Le premier ministre du Québec dénonce les «salaires élevés» des travailleurs et soutient l'initiative du patronat pour extorquer des concessions

Le premier ministre du Québec, François Legault et son gouvernement populiste de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ) s’apprêtent à entrer en collision avec la classe ouvrière. Depuis son arrivée au pouvoir en octobre dernier, la CAQ a réduit les impôts des grandes entreprises, poursuivi la politique d'austérité de ses prédécesseurs libéraux et du Parti québécois et présenté un projet de loi chauvin visant les immigrants et les minorités religieuses.

Au cours des dernières semaines, M. Legault a exprimé à plusieurs reprises son soutien à la volonté des grandes entreprises d'accroître leur «compétitivité» en extorquant des réductions de salaires et d'autres concessions de leur main-d'œuvre, ainsi qu'en sous-traitant et en externalisant des emplois. Ancien propriétaire multimillionnaire de l’entreprise Air Transat, le premier ministre du Québec a dénoncé les salaires «trop élevés» et attaqué les travailleurs pour avoir formulé des demandes «excessives».

Cette offensive anti-travailleurs a commencé fin mars, lorsque Legault a abandonné la supposée position traditionnelle de «neutralité» gouvernementale dans les conflits du travail dans le secteur privé, se rangeant publiquement aux côtés de l'Aluminerie de Bécancour (ABI) dans ses demandes de concessions contractuelles. Une usine conjointe entre les géants transnationaux de l'aluminium et des mines Alcoa et Rio Tinto-Alcan, ABI a mis en lock-out 1030 employés de production et de bureau depuis 18 mois, dans le but de réduire les retraites, les droits d'ancienneté et d'imposer une accélération de la cadence de travail.

Dans des tweets et dans des interactions avec la presse, Legault a attaqué à plusieurs reprises les travailleurs d'ABI pour leurs «salaires élevés» – bien que les salaires ne soient pas en cause dans le conflit – et exigé que les travailleurs «fassent des compromis» – bien que ce soit l'entreprise qui ait à plusieurs reprises augmenté ses exigences de concession.

Le 17 avril, le ministre du Travail de Legault a soumis la proposition du gouvernement visant à régler le conflit. Non seulement il a incorporé les principales demandes d’ABI, mais il est allé plus loin que la dernière offre de la société en permettant à la direction de sous-traiter le travail à l’étranger.

Deux semaines plus tard, Legault profitait du 1er mai pour se lancer contre les «salaires élevés» de l'ensemble de la main-d'œuvre industrielle du Québec. Le premier ministre s'est plaint du fait que les travailleurs québécois reçoivent des salaires plus élevés que leurs homologues américains et a affirmé que les investisseurs étaient effrayés par les droits et les salaires dont bénéficient les travailleurs québécois. «Quand un syndicat demande trop, a déclaré Legault, il y a un risque de perte d'emplois».

La semaine dernière, M. Legault a entériné la décision du fabricant de valves industrielles québécois Velan de fermer l'une de ses deux usines montréalaises, de supprimer 200 emplois et de transférer leur travail en Inde. Mettant en lumière le caractère frauduleux de la promesse électorale de la CAQ de créer des emplois bien rémunérés pour les travailleurs, le premier ministre a déclaré: «C’est peut-être une bonne chose que certains emplois moins rémunérés soient dans des usines étrangères». Il a ensuite déploré les pertes financières récentes subies par les propriétaires de Velan.

Les propos provocateurs de Legault devraient servir d'avertissement à tous les travailleurs québécois. Son gouvernement prépare un assaut important contre les droits sociaux des travailleurs, notamment en levant les dernières restrictions à la sous-traitance et en mettant en œuvre le plan de longue date de la CAQ de privatiser les services publics, y compris les soins de santé. À l'approche des négociations de l'année prochaine sur le renouvellement des contrats de plus d'un demi-million de travailleurs et de travailleuses du secteur public et parapublic du Québec, les propos de Legault indiquent que le gouvernement demandera d'importantes concessions, y compris de nouvelles réductions des retraites.

