Le meurtrier de Lübcke était membre d'un vaste réseau terroriste néonazi allemand clandestin.

Stephen Ernst, l'assassin du politicien de la CDU Walter Lübcke, a agi en tant que membre d'un réseau néonazi étroitement lié au groupe terroriste de droite Nationalsozialistischer Untergrund (Parti national-socialiste clandestin). Malgré les efforts déployés à la suite de l'assassinat pour promouvoir une explication selon laquelle c'était le fait d'un tireur solitaire, des informations reliant Ernst à un vaste réseau terroriste de droite font leur apparition.

Après qu'Ernst a avoué sa culpabilité mardi, la police a effectué des descentes mercredi soir et tôt le matin jeudi, et a arrêté deux autres suspects. Ils auraient obtenu des armes et en a vendu à Ernst. L'assassin aurait également vendu des armes à deux autres hommes non encore identifiés, qui font l'objet d'enquêtes en cours, selon le ministère public fédéral.

Selon les médias, Ernst a avoué qu'il avait amassé des armes qui, en plus de l'arme du crime, comprenaient un fusil à pompe, une mitraillette Uzi et des munitions. Il a expliqué comment il avait obtenu les armes et où elles étaient cachées. Les enquêteurs ont trouvé la grande majorité des armes dans un dépôt souterrain sur le terrain de son employeur. Il y avait cinq armes au total. Selon Ernst, il a acheté une partie de l'arsenal en 2014, et l'arme du crime en 2016.

L'un des complices supposés d'Ernst est le néo-nazi Markus H., basé à Kassel. Selon l'émission politique Panorama d'ARD, H. fut interrogé en tant que témoin en 2006 à la suite du neuvième meurtre raciste commis par le NSU dans un cybercafé du quartier Nord Holland de la ville qui a coûté la vie à Halit Yozgat. Comme Ernst, H. faisait partie du milieu néo-nazi violent de Kassel au moment du meurtre et aurait également connu la victime.

Selon Panorama, Ernst et H. ont été membres du groupe Résistance libre Kassel (FWK) pendant plusieurs années, pendant lesquelles ils ont discuté de la manière de se procurer des armes et des explosifs. L'émission politique a rapporté qu'Ernst serait resté membre de la FWK jusqu'en 2011, et serait resté en contact avec des membres de la scène néonazie jusqu'à récemment. Lorsqu'on lui a demandé si Ernst avait rompu avec le milieu néonazi au cours des dernières années, le néonazi de Kassel Mike Zavallich a répondu à Panorama que les gens ne partent pas si vite, ils prennent du recul, mais ont toujours la même attitude.

Zavallich, qui a déclaré sa solidarité avec Ernst peu après son arrestation et l'a décrit sur Facebook comme un «bon camarade», était parmi les associés les plus proches du NSU. Selon un article de Die Welt, Zavallich a immédiatement attiré l'attention de la police criminelle fédérale après que le NSU eut été exposé en novembre 2011. À l'époque, les enquêteurs avaient présenté une liste de 129 personnes associées au NSU. Quatre personnes de Kassel figurent sur la liste dite 129 «L'un d'eux était Mike Zavallich.» Il connaissait l'existence de la Garde nationale thuringienne, une organisation précurseur à la NSU.

Stanley R. et Bernd T., membres éminents de l'organisation terroriste d'extrême droite Combat 18, sont également associés à Ernst et ont des liens étroits avec le NSU. Tout porte à croire qu'Ernst a eu des contacts directs avec les membres du NSU Uwe Böhnhardt, Uwe Mundlos et Beate Zschäpe par ces sources. Dans un article du journal Hessisch-Niedersächsisch Allgemeine, la propriétaire du pub fréquenté par Ernst «Stadt Stockholm in Kassel» a déclaré qu'en avril 2006, au moment du meurtre de Yozgat, Bernd T. s'est présenté avec Zschäpe.

Selon le journal Bild, il y a eu au moins une autre occasion où Ernst aurait pu avoir un contact direct avec le NSU: lors des célébrations du 30e anniversaire de Stanley R. au club de rockers «Bandidos». Parmi les invités figuraient Böhnhardt, Mundlos et probablement Beate Zschäpe. La réunion a eu lieu quelques jours seulement avant le meurtre de Yozgat, le 6 avril. Mais un clip vidéo a mystérieusement disparu des dossiers d'enquête, ce qui a poussé Bild à poser la question: «Stephan Ernst y était-il montré?»

