Le dossier d'agression sexuelle contre l'acteur Kevin Spacey dans le Massachusetts menace de s'effondrer

Le 8 juillet, le dossier pénal contre l'acteur Kevin Spacey pour des allégations d'agression sexuelle au cours d'un incident survenu en juillet 2016 s'est affaibli au point que les experts juridiques ont laissé entendre que l’affaire pourrait ne jamais être entendue.

Le rejet de l'affaire porterait un coup juridique à la tentative de la campagne #MeToo de présenter toutes les allégations d'inconduite sexuelle comme des faits et tous les accusés comme des prédateurs sexuels. Ce serait un coup dur pour l'ensemble de la chasse aux sorcières, qui a ruiné ou menacé la carrière de dizaines d'artistes et créé une atmosphère de censure et d'intimidation.

Fin décembre 2018, les autorités du Massachusetts ont accusé Spacey d'attentat à la pudeur et d’agression sexuelle à la suite d’allégations qu'il aurait fait des attouchements à un jeune homme de 18 ans, William Little, dans un restaurant de Nantucket Island appelé Club Car à l'été 2016.

La mère de la victime présumée, Heather Unruh, ancienne chef d'antenne d’une station de télévision de Boston, a été le visage public de l'affaire largement médiatisée depuis qu'elle a lancé ses accusations lors d'une conférence de presse à Boston en novembre de l'année dernière. Elle a déclaré sans ambages aux médias rassemblés à l'époque: «Je veux voir Kevin Spacey aller en prison. Je veux que la main de la justice lui tombe dessus.»

Unruh a été appuyée dans sa condamnation de Spacey en tant que «prédateur sexuel» par l'ensemble des médias américains et la campagne #MeToo basée à Hollywood. Depuis novembre, ces éléments, de façon prévisible, ont traité les allégations du jeune homme et de sa mère comme des faits, émis des dénonciations frénétiques de l'acteur et travaillé à la destruction de sa carrière.

Cependant, l'affaire s'est heurtée à un obstacle potentiellement fatal lors d'une audience préliminaire lundi dernier. L'avocat de Spacey, Alan Jackson, a posé des questions à Little sur des messages textes manquants en rapport avec ses allégations contre l'acteur. Lorsque Jackson a fait remarquer que le fait de supprimer des éléments de preuve susceptibles d'être utilisés dans le cadre d'une poursuite criminelle constituait un crime passible d'emprisonnement, le jeune homme, après une suspension de l'audience, a plaidé le cinquième amendement contre l'auto-incrimination.

Le procureur Brian Glenny a manifestement été déconcerté par la tournure des événements, et «le juge Thomas S. Barrett du tribunal de district de Nantucket a alors déclaré que l'affaire "pourrait bien être rejetée" si l'accusateur continue à refuser de témoigner» (New York Times). «L'affaire tourne autour de cet individu, et sans lui, le Commonwealth[du Massachusetts] aura du pain sur la planche», a ajouté Barrett.

Le jeune homme a utilisé son téléphone cellulaire la nuit de l'incident pour envoyer des messages à sa petite amie et à ses amis, envoyer des publications via le média social Snapchat et prendre des photos avec Spacey vers la fin de la nuit. Les avocats de Spacey insistent sur le fait que l'épisode de Nantucket impliquait un flirt et un comportement consensuel et que les messages mystérieusement manquants pourraient bien attester de cela.

La famille affirme maintenant qu'elle ne retrouve pas le téléphone cellulaire et qu’elle ne se souvient pas non plus que les forces de l’ordre le lui aient retourné, comme le prétend la police. Le juge avait donné à la famille jusqu'à l'audience de la semaine dernière pour fournir l'appareil. De plus, Heather Unruh a témoigné qu'elle avait supprimé du matériel du téléphone concernant ce qu'elle prétendait n'être que les «activités de son fils en tant qu’étudiant membre d’une fraternité», mais elle affirme ne pas avoir retiré ou modifié du matériel concernant la nuit de l'incident.

À la place du téléphone, la famille a offert une sauvegarde informatique de ce qui restait du contenu du téléphone, mais Alan Jackson a fortement insisté auprès du juge sur le fait que la sauvegarde n'était pas adéquate. Puisqu'il n'y a pas de témoins, le téléphone cellulaire est le seul élément de preuve qui aurait pu clarifier les événements.

Le dossier de l'accusation menace de devenir un fiasco humiliant. Les experts juridiques qui ont parlé au Boston Globe étaient généralement sceptiques quant à la poursuite de l'affaire. «Si j'étais un parieur, je dirais que cette affaire n'aboutira pas à un procès», a déclaré Chris Dearborn, professeur de droit à l'Université du Suffolk et ancien avocat de l’aide juridique du Massachusetts, au Globe.