Legault et la CAQ ont été encouragés par la complicité des syndicats, qui depuis des décennies répriment la lutte de classe en imposant des concessions et des suppressions de postes. Les syndicats ont passé les huit dernières années à prévenir des dangers d'un gouvernement de la CAQ et des plans de privatisation de Legault. Mais à peine la CAQ avait-elle des chances de gagner les élections dans les sondages en octobre dernier que les syndicats ont déclaré qu'il fallait donner une «chance» au nouveau gouvernement. Subséquemment, les syndicats ont parlé d’une «lune de miel» avec le gouvernement de la CAQ, qui a eu la bonté de les consulter à propos de la mise en œuvre de son programme de droite.

Depuis qu'Alcoa et Rio Tinto ont mis en lock-out les travailleurs d’ABI en janvier 2018, le syndicat des Métallos (USW) et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) ont systématiquement isolé leur lutte, tout en se disant prêts à faire de grandes concessions en matière de pensions et suppressions d'emplois. Fortement opposés à faire de la lutte des travailleurs d'ABI le catalyseur d'une offensive plus large de la classe ouvrière contre les concessions et l'austérité capitaliste, l'USW et la FTQ ont cherché à dissiper l'énergie des travailleurs dans des appels futiles et réactionnaires aux actionnaires d'Alcoa et au gouvernement du Québec, qui, à leur avis, pourraient convaincre les propriétaires d’ABI que le lock-out est une mauvaise décision commerciale.

Pendant des mois, les syndicats ont travaillé main dans la main avec le ministère du Travail, tout en affirmant que Legault pourrait faire l'objet de pressions pour qu'il intervienne au nom des travailleurs d'ABI. En fin de compte, Legault et son gouvernement sont intervenus et l’ont fait de manière démonstrative. Cependant, comme cela était tout à fait prévisible, et en fait, inévitable, ils l'ont fait pour aider la direction de l’entreprise.

Ayant pris la mesure des bureaucrates syndicaux, Legault a profité de la réunion annuelle du premier mai du premier ministre du Québec avec les présidents des principales fédérations syndicales de la province pour faire pression sur eux afin qu’ils fassent preuve de plus de souplesse dans l’application des diktats des grandes entreprises québécoises. «Je pense que nous devrons faire appel aux syndicats, y compris aux Métallos, pour être plus raisonnables», a déclaré Legault au début de la réunion.

De leur côté, les dirigeants syndicaux étaient soucieux de ne froisser personne. En réponse à la dénonciation provocatrice de Legault au sujet des salaires «excessifs» des travailleurs, le président de la FTQ, Daniel Boyer, a déclaré: «Il est bien sûr un peu triste que le premier ministre dise ces choses en ce jour des travailleurs». Luc Vachon, responsable de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), se faisant l’écho des inquiétudes de Legault à propos du développement économique du Québec, a déclaré: «C'est une bonne nouvelle qu'un premier ministre se considère comme le moteur du développement économique et de la création de richesse.»

Pour détourner l’attention de sa politique propatronale et diviser la classe ouvrière, la CAQ et son «Québec d’abord» cherche à faire des boucs émissaires des immigrants et des minorités. Elle a promis de promulguer deux projets de loi chauvins avant que l'Assemblée nationale ne lève ses travaux pour ses vacances d'été plus tard ce mois-ci. La loi 9 réduira le nombre d'immigrants reçus par le Québec et établira de nouveaux critères de sélection «culturels», ouvrant ainsi largement la porte à la discrimination. Le projet de loi 21 cible les minorités religieuses, en particulier les femmes musulmanes, en interdisant à de nombreux employés de l'État, y compris les enseignants, de porter des symboles religieux et en interdisant aux femmes portant le niqab ou la burqa de recevoir des services de santé, d'éducation et d'autres services publics.

