Avec l'appui des syndicats, les libéraux de Trudeau cherchent à se faire réélire aux élections cet automne

La campagne pour l'élection fédérale canadienne du 21 octobre a officiellement débuté mercredi, après que le gouverneur général eut dissous le parlement à majorité libérale, élu en 2015.

Le premier ministre Justin Trudeau a donné le coup d'envoi de la campagne de réélection libérale en prononçant un discours dans lequel il a présenté les élections comme un choix entre deux options bien différentes: son parti et son programme «progressiste», et les conservateurs de droite d'Andrew Scheer.

Utiliser les conservateurs comme un épouvantail de droite est une ruse libérale de longue date. À maintes reprises, les libéraux – le parti préféré de la classe dirigeante pendant la majeure partie du siècle dernier – se sont opposés aux politiques conservatrices pour ensuite les appliquer. Ce fut la même stratégie utilisée dans les années 1990 et au début des années 2000 contre le Parti réformiste et l'Alliance canadienne.

Tout comme le gouvernement conservateur précédent, dirigé par l'impopulaire Stephen Harper, les libéraux de Justin Trudeau ont poursuivi le programme d'austérité, d'attaques contre les droits démocratiques, de réarmement et de guerre de la grande entreprise canadienne. Ils l'ont seulement recouvert d'un vernis «progressiste» insignifiant – en exprimant de soi-disant inquiétudes au sujet de l'accroissement des inégalités sociales et en lançant des appels politiques fondés sur l'identité raciale, ethnique et sexuelle – et par un partenariat corporatiste avec les syndicats, dont les dirigeants se vantent d'un accès sans précédent à Trudeau et son cabinet .

Trudeau ne célèbre pas le Canada, comme l'a fait Harper, comme une «nation guerrière». Mais sous son gouvernement, le Canada joue un rôle de plus en plus important dans les offensives militaires et stratégiques de Washington contre la Chine et la Russie et dans le Moyen-Orient riche en pétrole, qui pourraient déclencher un conflit mondial catastrophique. Trudeau et la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, fournissent également une couverture et un soutien politiques indispensables à l'opération de changement de régime de l'impérialisme américain au Venezuela.

Et comme les autres puissances impérialistes, le Canada, dirigé par les libéraux, se réarme. Trudeau a investi des dizaines de milliards de dollars pour acheter de nouveaux cuirassés, avions de guerre, drones et autres équipements militaires. Il a aussi ordonné que le budget militaire soit augmenté de plus de 70 pour cent, pour atteindre plus de 32 milliards de dollars par année en 2026.

Les médias corporatistes et les bureaucrates syndicaux ont beaucoup parlé que le gouvernement Trudeau, sous les conseils du FMI, a ralenti les mesures d'austérité et a fait des budgets légèrement déficitaires dans une tentative largement infructueuse de relancer l'économie après des années de croissance anémique. Cependant, pour les travailleurs, il n'y a eu aucun répit face aux attaques incessantes contre les services publics et les droits sociaux des travailleurs. Les libéraux de Trudeau ont sabré des dizaines de milliards de dollars dans les soins de santé. Pendant ce temps, leurs plus proches alliés provinciaux, la première ministre libérale de l'Ontario, Kathleen Wynne, et le premier ministre libéral du Québec, Philippe Couillard, ont procédé à des compressions draconiennes des dépenses sociales avant de connaître une double défaite électorale en 2018.

Sous Trudeau, comme sous Harper, le droit de grève des travailleurs est systématiquement attaqué et les pouvoirs répressifs de l'État ont été renforcés. En novembre dernier, les libéraux, qui ont dénoncé les actions de Harper en 2011, ont criminalisé les débrayages rotatifs de 50.000 postiers. Juste avant que la session parlementaire ne se termine en juin, les libéraux ont fait adopter à toute vapeur leur prétendue réforme de la Loi antiterroriste de 2015 de Harper, une loi que même le Globe and Mail, un quotidien proconservateur, a qualifiée de mesure d'«État-policier». Non seulement le projet de loi C-59 des libéraux consacre les principales dispositions antidémocratiques de la loi Harper. Il donne encore plus de pouvoirs à l'appareil de sécurité nationale.

