Comment Québec Solidaire a facilité la montée du chauvinisme anti-musulman

Québec Solidaire est salué par toute la pseudo-gauche canadienne comme «la véritable opposition, au Parlement et dans la rue» au gouvernement populiste de droite de la CAQ (Coalition Avenir Québec).

En fait, Québec Solidaire (QS) est un parti des classes moyennes aisées qui a déjà démontré son hostilité à tout véritable mouvement des travailleurs contre l'austérité capitaliste. Il a aidé les syndicats à faire dérailler politiquement la grève étudiante québécoise de 2012 et à étouffer, en 2015-2016, l'opposition de masse, menée par les travailleurs du secteur public, contre les coupes draconiennes du gouvernement Couillard dans les dépenses sociales. Sur le plan international, il est allié à d'autres partis de la pseudo-gauche comme Syriza en Grèce, Podemos en Espagne et le Parti de gauche en Allemagne, qui ont formé ou rejoint des gouvernements ayant mené des attaques frontales contre la classe ouvrière.

De plus, depuis plus d'une décennie, QS a joué un rôle politiquement pernicieux en encourageant les élites dirigeantes québécoise et canadienne à promouvoir un sentiment anti-immigrants et surtout anti-musulmans.

Au Canada, comme partout dans le monde, la bourgeoisie fait la promotion de la xénophobie et de l'islamophobie comme moyen de détourner la colère populaire face à l'insécurité économique croissante et aux inégalités sociales. Son objectif est aussi de diviser la classe ouvrière, de justifier les guerres impérialistes au Moyen-Orient et d’alimenter les éléments les plus réactionnaires, y compris l'extrême-droite.

Malgré tout, QS a toujours qualifié de «légitime» et de «nécessaire» le tollé, alimenté par la droite au Québec pendant douze ans, contre les accommodements «déraisonnables» accordés aux minorités religieuses, et la campagne subséquente visant à interdire aux travailleurs du secteur public de porter un voile religieux ou d’autres symboles religieux. QS s'est lui-même fait le champion, à maintes reprises, de mesures discriminatoires, que ce soit d'interdire aux employés de l'État dits «en position d’autorité» de porter des symboles religieux ou d'interdire l'accès aux services publics au petit nombre de femmes musulmanes pieuses du Québec qui portent le niqab ou la burqa.

Maintenant que le nouveau gouvernement de la CAQ a déposé une loi discriminatoire à l'endroit des minorités religieuses et surtout des femmes musulmanes, Québec Solidaire tente un repositionnement politique.

Le projet de loi 21 de la CAQ, ou loi «sur la laïcité de l’État», interdit le port de symboles religieux par les enseignants et les employés de l'État dits «en position d'autorité». Il prive les femmes musulmanes entièrement voilées de services publics essentiels comme les soins de santé. Et il invoque la «clause dérogatoire» qui permet aux gouvernements de bafouer les droits constitutionnellement «garantis» par la Charte canadienne des droits et libertés, afin que le projet de loi ne puisse être renversé par les tribunaux.

Le 30 mars, le conseil national de Québec Solidaire a voté pour abandonner son appui de plus d’une décennie à une interdiction des symboles religieux à peine moins stricte que celle du projet de loi 21 de la CAQ et a lancé une campagne pour présenter QS comme un opposant au chauvinisme anti-immigrants et un défenseur des minorités religieuses du Québec.

C'est une fraude. La volte-face de Québec Solidaire n'a rien à voir avec une position de principe en défense des droits démocratiques. Il ne s'agit pas non plus d'un tournant vers la gauche, comme le prétend l'aile soi-disant socialiste de la pseudo-gauche au Québec et au Canada anglais.

Dans les heures qui ont suivi le vote du Conseil national de QS, les principaux chefs de ce parti ont indiqué qu'ils continuaient d'appuyer l'interdiction aux femmes entièrement voilées d'occuper tout emploi dans les secteurs public et parapublic. De plus, toute la direction de QS – des co-porte-parole actuels du parti, Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois, à leurs prédécesseurs, Françoise David et Amir Khadir – a cherché à minimiser l'importance du changement dans la politique de QS, niant fermement que QS a contribué à la croissance du chauvinisme anti-immigrants et à l'islamophobie.