Comme dans tous les pays, l'élite dirigeante du Canada réagit à la débâcle capitaliste – croissance économique anémique, guerre commerciale et augmentation concomitante de l'impérialisme et de la rivalité entre grandes puissances – en se tournant vers l'austérité, des méthodes de contrôle autoritaires, le réarmement et la guerre.

Le gouvernement libéral prétendu «progressiste» de Trudeau a continué sur la voie tracée par le gouvernement conservateur de Harper, réduisant les impôts pour les grandes entreprises, criminalisant les grèves et impliquant de plus en plus le Canada dans les offensives militaires et stratégiques de Washington contre la Russie et la Chine, ainsi que dans l’opération de changement de régime lancée contre le président élu du Venezuela.

En mettant au pouvoir des gouvernements dirigés par des populistes de droite dans trois des quatre provinces les plus peuplées du pays – Legault au Québec, Doug Ford en Ontario et Jason Kenney en Alberta – l'élite dirigeante cherche à pousser la politique plus à droite.

Que Legault, Ford et Kenney puissent remporter des postes en lançant un appel démagogique à la colère populaire suscitée par le stress et l’insécurité économiques, est étroitement lié au rôle joué par les gouvernements du NPD, du Parti québécois et du Parti libéral dans la mise en œuvre des politiques d'austérité et de guerre désirées par la classe dirigeante.

Au Québec, il y a eu une lutte sociale importante après l'autre, y compris la grève des étudiants québécois de 2012, le défi de 2015 des travailleurs du secteur public au programme d'austérité du gouvernement libéral Couillard et la grève de la construction de 2017 au Québec. Mais ces luttes ont toutes été étranglées par les syndicats qui, pendant des décennies, ont formé une alliance politique étroite avec le PQ propatronal.

Le PQ étant publiquement discrédité en raison de son rôle dans la mise en œuvre de l'austérité et de sa «Charte des valeurs québécoise» chauvine, les syndicats se tournent maintenant de plus en plus vers le parti de pseudo-gauche Québec Solidaire (QS) pour que celui-ci leur fournisse une couverture politique pendant qu’ils collaborent avec Legault et les grandes entreprises.

C'est ainsi que les Métallos ont invité le député de QS, Alexandre Leduc, à prendre la parole lors de la manifestation qu'ils ont parrainée le 25 mai pour soutenir les travailleurs en lock-out d'ABI. Québec Solidaire, qui a aidé les syndicats à faire échec à la grève étudiante québécoise de 2012 et à détourner l'opposition au gouvernement libéral Charest derrière le PQ, est plus que disposé à venir en aide aux syndicats procapitalistes.

La Riposte, Gauche socialiste et d'autres groupes pseudo-marxistes soutiennent le parti pro-indépendance du Québec, QS, le troisième parti en importance à l'Assemblée nationale du Québec, en tant que «véritable opposition» à la CAQ. En fait, QS est un parti des classes moyennes privilégiées qui cherche à contenir l’opposition sociale dans le cadre de la politique électorale et de la politique de protestation et à séparer les travailleurs québécois de leurs frères et sœurs de classe dans le reste de l’Amérique du Nord et dans le monde.

Les travailleurs du Québec qui entrent maintenant en lutte contre le gouvernement de la CAQ, dirigé par Legault, et des entreprises comme ABI et Velan doivent unir leurs forces aux travailleurs du Canada et de l'étranger. Une contre-offensive contre l'austérité, les concessions, les lois antigrèves et la guerre doit être animée d'une perspective socialiste: la lutte pour le pouvoir politique de la classe ouvrière et la réorganisation de la vie socio-économique avec le principe directeur de la satisfaction des besoins sociaux et non pas l’enrichissement des oligarques capitalistes.

(Article paru en anglais le 12 juin 2019)

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