Relations anglo-américaines au plus bas après des critiques fuitées de Trump par l'ambassade britannique

La lutte interne dans les milieux dirigeants devrait coûter sa place à l'ambassadeur britannique aux Etats-Unis après la divulgation de ses critiques cinglantes à l’égard du président Donald Trump.

Les communications secrètes et les notes de synthèse de Sir Kim Darroch à la Première ministre Theresa May ont été transmises à la journaliste férocement pro-Brexit Isabel Oakeshott du Mail on Sunday.

Selon son reportage, Darroch décrit Trump comme « inepte », « peu sûr de lui » et « incompétent » […] ; il avertit Londres que la Maison-Blanche est «exceptionnellement dysfonctionnelle» et que la carrière du président pourrait se terminer dans la «disgrâce».

Il décrit les conflits à la Maison Blanche comme des « combats à l'arme blanche » avertissant que Trump aurait pu être redevable à des « Russes véreux », que sa « politique économique pourrait détruire le système du commerce mondial », que sa présidence pourrait « s'effondrer » et être au début d'une spirale descendante [...] menant à sa disgrâce et à sa chute ».

Darroch avait exprimé « ses craintes que Trump puisse toujours attaquer l'Iran » et averti: « Nous ne croyons pas vraiment que cette administration va devenir sensiblement plus normale; moins dysfonctionnelle; moins imprévisible; moins déchirée par les factions; moins inepte sur le plan diplomatique ». Malgré cela, il écrit que Trump pourrait «sortir des flammes, cabossé mais intact, comme Schwarzenegger dans les dernières scènes de Terminator ».

Bien que Trump ait été « ébloui » par la pompe et l'apparat royal lors de sa visite d’État au Royaume-Uni en juin, Darroch conclut que la Maison Blanche était « toujours le pays de l'Amérique d'abord ».

Les citations sont extraites de documents confidentiels, dont une lettre à diffusion « strictement limitée » adressée au conseiller à la sécurité nationale, Sir Mark Sedwill, dès juin 2017. Le rapport de Darroch du 22 juin de cette année est également cité, parlant de la politique américaine à l’égard de l’Iran comme « incohérente, chaotique » et peu probable de « devenir plus cohérente dans un avenir proche. C'est une administration divisée ».

Une autre fuite avertit de «divergences d’approche» futures quant au Brexit. Oakeshott déclare qu’«il y a de plus en plus d’indices que le Brexit a politisé de nombreux mandarins, mis en cause par des responsables pro-Brexit qui les accusent d’empêcher une sortie de l’UE ». Darroch est «largement considéré comme europhile», ajoute-t-elle.

La réponse de Trump était prévisible ; le président s’est déchaîné contre Theresa May aussi férocement que contre Darroch. « L'ambassadeur farfelu que le Royaume-Uni a imposé aux États-Unis n'est pas une personne qui nous ravit, un type très stupide », a-t-il tweeté. «Il devrait parler à son pays, et à la Première ministre May, de l’échec de leurs négociations sur le Brexit et pas être contrarié par mes critiques de la mauvaise gestion du dossier.

«Je lui ai dit comment conclure cette affaire, mais elle n’en a fait qu’à sa tête, de façon imprudente – elle a été incapable de le faire. Une catastrophe! »

Face à cette réaction brutale, les déclarations officielles du bureau de la Première ministre que «l’ambassadeur restait en poste et continuait de s’acquitter de sa tâche avec le soutien total du Premier ministre» ont peu de poids.

Le «soutien total» de May à Darroch a une courte date limite, tous deux étant sur le point de partir – dans le cas de May dès le 23 juillet. Mais Darroch pourrait être sacrifié plus tôt, même au risque de fâcher de hauts fonctionnaires et diplomates soutenant son point de vue et le défendant pour avoir fait son travail de conseiller honnêtement le gouvernement.

Darroch doit quitter son poste à la fin de l'année. Mais Trump a déjà retiré son invitation à un dîner d'État pour l'émir du Qatar. Hier, Darroch était absent d'une réunion prévue avec Ivanka Trump, «conseillère principale à la Maison-Blanche». Le secrétaire d’État britannique au Commerce international s’est sans doute mis à genoux devant la fille de Trump après avoir déclaré à la BBC: «Je vais m'excuser du fait que tant notre fonction publique que des éléments de notre classe politique se sont comportés comme il conviendrait à nos yeux ou à ceux des États-Unis, un comportement qui en l’occurrence a fait défaut de façon extraordinaire et inacceptable. »

L'attaque de Trump contre May au sujet du Brexit est le dernier assaut en faveur de l'éclatement de l'Union européenne et une intervention politique au nom de son possible successeur, Boris Johnson. Mardi, Johnson s'est vanté de ses « bonnes relations avec la Maison Blanche » et avec « notre plus important allié. Les États-Unis sont, ont été, et seront dans un avenir prévisible, notre premier ami politique et militaire ».