Les syndicats font campagne pour Trudeau

En raison de leur bilan de droite, les libéraux comptent encore plus qu'en 2015 sur les syndicats pour faire briller leurs fausses couleurs progressistes et obtenir des votes au nom d'une campagne «N'importe qui sauf les conservateurs».

Le Congrès du travail du Canada, Unifor et d'autres grands syndicats ont clairement indiqué qu'ils sont plus que prêts à jouer un tel rôle. Par l'entremise de groupes comme Engage Canada, ils dépensent des millions de dollars pour promouvoir le mensonge selon lequel les libéraux, un parti qui défend la grande entreprise, sont une solution de rechange «progressiste» aux conservateurs.

Le plus grand syndicat industriel du Canada, Unifor, a mis Trudeau et Freeland en vedette lors de son congrès triennal tenu à Québec à la fin du mois dernier. En juillet, Trudeau a été invité d'honneur au congrès de la Fédération canadienne des enseignants, et le premier ministre s'est joint au défilé de la fête du Travail de Hamilton à l'invitation du Labourers International Union.

Cependant, le service le plus crucial que les syndicats rendent au gouvernement Trudeau est celui qu'ils rendent à la bourgeoisie canadienne depuis les quatre dernières décennies. Ils répriment systématiquement la lutte des classes.

Il y a une opposition massive et palpable au gouvernement conservateur de Ford en Ontario qui, depuis son arrivée au pouvoir en juin 2018, a sabré les dépenses sociales, gelé le salaire minimum, abaissé les normes du travail et coupé dans le Programme d'aide aux étudiants de l'Ontario. Il a aussi promis, si nécessaire, d'imposer une réduction réelle des salaires des enseignants des écoles publiques et une augmentation spectaculaire du nombre d'élèves par classe.

Mais les syndicats sont déterminés à étouffer toute contestation de la classe ouvrière contre le gouvernement Ford. Cela se reflète dans le compte à rebours disponible sur le site Web de la Fédération du travail de l'Ontario (Ontario Federation of Labour, OFT) qui compte les jours, heures et minutes qui restent avant les prochaines élections provinciales en 2022 et la possibilité d'élire un «gouvernement progressiste», c'est-à-dire les libéraux ou le NPD, qui seraient tous les deux des gouvernements de droite.

Au 31 août, 250.000 enseignants et employés de soutien de l'Ontario étaient sans contrat. Mais les syndicats d'enseignants, soutenus par l'OFT et Unifor, font tout ce qui est en leur pouvoir pour les diviser et bloquer tout geste de protestation ouvrière, ouvrant ainsi la porte à Ford pour qu'il prenne l'initiative et mène à bien sa menace de criminaliser la lutte des enseignants.

Scheer, qui s'est déjà décrit lui-même comme un «Harper avec le sourire», et ses conservateurs cherchent à rallier l'appui de la classe dirigeante en s'engageant à faire évoluer la politique encore plus à droite. Cela comprend l'élimination du déficit budgétaire d'ici quatre ans, une collaboration encore plus étroite avec Washington sur la scène internationale, la rétrogradation des relations du Canada avec la Chine et l'interdiction immédiate de Huawei du réseau 5G du Canada.

Au même moment, les conservateurs cherchent à lancer un appel aux travailleurs, dont le niveau de vie a stagné, en prétendant de façon démagogique qu'ils peuvent les aider à en avoir «plus» grâce à une série de réductions d'impôts.

Les conservateurs exploitent le scandale SNC-Lavalin

Scheer a également l'intention d'exploiter cyniquement le scandale SNC-Lavalin, dans lequel Trudeau et ses conseillers ont été mis à nu comme ayant fait des efforts extraordinaires pour réécrire et manipuler la loi. Ils voulaient ainsi empêcher que la transnationale, basée au Québec, soit poursuivie pour corruption. Lors du lancement de la campagne conservatrice, Scheer, qui a cherché à intervenir dans l'affaire SNC-Lavalin, a affirmé que l'action du gouvernement équivaut potentiellement à de l'obstruction à la justice. C'est le Globe and Mail qui a fourni des munitions pour cette position. La manchette du Globe de mercredi affirmait qu'une enquête de la GRC est entravée par les règles de confidentialité du Cabinet.