Des groupes tels que La Riposte et Gauche Socialiste – qui avaient parfois critiqué la position précédente du QS comme une concession «malheureuse» au chauvinisme et à la droite – ont, quant à eux, salué le changement de position de Québec Solidaire comme étant la preuve que QS peut être influencé par une pression «de gauche».

Comme la direction de QS, les groupes pseudo-marxistes sont déterminés à cacher le rôle joué par Québec Solidaire pour légitimer et propager un virulent chauvinisme québécois. À cette fin, ils excluent toute discussion sur l'environnement politique mondial dans lequel le débat sur la soi-disant «laïcité» au Québec a émergé et évolué, ainsi que sur le lien étroit entre la montée de l'islamophobie et la politique impérialiste – notamment la participation de l'impérialisme canadien à une série de guerres menées par les États-Unis en Asie centrale et au Moyen-Orient et la promotion de l’impérialisme des «Droits de l’homme». Plusieurs de ces guerres, y compris la guerre en Afghanistan et l'assaut de l'OTAN contre la Libye en 2011, il faut le souligner, ont été appuyées par les dirigeants du QS.

L’opposition soudaine de Québec Solidaire à la campagne menée par les nationalistes québécois pour invoquer cyniquement la «laïcité» afin de justifier la discrimination contre les musulmans et autres groupes religieux n’est rien d’autre qu’une manœuvre tactique.

C'est avant tout un aveu tacite que les couches privilégiées de la classe moyenne pour lesquelles parle QS se tournent résolument vers la droite depuis plus d’une décennie, tandis que la classe ouvrière va dans la direction opposée. À l'échelle mondiale, les deux dernières années ont été marquées par une recrudescence de la lutte des classes. Des manifestations de masse ont éclaté en France et en Algérie; les grèves aux États-Unis ont atteint leur plus haut niveau depuis trois décennies; et les travailleurs du monde entier ont commencé à se révolter contre les bureaucraties syndicales nationalistes de droite, notamment lors de la grève de dizaines de milliers de travailleurs de Matamoros, au Mexique, plus tôt cette année. Toutes ces luttes ont souligné le fait que pour des millions de travailleurs dans le monde, la question décisive n'est pas la race, l'appartenance ethnique, la religion ou la langue, mais la classe sociale.

La lutte de classe s'est également intensifiée dans la deuxième province la plus peuplée du Canada, faisant voler en éclats la perspective indépendantiste québécoise de QS, qui affirme au fond que les travailleurs du Québec ont plus en commun avec leurs patrons francophones qu'avec les travailleurs anglophones du Canada et de l'Amérique du Nord. Des grèves majeures impliquant des centaines de milliers de travailleurs du secteur public et de la construction ont éclaté en 2015 et 2017.

En même temps, l'émergence de Trump comme président américain et de l'AfD néo-nazie comme opposition officielle en Allemagne, et la présence de partis d'extrême droite à la tête de gouvernements dans plus de cinq pays européens ont souligné le fait que, partout, les élites capitalistes en crise vomissent la réaction, et que le chauvinisme anti-immigrants et anti-musulmans a joué un rôle central dans l’incubation de ces forces.

Dans ces conditions, QS craignait qu’en continuant de s'associer aussi ouvertement au chauvinisme québécois et à sa campagne explicitement de droite et antidémocratique pour interdire les symboles religieux, il risquerait de perdre toute crédibilité auprès des travailleurs et des jeunes. Cela l'empêcherait de jouer le rôle décisif qu'il cherche à jouer pour le compte du grand capital québécois: piéger les travailleurs et les jeunes, qui se tournent vers la gauche, dans la politique de pression parlementaire et le programme réactionnaire du séparatisme québécois. Après avoir plus que doublé sa part du vote populaire à 15 pour cent aux élections québécoises d'octobre dernier – une expression déformée de la radicalisation politique des travailleurs – QS a décidé qu'un réajustement superficiel de sa politique sur les symboles religieux était nécessaire, afin de couvrir ses propres traces et de renforcer sa fausse image de gauche.

Cette manœuvre cynique ne peut cacher le fait que QS est un parti pro-capitaliste, pro-impérialiste, un promoteur du nationalisme et du chauvinisme et un opposant implacable à la lutte pour unir les travailleurs du Québec à leurs frères et sœurs de classe du Canada anglais et du monde entier dans la lutte pour le pouvoir ouvrier et le socialisme.

