La rumeur d’un accord entre Fiat-Chrysler et Renault laisse présager des licenciements massifs

Fiat-Chrysler (FCA) et le constructeur automobile français Renault sont en pourparlers avancés pour établir une alliance d’entreprises, a rapporté la presse financière ce week-end. L’annonce de l’accord pourrait se faire dès aujourd'hui 27 mai.

Les pourparlers se seraient développés très rapidement ces derniers jours. A l'écriture de ces lignes, la forme exacte que prendra l’accord n’est pas encore claire. Les informations vont d’une alliance qui implique un échange d’actions à une fusion complète. Bloomberg News rapporte qu’il s’agit d’un «lien opérationnel… qui pourrait mener à une fusion complète». Le New York Times a dit: «les deux parties ont convenu, au minimum, de partager la technologie, la propriété intellectuelle, les chaînes d’approvisionnement et les usines pour développer et fabriquer des véhicules.»

Quelle que soit l’issue des discussions, si un accord est conclu, il ne fait aucun doute que le bilan pour les travailleurs des deux entreprises sera des licenciements massifs et des fermetures d’usines. Un tel accord viserait à éliminer la surcapacité dans les deux entreprises par les licenciements de masse. Ainsi, il augmentera les bénéfices de chacune d’elles.

Automotive News a émis l’hypothèse que l’opération pourrait aider la FCA à consolider ses activités européennes moins rentables. Celles-ci représentent un tiers de ses effectifs. Par contre, la quasi-totalité des bénéfices de l’entreprise est réalisée en Amérique du Nord. «Renault, dont le gouvernement français détient 15 pour cent, compte sur l’Europe pour près de la moitié de ses ventes», indique le site Internet de l’industrie. Par ailleurs, l’opération permettrait à Renault d’accéder plus facilement au lucratif marché nord-américain.

L’accord s’inscrit dans le cadre d’une restructuration mondiale de l’industrie automobile au milieu des signes croissants d’une récession mondiale. L’industrie de l’automobile, en particulier, est confrontée à une baisse de la demande de véhicules neufs et à une hausse des coûts d’investissement associés aux technologies émergentes telles que les véhicules électriques et les voitures particulières. Les analystes ont souligné que l’un des avantages de l’accord pour la FCA serait l’accès à la recherche de Renault sur les véhicules électriques, que la FCA a été lente à adopter.

Wall Street et d'autres institutions financières exigent la consolidation des grands constructeurs automobiles et un nouveau massacre des emplois. En janvier, VW et Ford ont annoncé une alliance mondiale pour construire conjointement des camionnettes et des véhicules commerciaux, et le mois dernier, Bloomberg News a publié un article intitulé «L'industrie de l'automobile est en retard sur les mégafusions».

Les producteurs américains d'assemblage et de pièces d'automobiles réduisent maintenant leurs effectifs au rythme le plus élevé depuis la crise financière de 2009, lorsque Chrysler et GM ont fait faillite, selon la société d'outplacement Challenger, Gray & Christmas. L'industrie automobile américaine a annoncé près de 20.000 mises à pied jusqu'en avril, soit plus de trois fois le chiffre de l'an dernier au même moment. Ce chiffre ne tient pas compte des 7.000 suppressions d'emplois salariés de Ford annoncées plus tôt en mai.

La FCA a effectué des milliers de mises à pied dans ses installations nord-américaines au cours des trois derniers mois, et bien d'autres, selon la rumeur, seraient en route. En mars, l'entreprise a annoncé l'élimination d'un quart de travail complet pour 1500 travailleurs à son usine d'assemblage de Windsor au Canada et la mise à pied de 1400 travailleurs du troisième quart à son usine de Belvidere, dans le nord-ouest de l'Illinois, par un appel automatisé.

On ne sait pas encore quel sera l’effet de la rumeur sur l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi de l’accord avec Fiat-Chrysler. Ce «partenariat stratégique», pris comme une seule entité, serait le plus grand constructeur automobile du monde, bien que les trois sociétés soient considérées comme des entités distinctes qui détiennent des actions les unes dans les autres.