Dans un courriel au journal, Mark Geragos, éminent avocat de la défense de Los Angeles, a écrit: «Le téléphone est une preuve matérielle pertinente et, combiné au récent rejet de l'action civile, il semblerait que l'affaire criminelle soit en danger réel d'être rejetée.» La famille a récemment abandonné une poursuite civile contre Spacey moins d'une semaine après son dépôt. USA Today a noté que la poursuite a été «abandonnée "avec préjudice", ce qui signifie que la poursuite ne peut être intentée de nouveau, et "sans frais pour aucune des parties"».

Bien que Barrett n'ait pas rejeté l'affaire le 8 juillet, Jackson prévoit déposer une requête en irrecevabilité avant la prochaine audience, prévue pour le 31 juillet. Spacey risquait jusqu'à cinq ans de prison s'il était reconnu coupable.

Spacey a été confronté pour la première fois à des allégations durant la première vague de la chasse aux sorcières #MeToo à l'automne 2017. Dans une entrevue, l'acteur Anthony Rapp a accusé Spacey de lui avoir fait des avances inappropriées il y a 30 ans, alors qu'il avait 14 ans et Spacey 26. Par la suite, de nombreuses personnes se sont manifestées et ont accusé Spacey de diverses inconvenances sexuelles et d'avoir fait des «avances sexuelles non désirées.»

En conséquence, l'acteur talentueux a été renvoyé de la populaire série de Netflix House of Cards, ses scènes ont été retirées du film déjà terminé All the Money in the World (réalisé par Ridley Scott) dans un geste sans précédent, et sa carrière a probablement été irrémédiablement compromise. Ces actes de censure et de sabotage ont été commis avant toute procédure judiciaire, et surtout avant la moindre condamnation, au milieu d'une avalanche d'allégations dans tout Hollywood, les médias et les campus universitaires.

Le WSWS a noté en décembre 2018 que «l'épisode avec Rapp il y a trois décennies n'aurait pas dû se produire. Si Spacey s'est rendu coupable d'autres inconduites, il mérite d'être appelé à rendre des comptes – juridiquement, si cela atteint ce niveau.

«Une fois de plus, cependant, un mode de vie peu orthodoxe et même empreint de promiscuité n'est pas un crime, pas plus qu'il n'est aussi inhabituel dans le monde du cinéma et du théâtre que beaucoup le prétendent maintenant... Hollywood, appartenant et géré par une poignée de conglomérats sans pitié, est régulièrement et sans conteste partenaire de l’armée américaine et de la CIA, c’est-à-dire, des grands criminels de guerre. Rien dans la conduite de Spacey ne justifie la tentative de le faire "disparaître".»

Tous ceux qui s'opposent réellement au harcèlement sexuel, aux agressions et aux viols devraient maintenant avoir reconnu la réalité de la campagne #MeToo. Il ne s'agit en aucun cas d'un mouvement progressiste ou autonomisant, comme en témoigne son mépris total pour les conditions de vie des femmes et des hommes de la classe ouvrière dans le monde entier, y compris la violence sexuelle généralisée dont sont victimes les immigrants dans les centres de détention des services de l’Immigration et des douanes (ICE).

Au contraire, la campagne sert deux objectifs politiques principaux et réactionnaires. Premièrement, #MeToo utilise l'arme de la politique identitaire pour éviter que l’on s’attarde aux inégalités sociales, à la guerre et au danger de la dictature. Ses partisans de la classe moyenne supérieure soutiennent qu'une guerre doit être menée contre les «hommes» alors qu'un nombre croissant de travailleurs et de jeunes se retrouvent en guerre contre la classe dirigeante tout entière.

Deuxièmement, la campagne appuie les efforts des pouvoirs en place pour éroder les droits démocratiques et légaux, en particulier la présomption d'innocence et le droit à une procédure équitable. Alors que l'érosion de ces droits fondamentaux est défendue au nom de l'obtention d'une «justice» extrajudiciaire pour les victimes, elle crée un précédent antidémocratique qui sera inévitablement utilisé pour cibler et réprimer la classe ouvrière dans sa lutte.

Le récent revers juridique dans l'affaire Kevin Spacey ouvre une brèche dans la campagne #MeToo, à travers laquelle on peut entrevoir le danger de croire ce mouvement sur parole, surtout dans des questions aussi complexes de la vie sociale et sexuelle.

(Article paru en anglais le 15 juillet 2019)

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[27 octobre 2018]

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