Le reste de cet article va documenter le rôle que Québec Solidaire a joué pour légitimer et alimenter le chauvinisme québécois de droite, puis revenir sur la signification de sa récente volte-face.

La crise fabriquée de 2007-08 sur les «accommodements raisonnables»

En 2007, les médias de la grande entreprise – notamment les journaux à scandales du patron de Québecor et futur chef du PQ (Parti québécois), Pierre-Karl Péladeau – et les populistes de droite de l’ADQ (Action démocratique du Québec) ont fabriqué de toutes pièces une crise en dénonçant sans cesse les accommodements «déraisonnables» ou «excessifs» accordés aux minorités culturelles et religieuses. La réponse du gouvernement libéral de l’époque a été la mise sur pied de la commission dite Bouchard-Taylor, du nom de ses deux co-présidents, qui a ensuite servi de forum à des éléments de droite pour afficher leurs préjugés envers les minorités religieuses, et les musulmans en particulier.

Dans son rapport, la commission Bouchard-Taylor a établi que les médias de masse et les forces telles que l’ADQ (plus tard absorbée par la CAQ) avaient créé un climat de tension en faisant tout un tollé autour de quelques petites querelles. Mais dans ses recommandations, la commission s’est adaptée à cette campagne chauvine et l’a renforcée en proposant d’interdire le port de signes religieux aux employés de l’État dits en «position d’autorité».

La vanne était ainsi ouverte pour la promotion de toute une série de mesures réactionnaires et anti-démocratiques contre les immigrants et les minorités. Le PQ par exemple, qui avait été supplanté par l’ADQ en tant qu’opposition officielle lors des élections de 2007, a répondu au fait d’être relégué en troisième place en se tournant vers un chauvinisme québécois débridé. Il a réclamé une loi sur la «citoyenneté québécoise» qui aurait privé les nouveaux arrivants au Québec de droits politiques importants, y compris le droit de se porter candidats lors d’élections provinciales et municipales, s’ils échouaient un test d’aptitude en français.

Fondé en 2006 en tant qu’alternative supposément de gauche aux deux partis de gouvernement de la classe dirigeante, le Parti Libéral fédéraliste et le PQ souverainiste, Québec Solidaire a joué un rôle clé pour donner crédibilité et légitimé au tournant de l’élite dirigeante québécoise vers le chauvinisme anti-immigrants. Au lieu de dénoncer le débat sur les «accommodements raisonnables» comme une provocation de la droite, il a soutenu que ce débat était motivé par des inquiétudes légitimes. Il a ensuite endossé l’appel de la Commission Bouchard-Taylor à une interdiction des signes religieux chez des employés de l’État «en position d’autorité», présentant une telle mesure, qui ne ferait qu’ouvrir la voie à des formes encore plus extrêmes de discrimination, comme une réponse appropriée à un véritable problème de société.

QS donne une couverture «de gauche» à la Charte des valeurs québécoises du PQ

En 2012, QS a aidé à porter le PQ de nouveau au pouvoir dans la foulée d’une puissante grève étudiante à l’échelle de toute la province qui menaçait à son sommet de s’étendre aux travailleurs et de déclencher une vaste contre-offensive ouvrière contre l’austérité capitaliste

Alors que la bureaucratie syndicale pro-capitaliste faisait tout pour isoler et détourner la révolte étudiante derrière l’objectif réactionnaire de remplacer les libéraux par un gouvernement péquiste lors des prochaines élections, QS a proposé une alliance électorale avec le PQ. Puis à peine quelques jours avant l’élection de septembre 2012, il a de nouveau semé des illusions dans le PQ en s’engageant s’il détenait la balance du pouvoir à offrir un soutien inconditionnel pendant au moins un an à un gouvernement péquiste minoritaire.

À peine porté au pouvoir avec l’appui conjoint des syndicats et de QS, le gouvernement péquiste de Pauline Marois allait imposer des coupes drastiques dans les dépenses sociales et introduire sa Charte des valeurs québécoises pour interdire le port de signes religieux dits ostentatoires (excluant la «discrète» croix chrétienne) à tous les employés du secteur public. Cette mesure ultra-réactionnaire menaçait de congédiement sommaire des centaines de femmes musulmanes travaillant dans les hôpitaux, écoles et autres établissements publics du Québec, ainsi que des hommes juifs portant la kippa ou des Sikhs portant le turban.