Des initiés ont suggéré que FCA pourrait éventuellement rejoindre l’alliance. Toutefois, le fait que Renault ait apparemment négocié avec Fiat-Chrysler sans la participation de ses partenaires de l’alliance indique une grave détérioration des relations entre les sociétés constituantes de l’alliance.

Renault et Nissan ont fondée l’alliance en 1999. C’était à une époque où le constructeur japonais était au bord de la faillite, Mitsubishi y a adhéré en 2016. Carlos Ghosn, PDG de Renault, nommé PDG de Nissan en 2001, a ramené Nissan à la rentabilité après avoir licencié 21.000 salariés et fermé cinq usines. Ce qui lui a fait gagner le prix de «l'Homme d’affaires de l’année» de Forbes en 2002.

Bien que Nissan soit de loin la plus grande entreprise de l'Alliance en termes de volume de ventes, Renault exerce effectivement un contrôle en vertu de sa participation à 43 pour cent dans Nissan, tandis que Nissan ne détient que 15 pour cent des droits de vote de Renault. Cette relation inégale est source de frictions depuis des années.

L’arrestation de Ghosn en novembre dernier au Japon pour mauvaise conduite financière a placé l’avenir de l’alliance en question et a contribué à faire chuter les bénéfices de Nissan de 45 pour cent. Les accusations, bien que crédibles, découlent de profondes divisions entre les factions au sein des hauts dirigeants de l’alliance, en particulier entre Nissan et Renault.

L’enjeu est la volonté de Renault de consolider davantage l’alliance, notamment en proposant un système qui aurait effectivement donné à Ghosn le contrôle personnel, notamment en lui donnant la possibilité de fixer sa propre rémunération sans contrôle du conseil d’administration. Rejetée en 2017, la relance de cette proposition au printemps dernier a coïncidé avec le début d’une enquête secrète menée par des dirigeants de Nissan sur une éventuelle faute professionnelle de Ghosn.

Ghosn avait également poussé à une fusion complète entre Renault et Nissan, à laquelle les dirigeants de Nissan ont farouchement résisté. Alors que les négociations de fusion sont actuellement en suspens, l’accord proposé avec Fiat-Chrysler pourrait être un moyen de faire pression sur le conseil d’administration de Nissan, selon certains analystes.

L’annonce de l’accord imminent entre FCA et Renault, ainsi que la suppression massive d’emplois par les autres constructeurs automobiles américains, intervient dans la même période. Il s’agit de l’approche de l’expiration, à la mi-septembre, des conventions collectives de quatre ans. avec le syndicat: Travailleurs unis de l’automobile (UAW). Ces accords couvrent 155.000 travailleurs GM, Ford et FCA aux États-Unis. La direction de l’entreprise est confiante que les dirigeants de l'UAW, qui ont accepté des millions en pots-de-vin pour forcer par des concessions dans les contrats précédents, continueront leur rôle d’agents achetés des patrons. Cependant, les constructeurs automobiles et l’UAW font face à un climat de plus en plus rebelle chez les travailleurs de l’automobile. Ces derniers sont déterminés à reconquérir tout ce qu’on leur avait enlevé au cours des quatre dernières décennies.

Les constructeurs veulent lancer une offensive – des fermetures d’usines, des mises à pied, des fusions et à d’autres mesures qui visent à accroître l’exploitation de sa main-d’œuvre – avant les négociations sur les conventions collectives. Ils tentent de mettre les travailleurs devant le fait accompli. Ainsi, ils font passer la question des augmentations de salaires et d’embauches à la détermination des réductions et du moment où elles auront lieu.

Cependant, les conditions sont réunies pour une puissante contre-offensive des travailleurs de l’automobile. Les travailleurs de l’automobile doivent prendre en main la conduite de la lutte en formant des comités d’usines de base, indépendants des syndicats. L’attaque contre l’emploi et le niveau de vie se déroule à l’échelle internationale. Cela souligne la nécessité pour les travailleurs américains de s’unir aux travailleurs d’Europe, d’Asie, d’Amérique latine et du monde entier pour combattre ces entreprises mondiales.

(Article paru d’abord en anglais le 27 mai 2019)

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