Une grave pénurie d’eau frappe Chennai, la quatrième plus grande région métropolitaine de l’Inde

Une grave crise de l’eau dans le sud de l’Inde frappe Chennai, la capitale de l’État du Tamil Nadu qui est la quatrième région métropolitaine la plus peuplée du pays. Les résidents sont forcés de se joindre à des files d’attente la nuit pour avoir accès à de petites quantités d’eau. Les plus durement touchés sont les familles de la classe ouvrière et les familles pauvres.

Alors que les autorités affirment que la crise est due à une mousson insuffisante, la véritable responsabilité de la pénurie d’eau à laquelle sont confrontés plus de 13 millions d’habitants de la région métropolitaine de Chennai incombe à l’establishment politique des grandes entreprises. Les gouvernements successifs central et des États, qu’ils soient dirigés par l’actuel parti au pouvoir, le Bharatiya Janata (BJP), parti suprématiste hindouiste, ou par le Parti du Congrès et les principaux partis régionalistes tamouls – le All India Anna Dravida Munnetra Kazhagam (AIADMK) ou le Dravida Munnetra Kazhagam (DMK) – font tous preuve d’indifférence criminelle face aux besoins fondamentaux des travailleurs.

Des résidents de Chennai recueillant l’eau d’un puits de forage public

L’élite indienne se vante des «frappes chirurgicales» menées par ses militaires à l’intérieur du Pakistan et dépense des milliards de dollars pour construire l’arsenal nucléaire de l’Inde et acheter d’autres armements sophistiqués. Elle dépense également des milliards de dollars pour construire les infrastructures demandées par les investisseurs étrangers et locaux. Mais elle reste réticente et incapable d’investir dans les ressources en eau de l’Inde et de les gérer de manière à satisfaire les besoins les plus élémentaires de la population, à savoir son accès à de l’eau potable.

Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs parties de Chennai, ainsi que dans plusieurs villes et villages du Tamil Nadu, à propos de la crise de l’eau, qui a été aggravée par la vague de chaleur qui frappe actuellement une grande partie de l’Inde. Les températures ont atteint 42 degrés Celsius à Chennai.

Il y a eu des incidents répétés de personnes qui cherchaient désespérément de l’eau en arrêtant des autobus de transport d’État pour demander de l’eau, et plusieurs affrontements ont eu lieu lorsque la police a tenté de briser les barrages routiers établis par les manifestants.

Mercredi dernier, au moins 550 personnes ont été arrêtées après avoir participé à une manifestation devant le siège de la municipalité de Coimbatore, la deuxième ville du Tamil Nadu. Les manifestants, transportant des récipients d’eau vides, ont accusé les fonctionnaires de mauvaise gestion et de négligence.

Les activités quotidiennes des habitants de Chennai ont été gravement affectées par la crise de l’eau. La Chennai City Corporation ayant pratiquement cessé toute distribution d’eau, les familles sont obligées de se joindre à de longues files d’attente, qui commencent à se former vers minuit, pour remplir leurs bidons avec l’eau dont elles ont besoin pour boire, cuisiner, se nettoyer et laver. Les plus durement touchés sont la classe ouvrière et les pauvres, car les résidents mieux lotis ont des puits privés ou peuvent acheter de l’eau embouteillée.

Les quatre lacs de la région qui alimentent en eau Chennai, Red Hills, Sholavaram, Chembarambakkam et Poondi, se sont transformés en véritables terres arides.

Le lac Red Hills est l’un des quatre lacs fournissant de l’eau à Chennai, mais qui sont tous maintenant presque complètement asséchés

L’eau acheminée par camion à la ville est loin de répondre à la demande. Faute d’eau pour cuisiner, de nombreuses personnes ont été forcées de dépenser leurs maigres ressources pour se procurer des repas au restaurant. Mais nombre de restaurateurs également touchés par la crise de l’eau augmentent leurs prix pour compenser le fait qu’ils doivent payer plus cher pour acheter de l’eau à des camions-citernes privés. D’autres ont choisi de tout simplement fermer leurs installations.

Les étudiants vivant en foyer et les employés des TI sont également confrontés à la pénurie d’eau. Certaines entreprises de TI ont ainsi ordonné à leurs employés de travailler à domicile. Des citadins et des villageois des zones les plus durement touchées ont quitté leur foyer et se sont réfugiés chez des parents ou des amis dans d’autres régions ayant un meilleur accès à l’eau.

La plupart des familles bourgeoises et de la classe moyenne supérieure ont accès à de l’eau sur leurs propriétés munies de puits profonds forés à leurs propres frais. Cependant, leur accès à l’eau souterraine est maintenant affecté par la mousson insuffisante et par l’expansion rapide et non planifiée des puits privés ces dernières années.