La réponse de QS fut d’accueillir comme légitime le «débat» provoqué par ce projet de loi anti-démocratique du PQ. Ce qui s’ensuivit en réalité fut une montée du discours haineux contre les immigrants, et même des agressions physiques contre des femmes musulmanes par des extrémistes de droite. Même si QS a déploré que le PQ soit allé «trop loin», il a insisté pour dire que la Charte des valeurs québécoises ne pouvait être qualifiée de xénophobe et était, au fond, bien intentionnée. Françoise David, alors co-porte-parole de QS, a solennellement déclaré: «Je ne dis pas du tout que … les gens du Parti québécois sont islamophobes: sous la torture, je ne dirais pas ça».

Ayant deux députés à l’Assemblée nationale du Québec, QS a pu introduire le 9 octobre 2013 son propre projet de loi sur la «laïcité de l’État». Largement inspiré du rapport Bouchard-Taylor, ce projet de loi symbolique était une version allégée de la Charte des valeurs du PQ qui limitait l’interdiction des signes religieux aux employés de l’État dits en position d’autorité tels que juges, policiers ou gardiens de prison. Fait significatif, il comprenait également une nouvelle attaque sur les droits des minorités religieuses en privant les femmes entièrement voilées de services publics essentiels tels que les soins de santé, sauf en cas d’urgence.

Deux semaines plus tard, la CAQ, qui détenait alors 19 députés au Parlement du Québec, déposait lui aussi un projet de loi symbolique intitulé «Charte de la laïcité», qui reprenait les mêmes éléments que le projet de loi de QS, en ajoutant les enseignants et les directions d’école à la liste d’employés de l’État jugés en position d’autorité.

Les différences entre la Charte des valeurs du PQ et les projets de loi respectifs de QS et de la CAQ étaient seulement une question de degré. Les trois partis s’entendaient pour restreindre d’une manière ou une autre les droits démocratiques des minorités religieuses au nom de la «laïcité».

La coalition de facto entre le PQ, la CAQ et QS autour de cette question s’est poursuivie sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard, qui a été porté au pouvoir en avril 2014 en profitant de l’hostilité populaire aux mesures d’austérité du PQ et à son anti-démocratique Charte des valeurs.

Après le massacre de Québec: QS poursuit ses attaques sur les droits des minorités

Le 29 janvier 2017, le Centre culturel islamique de Québec, qui avait fait l’objet de nombreuses menaces dans les mois précédents, a été la cible d’un attentat terroriste sanglant perpétré par un extrémiste de droite. Alexandre Bissonnette a ouvert le feu sur des dizaines de fidèles, faisant six morts et huit blessés, dont six graves. L’attaque de Bissonnette était clairement de nature politique: il avait affiché de nombreux commentaires xénophobes sur les réseaux sociaux et proclamé son admiration pour Marine Le Pen et Donald Trump,

La réponse de QS a été de chercher une fois de plus à couvrir la responsabilité de tout l’establishment dirigeant dans l’attisement des préjugés anti-musulmans et la création d’un climat politique toxique qui encourageait la violence motivée par le chauvinisme.

QS a refusé de dénoncer la campagne des médias de masse et des politiciens de la grande entreprise visant à dépeindre les musulmans comme une menace aux valeurs québécoises – une campagne qui a certainement encouragé Bissonnette à commettre son acte horrible. QS a plutôt amené de l’eau au moulin de la droite chauvine en renouvelant son appel, sous le prétexte de «calmer les esprits», à interdire les signes religieux pour certains employés de l’État.

Et lorsque le PQ et la CAQ ont accepté de soutenir la position de QS, en mettant temporairement de côté leurs propres appels à une interdiction plus large, QS en a fait l’éloge comme la preuve qu’il existait un «large consensus» pour supposément apaiser les tensions inter-religieuses – en passant sous silence le fait que cet «apaisement» se ferait en se pliant aux demandes de la droite chauvine, largement relayées par l’establishment dirigeant au Québec, pour une restriction drastique des droits des minorités.

QS s’oppose de la droite au projet de loi 62 des Libéraux

Le gouvernement libéral de Philippe Couillard a choisi pour ses propres raisons – liées à la crainte de perdre son électoral traditionnel dans les minorités culturelles de la province – de ne pas aller aussi loin que demandaient le PQ, la CAQ et QS.