Les services de l'État et de sécurité, qui ont des liens étroits avec les réseaux terroristes d'extrême droite, font tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher une enquête complète sur le meurtre. Les archives du service de renseignement du Land de Hesse sur la NSU resteront scellées jusqu'en 2044. C'est ce qu'a révélé le ministre de l'Intérieur de Hesse, Peter Boyth (CDU), lors d'une séance d'urgence du Parlement du Land, mercredi dernier. Le dossier sur Ernst reste également sous clé.

Déjà dans le procès de cinq ans contre le Nationalsozialistischer Untergrund, un groupe terroriste néonazi responsable de 10 meurtres, de deux attentats à la bombe et d'une série de braquages de banques, le procureur général fédéral a tout fait pour éviter d'examiner le rôle des agences de sécurité. Cette approche se poursuit aujourd'hui. Dans son communiqué de presse de jeudi, le porte-parole du bureau, Markus Schmidt, a affirmé qu'il n'y avait «aucune preuve suggérant que les trois détenus étaient membres d'un groupe terroriste de droite ou qu'ils en avaient créé un.»

Malgré le fait que les autorités de sécurité fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour torpiller l'enquête, une image claire est déjà en train d'émerger sur la base des faits maintenant connus. Ernst n'était pas seulement un proche collaborateur du NSU, mais l'assassinat de Lübcke pouvait être la suite de la série de meurtres du NSU, qui a coûté la vie à neuf immigrants et à un policier entre 2000 et 2007.

Il y a de fortes preuves que Lübcke a été abattu en raison de sa position pro-réfugiés. En 2015, il s'est opposé à la droite lors d'une réunion publique sur la question de l'hébergement des réfugiés, dont il était responsable en tant que président de district. Cela a déclenché une campagne de haine sur Internet qui comprenait des menaces de mort, qui a été relancée au début de cette année, notamment par Erica Steinbach, politicienne de la CDU et ancienne présidente de la Fédération des personnes expulsées, de droite. Selon le procureur fédéral, Ernst a déclaré dans son témoignage devant la police que son assassinat de Lübcke était une réponse aux déclarations de Lübcke sur les réfugiés. Il aurait également assisté à la réunion publique il y a quatre ans.

Toutefois, d'autres motifs ne peuvent être exclus. Selon un rapport de Tagesspiegel, Lübcke était déjà repéré par le NSU. Le groupe terroriste a inscrit son nom sur une liste de 10 000 noms et objets. Le Tagesspiegel a appris de sources de de l'appareil de sécurité que Lübcke figurait «dans la dernière partie de la liste vers 8000.» Le journal a fait remarquer à quel point il était étonnant que son nom figurait sur la liste à un stade aussi précoce. Lübcke n'est devenue la cible des extrémistes de droite qu'en 2015, quatre ans après la fin de la série de meurtres du NSU.

Lübcke en savait peut-être trop ou était devenu un obstacle pour les clans d'extrême droite, qui s'étendent jusqu'au presidium du district de Kassel lui-même. L'un des salariés de Lübcke est Andreas Temme, un agent du Verfassungsschutz (Ministère de la Défense de la Constitution) de Hesse, surnommé «Petit Adolf». Il était aussi au café quand Yozgat fut assassiné. Cependant, Temme a prétendu n'avoir été témoin de rien, une affirmation que de nombreux experts considèrent comme hautement improbable.

En raison de plusieurs interventions des agences de sécurité et de personnalités politiques, le rôle de Temme n'a pas encore été pleinement expliqué. Bien que Temme ait témoigné lors du procès du NSU à Munich et devant les commissions d'enquête parlementaires, l'ancien ministre de l'intérieur du Hesse et actuel ministre-président Volker Bouffier, un ami personnel de Lübcke, a refusé à Temme l'autorisation de témoigner sans restriction.

Le suspect du meurtre de Lübcke, Stephan Ernst, était au moins indirectement lié à Temme. Il connaissait l'informateur néo-nazi et Benjamin Gärtner des services de renseignements, du nom de code Vegetable, qui a parlé à Temme par téléphone peu avant le meurtre de Yozgat. Lors de son témoignage devant la commission d'enquête du NSU au parlement du Land de Hesse en février 2016, Gärtner a confirmé qu'il connaissait Ernst comme «NPD Stephan».Gärtner a confirmé il y a quelques jours à un journaliste de Spiegel TV qu'il connaissait Ernst. Mais il ne pouvait rien dire de plus. Il a dit qu'on lui avait «mis une muselière à l'époque» et qu'il ne sait pas «ce qui m'arrivera si je laisse tomber la muselière». Je ne sais pas combien de temps je vais rester ici à la maison.» Spiegel TV lui a demandé de qui il avait peur. «Du gouvernement», a-t-il répondu.

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