Le fait que le Globe ait choisi d'accorder une telle importance à cette histoire, qui est fondée sur des insinuations et des sources anonymes, le jour du déclenchement des élections, souligne que d'importantes sections de l'élite canadienne sont sérieusement en train de peser le pour et le contre d'un gouvernement de droite encore plus agressif.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD), un parti social-démocrate, est en crise perpétuelle depuis les élections de 2015, où il a perdu plus de la moitié de ses sièges et a été réduit une fois de plus au statut de tiers. Après avoir accédé de façon inattendue à l'opposition officielle en 2011, le NPD, alors sous la direction de l'ancien ministre libéral québécois Thomas Mulcair, a tenté de convaincre la classe dirigeante qu'on pouvait lui confier les rênes du pouvoir en menant une campagne Harper «version légère», dans laquelle il a promis des budgets équilibrés et des dépenses militaires accrues.

Au cours des quatre dernières années, les sociaux-démocrates, maintenant dirigés par Jagmeet Singh, se sont efforcés de se distinguer des actions de Trudeau et de son gouvernement. Ils ont été affaiblis par la décision de leurs alliés syndicaux traditionnels de coopérer encore plus étroitement avec les libéraux.

Dans une tentative désespérée d'éviter une nouvelle débâcle électorale – les sondages montrent actuellement que le NPD bénéficie d'un soutien de 12 à 15% – les sociaux-démocrates ont repris une partie de la rhétorique et des politiques de Bernie Sanders et d'autres démocrates américains «progressistes», à savoir des politiciens capitalistes qui tentent de donner une nouvelle couche de peinture à l’un des deux partis de l'impérialisme américain. Le rajeunissement politique du NPD est tout autant illusoire et vise également à empêcher l'opposition sociale et les sentiments anticapitalistes naissants de trouver une expression politique positive dans le développement d'un mouvement politique de la classe ouvrière contre l'austérité, les inégalités sociales et la guerre.

Le plus grand espoir du NPD est que les élections débouchent sur un parlement sans majorité au sein duquel ils détiendraient la balance du pouvoir, ce qui leur permettra d'échanger de l'appui contre de l'influence dans un gouvernement libéral minoritaire.

Trois autres partis détenaient des sièges au parlement sortant et pourraient contribuer à modeler le prochain gouvernement en cas de gouvernement minoritaire.

Les Verts, dirigés par Elizabeth May, sont un parti capitaliste de droite qui a longtemps été un allié semi-officiel des libéraux. Au cours des derniers mois, ils ont néanmoins connu un pic d'appui en raison de la désaffection croissante de la population envers les libéraux et les néo-démocrates et parce qu'ils sont perçus comme étant le parti le plus engagé dans l'action urgente requise contre les changements climatiques.

Le Bloc québécois (BQ), le parti frère du Parti québécois au Parlement fédéral, n'a pas perdu de temps mercredi pour signaler son intention de mener une campagne chauvine virulente. Lors du lancement de sa campagne, le BQ a claironné son appui au projet de loi 21, une loi québécoise récemment adoptée qui interdit aux enseignants et à d'autres fonctionnaires en «position d'autorité» de porter des symboles religieux, comme le hidjab, et interdit aux femmes musulmanes qui portent le niqab ou la burka d'accéder aux services publics.

Dans un développement symptomatique du virage de toute la politique bourgeoise vers l'extrême droite, Maxime Bernier, qui a fini tout juste deuxième à la course à la direction du Parti conservateur en 2017, se présente pour être réélu à la tête de son nouveau Parti populaire du Canada (PPC). Faisant écho à la rhétorique de Trump, de l'AfD et d'autres partis européens néo-fascistes, le PPC dénonce l'«immigration de masse» et le «multiculturalisme», accusant les deux d'être une menace pour la «civilisation occidentale».

(Article paru en anglais le 12 septembre 2019)

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