Mais en octobre 2017, les Libéraux ont adopté le projet de loi 62 qui visait explicitement les femmes musulmanes en stipulant que les gens portant un voile cachant le visage (niqab ou burka) seraient privés de services publics vitaux comme l’éducation, le transport en commun ou les soins de santé. Cela démontrait une fois de plus qu’aucune section de l’élite dirigeante, qu’elle soit fédéraliste ou souverainiste québécoise, n’était prête à défendre les droits des minorités – y compris le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau, qui est complice dans la chasse-aux-sorcières de Trump contre les immigrants et qui a récemment décidé de restreindre encore plus les droits des demandeurs d’asile.

Québec Solidaire a voté contre le projet de loi 62 de la droite, déplorant l’absence de toute interdiction des signes religieux. Quant à la clause privant les femmes musulmanes entièrement voilées des services publics essentiels, QS a exprimé des doutes sur les capacités du gouvernement à l’appliquer, notant que son libellé (qui cherchait à cacher son objectif discriminatoire par des phrases sur la sécurité et la transparence) était ambigu. Mais QS a évité de soulever toute objection de principe. Ce n’est pas surprenant, étant donné que cette mesure réactionnaire avait d’abord été proposée par QS lui-même en octobre 2013.

QS offre de travailler avec les populistes de droite de la CAQ

Pendant toute la campagne électorale québécoise de 2018, Québec Solidaire a continué de s’adapter à la réaction chauvine tout en lui servant de couverture. Au début de la campagne, la porte-parole et candidate de QS au poste de Premier ministre, Manon Massé, a déclaré que son parti pourrait envisager de soutenir un gouvernement minoritaire dirigé par les populistes de droite de la CAQ – un parti connu pour sa promotion assidue de la déréglementation, la privatisation, le démantèlement des services publics, et une réduction massive des taxes sur les riches et la grande entreprise.

Réalisant qu’un tel programme socio-économique de droite ne pourrait rallier un large soutien populaire, la CAQ l’a mis en retrait à l’approche des élections de 2018. Elle a plutôt mis l’accent sur un discours populiste de droite, bâti autour de propositions à caractère chauvin. Celles-ci comprenaient une réduction de 20 pour cent de l’immigration au Québec, l’expulsion d’immigrants nouvellement reçus qui échouent après trois ans un test de langue française et de «valeurs québécoises», ainsi que l’interdiction des signes religieux aux enseignants et employés de l’État «en position d’autorité».

À mesure que la campagne progressait, les positions chauvines de la CAQ ont provoqué un tollé de protestations. QS, toutefois, a continué de lui tendre la main. Au lieu de souligner les points communs entre les positions de la CAQ et celles de l’AfD, du Ralliement national de Le Pen et d’autres forces semblables d’extrême-droite, au lieu d’avertir que son agitation chauvine visait à diviser la classe ouvrière, Massé est venue à la défense de la CAQ. Au milieu d’un débat télévisé des chefs, Massé a insisté pour dire que le chef de la CAQ François Legault «n’est pas raciste».

QS est resté largement silencieux face aux deux projets de loi que Legault et son gouvernement caquiste ont déposés pour appliquer leur programme populiste de droite: le projet de loi 9 qui réduit le nombre d’immigrants reçus au Québec et ouvre la porte au racisme et à l’islamophobie en ajoutant des critères «culturels» au processus de sélection; et le projet de loi 21 qui viole les droits des minorités religieuses.

Organiquement opposé à la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière contre le gouvernement Legault et l’élite capitaliste québécoise, QS minimise systématiquement le danger du populisme de droite. Il invoque la crise du changement climatique – sa préoccupation du moment – non pas pour accuser le capitalisme et le système d’États-nations; mais pour justifier sa politique de pression parlementaire, assortie d’appels répétés en direction du gouvernement caquiste de la grande entreprise, tout en travaillant étroitement avec les syndicats pro-capitalistes pour étouffer la lutte de classe.

Pourquoi QS a abandonné le «compromis» Bouchard-Taylor

Tel que documenté plus haut – et c’est loin d’être un récit complet du rôle pernicieux joué par Québec Solidaire dans le faux débat au Québec sur les «accommodements raisonnables» et la «laïcité» –, le parti de la pseudo-gauche québécoise a longtemps facilité la montée du chauvinisme anti-musulman.

