime actuel: une économie fondée sur le profit privé et un monde divisé en États-nations antagonistes. Le problème est le capitalisme en tant que système mondial.

(Article paru en anglais le 14 mai 2019)

Loading