Interrogé sur les critiques de Theresa May par Trump sur le Brexit, il a ajouté: «Moi-même, j’ai dit jusqu’à présent des choses assez critiques sur les négociations sur le Brexit et c’est une des raisons pour lesquelles je me présente ce soir et pour lesquelles je me propose ». Il s’engagerait à « cesser d’être aussi défaitiste dans notre approche des négociations avec l’UE » et serait « peut-être beaucoup plus positif à propos de notre pays et de ce dont il est capable ».

Nigel Farage, le dirigeant du Parti du Brexit qui avait été suggéré par Trump comme futur ambassadeur américain et conseiller d'un futur dirigeant conservateur sur la manière de traiter avec l'UE, fut encore plus franc. Il a déclaré à la BBC que « notre fonction public, notre ministère des Affaires étrangères » devait être débarrassé de son personnel anti-Trump et qu'un nouvel ambassadeur américain devait être « un homme d'affaires à la retraite, quelque chose de ce genre ».

« Si vous croyez les dires de Boris, les gens comme Kim Darroch ne devraient tout simplement pas être là », a-t-il ajouté.

Le rival de Johnson pour la direction du parti conservateur, le secrétaire aux Affaires étrangères Jeremy Hunt, a exprimé son désaccord avec les commentaires de Darroch, tout en soulignant combien il était vital que le personnel diplomatique « se sente libre d'exprimer […] des opinions franches ».

Le quotidien pro-UE Guardian s’est désespéré de ce coup pro-Brexit. Le rédacteur diplomatique Patrick Wintour s’est senti obligé de jouer la carte du nationalisme. «Le danger actuel pour Johnson est que si Trump loue trop son élévation, on en parlera non pas comme du premier ministre, mais comme du gouverneur du 51ème État américain », a-t-il averti. « Si la conséquence du Brexit est l'obéissance à Trump, ce n'est pas une bonne idée, y compris parmi les classes patriotiques qui ne voient pas une libération nationale comme la vassalité passant de Bruxelles à Washington ».

Le déclin mondial de l'impérialisme britannique est réel et fut révélé de manière frappante dans la crise post-Brexit que Wintour décrit comme un choix entre des maîtres potentiels. Mais au cœur de la crise britannique il y a une évolution bien plus dangereuse: la multiplication des antagonismes inter-impérialistes qui menacent de plonger le monde dans la guerre commerciale et le conflit militaire.

Jusqu’à présent, le parti travailliste, divisé par le Brexit selon la même ligne de fracture que le parti conservateur, a empêché la classe ouvrière de réagir à ce danger grandissant.

Alors que les médias étaient dominés par les retombées de la querelle anglo-américaine, le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn a de nouveau tenté d'apaiser son aile droite blairiste et les barons syndicaux, en affirmant que le prochain leader conservateur devait organiser un 2e référendum avant de retirer la Grande-Bretagne de l'UE. Il a promis que le parti travailliste ferait campagne pour rester dans l’UE afin d’empêcher « une sortie sans accord où un Brexit conservateur dommageable» qui ne protègeait ni les emplois ni les services.

Mais Corbyn ne dit pas quelle serait sa position si le Parti travailliste remportait des élections et dirigeait des négociations sur le Brexit. Cela n’a aucune chance de réussir car les blairistes veulent une position sans équivoque de maintien dans l’UE et sont prêts à en découdre.

Une fois de plus, Corbyn révèle son hostilité absolue à tout appel à ce que la classe ouvrière exploite la crise du pouvoir bourgeois pour renverser un gouvernement conservateur méprisé et divisé.

Pour changer cette situation, les travailleurs et les jeunes doivent rompre avec les travaillistes et rejeter à la fois le programme nationaliste du Brexit, centré sur une alliance avec Washington et le Pentagone, et la fausse alternative consistant à rester dans un bloc commercial de l'UE fondé sur l'austérité et le militarisme. La situation exige une lutte unifiée des travailleurs britanniques avec leurs frères et sœurs de classe en Europe, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 10 juillet 2019)

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