Le vote du conseil national de QS contre toute restriction au port de signes religieux par les employés de l’État ne constitue aucunement un tournant vers une défense de principe des droits démocratiques des minorités. Et ce n’est pas seulement parce que la direction continue de défendre le rôle abject qu’a joué QS pendant plus d’une décennie – comme en témoigne une déclaration de Khadir après le vote du 30 mars saluant, une fois de plus, Bouchard-Taylor comme un «compromis honorable».

Une défense de principe des droits démocratiques des minorités ne peut être basée que sur la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière contre la cause fondamentale des inégalités sociales, des guerres impérialistes et de l’assaut sur les droits démocratiques, à savoir le système capitaliste mondial. Un tel programme socialiste est rejeté par QS.

Le changement de position de Québec Solidaire n’est qu’un repli tactique. C’est une tentative d’effacer ses traces dans un contexte où il était de plus en plus discrédité comme un complice de l’extrême-droite et ce, en pleine recrudescence de la lutte de classe et radicalisation politique au Québec, au Canada et à travers le monde.

Il était évident dès le début que le débat au Québec sur les accommodements et la laïcité était une campagne de droite. Mais tout ce qui s’est passé dans les 12 dernières années au Québec et à l’échelle internationale l’a confirmé – le massacre de la mosquée de Québec et les activités de groupes locaux d’extrême-droite tels que La Meute; l’émergence de l’AfD néo-nazie en Allemagne; l’arrivée au pouvoir de Trump aux États-Unis et de Bolsonaro au Brésil; et plus récemment l’atrocité anti-musulmane de Christchurch en Nouvelle-Zélande.

Le «repositionnement» de Québec Solidaire sur le débat concernant la laïcité et les accommodements vise à mieux le placer pour confiner et faire dérailler le mouvement grandissant de la classe ouvrière, avant tout en l'enfermant dans le piège réactionnaire que constitue la perspective nationaliste de l'indépendance du Québec.

Le projet mis de l’avant par QS pour la formation d’une république capitaliste du Québec représente les intérêts d’une section de la classe dirigeante québécoise qui cherche à établir son propre État national comme un levier pour améliorer sa position géopolitique sur la scène mondiale et accroître sa domination politique de la classe ouvrière en évacuant la lutte de classe au nom de l’«unité nationale».

Le nationalisme «de gauche» préconisé par QS vise consciemment à empêcher les travailleurs du Québec de joindre leurs forces aux travailleurs du reste du Canada et du monde dans une lutte commune contre le capitalisme. Dans les années 1960 et 1970, c’est le mécanisme qui fut utilisé pour isoler la lutte explosive des travailleurs du Québec et subordonner politiquement ces derniers au parti de la grande entreprise qu’a toujours été le PQ.

Aujourd’hui, dans un contexte d’effondrement du capitalisme, d’éruption de la guerre commerciale, de montée des tensions géo-politiques mondiales, et de tentatives des classes dirigeantes pour attiser les différences ethno-religieuses et autres pour miner l’unité de classe fondamentale des travailleurs, le nationalisme québécois – comme son jumeau le nationalisme canadien – va s’avérer être l’incubateur d’une politique basée sur le chauvinisme le plus ignoble.

Fait significatif, les alliés internationaux de Québec Solidaire partagent sa complicité dans la montée des forces chauvines. En Allemagne, le Parti de gauche considère «le libre mouvement et l’immigration comme la source principale de la compétition accrue pour les emplois à bas salaire». En Espagne, Podemos a accueilli des mesures prises par un gouvernement italien constitué d’une coalition au sein de laquelle la Ligue du Nord néo-fasciste de Matteo Salvini joue le rôle central. En Grèce, Syriza a impose des coupes sociales plus drastiques que ses prédécesseurs, attaqué les réfugiés et formé depuis des années une alliance gouvernementale avec les Grecs indépendants, un parti nationaliste de droite proche de l’armée.

La défense des droits des minorités, élément essentiel de la défense des droits démocratiques de toute la classe ouvrière, doit être basée sur le rejet de toutes formes de nationalisme et de politique identitaire – y compris la tentative de Québec Solidaire de ressusciter le programme largement discrédité de l’indépendance du Québec. Elle requiert plutôt la mobilisation politique des travailleurs français, anglais et immigrés du Canada dans une lutte commune contre le capitalisme, en étroite collaboration avec leurs alliés de classe des États-Unis, du Mexique et d’outre-mer.

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