Dans une victoire juridique pour Assange, un tribunal suédois se prononce contre l’extradition

Le tribunal de district d’Uppsala s’est prononcé hier contre la proposition des procureurs de l’État suédois de détenir officiellement Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, par contumace. Si le tribunal avait accepté cette proposition, cela aurait déclenché une demande d’extradition de ce dernier depuis la Grande-Bretagne.

Les avocats d’Assange ont décrit ce jugement comme une «victoire» juridique. Cela représente un coup porté aux tentatives des procureurs suédois d’obtenir l’extradition d’Assange par l’émission d’un mandat d’arrêt européen, bien qu’on ne l’ait jamais accusé d’aucun crime en Suède.

L’audience faisait suite à la réouverture, le mois dernier, d’une «enquête préliminaire» sur les allégations par la Suède d’inconduite sexuelle à l’encontre Assange. Les procureurs ont déjà abandonné deux enquêtes aux motifs identiques au cours des huit dernières années. Ils ont relancé de nouveau l’enquête après l’expulsion d’Assange de l’ambassade d’Équateur à Londres et son arrestation par la police britannique, le 11 avril.

Le but de l’enquête suédoise est de noircir le nom d’Assange et de fournir un itinéraire d’alternative pour l’envoyer vers une prison américaine. Depuis 2010, les autorités suédoises ont rejeté à plusieurs reprises les demandes des avocats d’Assange de garantir qu’on ne l’ extraderait pas vers les États-Unis s’il était détenu en Suède.

Lors de l’audience, la procureur suédoise, Eva-Marie Persson, aurait dit au tribunal qu’un ordre de détention devrait être accordé car Assange présentait un «risque de fuite». Elle a également affirmé que cela était nécessaire en raison de «l’intérêt général d’une enquête sur le crime».

L’avocat suédois d’Assange, Per Samuelsson, a répondu qu’on ne pouvait pas considérer que le fondateur de WikiLeaks présentait un «risque de fuite» parce qu’il est emprisonné à la prison de Belmarsh, en Grande-Bretagne, en vertu d’une peine de 50 semaines pour un délit mineur de libération sous caution.

Samuelsson a également noté qu’on n’avait même pas demandé à Assange de participer volontairement à l’enquête. «Par conséquent, il ne peut être arrêté pour cause d’interrogatoire», a-t-il précisé. L’avocat de la défense a déclaré que s’ils le souhaitaient, les procureurs suédois pourraient demander à interviewer Assange à la prison de Belmarsh ou par liaison vidéo.

Samuelsson les a accusés d’essayer de «concurrencer» les tentatives américaines d’extrader Assange. Ce dernier fait face aux États-Unis à des inculpations en vertu de la Loi sur l’espionnage, qui prévoient une peine maximale de 170 ans d’emprisonnement. Les États-Unis mettent en cause la révélation par WikiLeaks de crimes de guerre et de complots diplomatiques américains. Son avocat a insisté sur le fait qu’Assange devait être autorisé à se concentrer sur sa défense contre la demande d’extradition américaine.

Le jugement de la cour indique que pour être menée, l’enquête ne «nécessite pas la détention de Julian Assange. Donc, le tribunal ne considère pas qu’il soit proportionnel de détenir Julian Assange».

Persson a dit, après la décision: «Je respecte pleinement la décision du tribunal». Elle a déclaré que les procureurs suédois émettraient une ordonnance d’enquête européenne pour interroger Assange à une date non précisée.

Dans un entretien avec la SVT Nyheter, Samuelsson a décrit le verdict comme une «grande victoire pour la défense… Les procureurs ont subi une rebuffade». Il a dit que l’enquête était «compromise», ajoutant qu’«il est impossible à ce stade de rectifier les choses en ce qui concerne l’intégrité de l’enquête».

«Il n’y a aucune raison de l’amener en Suède si l’enquête préliminaire est de nouveau abandonnée. Les procureurs ont déjà abandonné l’affaire à deux reprises, et ils pourraient bien l’abandonner une troisième fois après avoir interrogé Assange à nouveau», a-t-il poursuivi.

Bengt Ivarsson, ancien président de l’ordre des avocats suédois, a commenté: «Je partage l’opinion selon laquelle le tribunal de district a eu raison de ne pas détenir Assange. La seule chose raisonnable à faire serait d’abandonner cette enquête une fois pour toutes».

Les procureurs suédois ont demandé la détention formelle d'Assange, en dépit du fait que leur enquête ne soit pas terminée.