N’ayant pas les moyens de se payer de tels puits de forage, la classe ouvrière et les familles pauvres doivent dépendre de l’approvisionnement limité en eau fournie par les robinets publics. Même avant la crise, les gens se plaignaient souvent que l’eau du robinet fournie par la Chennai City Corporation était contaminée par les eaux usées, qu’elle était malodorante et qu’elle n’était pas hygiénique. Mais les autorités municipales n’ont jamais tenu compte de ces plaintes, faisant preuve d’indifférence criminelle à l’égard des normes de santé élémentaires pour la grande majorité des résidents de la ville.

Chennai est l’une des villes indiennes les plus durement touchées par la crise de l’eau plus générale qui touche une grande partie du pays. La capitale nationale, New Delhi, au nord, les États du Maharashtra et du Gujarat à l’ouest, et du Tamil Nadu, du Karnataka et d’Andhra Pradesh au sud souffrent tous d’une grave pénurie d’eau. Des dizaines de millions de personnes doivent se démener pour obtenir de l’eau afin de satisfaire leurs besoins quotidiens, et dans une grande partie de l’Inde, les cultures sur lesquelles l’économie rurale dépend sont menacées.

Le gouvernement central récemment réélu du premier ministre Narendra Modi et formé par son parti, le BJP, qualifie la crise de l’eau comme étant une «exagération des médias». Le ministre de l’énergie hydraulique, Gajendra Singh Shekhwat, a déclaré lors d’une conférence de presse le 17 juin: «Au Himachal Pradesh et dans d’autres régions, il y a suffisamment d’eau dans les barrages et les réservoirs. La crise de l’eau n’est pas aussi grave que tout le battage médiatique le laisse croire.»

Les remarques de Shekhwat révèlent l’indifférence cynique du gouvernement Modi et de l’élite dirigeante indienne qu’il représente à l’égard des besoins fondamentaux des travailleurs et des masses appauvries du pays. Contrairement aux affirmations du ministre BJP, en date du 15 juin, sur 91 réservoirs à travers le pays, 85 avaient des niveaux d’eau inférieurs à 40 % de leur capacité et 65 étaient à moins de 20 % de leur capacité, selon une analyse basée sur les données de la Commission centrale des eaux.

En accord avec ses alliés du gouvernement central du BJP, le premier ministre du Tamil Nadu et le chef de l’AIADMK, K. Palaniswami, a cherché à minimiser l’importance de la crise de l’eau qui frappe Chennai et tout l’État, affirmant que «le problème n’est pas aussi important que ce que l’on dit, surtout dans ce qui est rapporté par les médias.» Il attribue l’appauvrissement des nappes phréatiques à la sécheresse et à une mousson insuffisante.

Cherchant à exploiter la crise pour son propre profit politique, l’opposition formée par le DMK a accusé le gouvernement de l’État de faire preuve de «négligence» et responsable «d’échec administratif». Le DMK, qui a disputé les élections d’avril-mai en alliance avec le Parti du Congrès représentant des grandes entreprises et le Parti communiste de l’Inde (Marxiste) stalinien a organisé des manifestations dans tout l’État le 22 juin pour exhorter le gouvernement de l’État à prendre des mesures pour résoudre la crise de l’eau.

Des problèmes climatiques, y compris les changements climatiques, ont eu des répercussions sur les niveaux d’eau, faisant notamment subir à l’Inde des températures plus élevées et des sécheresses plus fréquentes au cours des dernières années. Mais la crise de l’eau au Tamil Nadu et en Inde en général est enracinée dans le refus des gouvernements, tant au niveau central qu’au niveau des États, à construire des infrastructures adéquates pour le stockage et la conservation de l’eau pour voir aux besoins fondamentaux de la population, notamment en matière d’irrigation. Tous les partis de l’establishment – tant les partis actuellement au pouvoir aux niveaux central et étatiques que sont le BJP et l’AIADMK, que leurs prédécesseurs du Congrès et du DMK – sont pleinement responsables de cette situation.

Commentant la crise de l’eau à Chennai, Jyoti Sharma, fondateur et président de FORCE, une ONG indienne travaillant sur la conservation de l’eau, a souligné le manque d’infrastructures pour stocker l’eau de pluie lorsque la mousson tombe. «Le sol devient très vite saturé, explique Sharma. Sans systèmes de collecte d’eau, les rivières débordent alors vu qu’il n’y a pas d’espace pour que l’eau puisse rester, et tout va vers la mer et loin de la ville.»

Cette négligence des autorités menace d’avoir des conséquences catastrophiques pour la grande majorité de la population. Un rapport publié l’an dernier par la National Institution for Transforming India (NITI Aayog), un groupe de réflexion du gouvernement indien présidé par Modi, a averti que Chennai se retrouvera sans eau potable dans les prochaines décennies. Le rapport note en outre que 21 grandes villes indiennes, dont Chennai, Bengalaru, Kochi, Coimbatore, Hyderabad, Vijayawada, Amravati et Solapur, seront à court d’eaux souterraines d’ici 2020.

Malgré tous ces avertissements, ni Modi ni le gouvernement de l’AIADMK ou aucun autre organe étatique compétent n’ont pris la moindre mesure sérieuse pour se préparer à cette crise.

(Article paru en anglais le 25 juin 2019)

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