En vertu de la loi britannique de 2003 sur l’extradition, un individu n’est censé être extradé en vertu d’un mandat d’arrêt européen vers un autre pays européen que si les autorités judiciaires du pays requérant ont «pris la décision de l’inculper ou de le juger».

Les tribunaux britanniques ont piétiné cette réserve. Ils ont statué à plusieurs reprises qu’on devait extrader Assange vers la Suède en dépit d’une totale absence de charge. Le Parlement britannique a modifié la loi en 2014, après qu’Assange eut été contraint de demander l’asile politique à l’ambassade d’Équateur à Londres, pour réaffirmer la protection contre l’extradition sans inculpation.

L’«enquête» suédoise a toujours été une machination politique. En août 2010, deux Suédoises qui avaient eu des rapports sexuels consensuels avec Assange se sont rendues à la police pour lui demander de passer un test VIH. Au cours de l’interrogatoire, des allégations d’inconduite sexuelle ont été concoctées.

Des SMS de l’une des prétendues «victimes» déclaraient en 2010: «Je ne voulais pas porter d’accusations contre JA» et «c’est la police qui a inventé les accusations».

Une première «enquête préliminaire» en 2010 a révélé que «les éléments de preuves ne révélaient aucune preuve de viol» et qu’il n’y avait «pas de crime du tout».

Assange est resté en Suède pendant cinq semaines et n’a quitté le pays qu’après que les procureurs lui aient dit qu’on ne le recherchait pas pour être interrogé.

Une nouvelle procureure, Marianne Ny, a relancé l’«enquête préliminaire» en septembre 2010. Ny a agi à l’instigation de Claus Borgström, avocat dont on dit qu’il a des liens étroits avec l’établissement politique suédois et américain. Cela au beau milieu d’une campagne massive des États-Unis contre WikiLeaks suite à la publication de vidéos et de journaux de guerre révélant les crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan.

Ny a lancé une notice rouge d’Interpol pour l’arrestation d’Assange, généralement réservée aux terroristes et aux assassins. Bien que ce soit Ny, un procureur et non un tribunal qui ait délivré le mandat d’arrêt d’Assange, les Britanniques ont confirmé ce mandat à plusieurs reprises. Dans des conditions où les autorités suédoises n’offraient aucune garantie contre l’extradition d’Assange vers les États-Unis, Assange avait demandé l’asile politique à l’ambassade d’Équateur en 2012.

Au cours des six années suivantes, les procureurs suédois ont rejeté les offres d’Assange d’être interviewé à l’ambassade. Au cours de la même période, ils ont interrogé hors de Suède 44 personnes soupçonnées d’infractions pénales. En 2016, la Cour d’appel suédoise a statué que Ny avait manqué à son devoir parce qu’une enquête préliminaire doit être soit ouverte et active, menant à une accusation, soit close.

En novembre 2016, les procureurs suédois ont interrogé Assange dans le bâtiment de l’ambassade. L’année suivante, ils ont mis fin à leur enquête, malgré le fait qu’ils auraient pu la poursuivre. Au cours des huit dernières années, les procureurs du pays ont inculpé à plusieurs reprises des individus de crimes graves in absentia.

L’ampleur du complot perpétré contre Assange a été révélée grâce à des documents obtenus par la journaliste italienne Maurizi dans le cadre de demandes d’accès à l’information en 2017 et 2018.

Ces documents montrent que le British Crown Prosecution Service (CPS) a insisté en 2010 et 2011 pour que les autorités suédoises rejettent l’offre d’Assange de l’interroger en Grande-Bretagne ou par liaison vidéo, et pour qu’ils demandent plutôt un mandat d’arrêt pour extradition.

Ils ont également montré que les Suédois avaient envisagé d’abandonner l’enquête dès 2013. Le CPS britannique a insisté pour qu’ils continuent ; l’avocat principal du CPS qui s’est occupé du dossier d’Assange les mit en garde, disant «Ne vous avisez pas de vous dégonfler!!!».

D’autres courriels, dont un du FBI (Federal Bureau of Investigations) américain à Ny, ont été supprimés de façon inexplicable. Ny a affirmé plus tard qu’elle ne se souvenait plus de leur contenu. Le FBI a joué un rôle central dans la campagne des États-Unis pour détruire WikiLeaks et sa réputation.

(Article paru d’abord en anglais le 4 juin 2019)

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