Canada: Le NPD et les syndicats impatients de soutenir le gouvernement libéral de Trudeau

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) et les syndicats ont accueilli chaleureusement les résultats des élections fédérales de lundi, qui ont vu le premier ministre Justin Trudeau et son parti, le Parti libéral, revenir au pouvoir, mais sans majorité parlementaire.

Les politiciens sociaux-démocrates et leurs alliés syndicaux ont l'intention de soutenir les libéraux – depuis longtemps le parti préféré de gouvernement national de la classe dirigeante – sous prétexte de fournir aux Canadiens un gouvernement «progressiste» et d'empêcher l'accession au pouvoir des conservateurs.

Unifor, le plus grand syndicat industriel du pays, a mené la campagne des syndicats pour réélire le gouvernement Trudeau, tout en appuyant les candidats néo-démocrates dans certaines circonscriptions. Dans un communiqué de presse publié mardi, il s'est vanté d'avoir mené une «campagne réussie pour Stopper Scheer (chef conservateur Andrew Scheer)», puis s'est fait le champion d'une alliance gouvernementale libérale-NPD avec l'affirmation cynique que les électeurs avaient «donné une réponse» sur comment le Canada allait aborder les «grandes questions»: «nous le ferons ensemble».

Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), le plus important syndicat du secteur public, s'est opposé à la campagne du «vote stratégique» menée par Unifor, le Congrès du travail du Canada et de nombreux autres syndicats, préconisant plutôt la politique traditionnelle de la bureaucratie syndicale de soutien électoral au NPD.

Mais il n'a pas moins insisté sur le fait que le NPD avait l'occasion de travailler avec Justin Trudeau et son gouvernement libéral. Le SCFP a affirmé qu’en «détenant la balance du pouvoir» (c’est-à-dire la capacité d’assurer l’adoption d’une loi libérale), le NPD peut «avoir les libéraux à l’oeil» et «s’assurer que le nouveau gouvernement respecte ses promesses».

Pour sa part, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a déclaré lors d'une conférence de presse mardi que «tout est sur la table» dans les prochaines négociations avec les libéraux. Cela signifiait que le NPD n'est pas seulement désireux de travailler avec les libéraux à l'élaboration d'une mesure législative et de les appuyer lors de votes importants. Il est prêt à envisager de se joindre à une coalition dirigée par les libéraux ou de conclure un accord de confiance et de soutien, garantissant ainsi à Trudeau l'appui du NPD pour une période prolongée.

Dans les derniers jours de la campagne, Singh a suggéré à maintes reprises que son parti pourrait être le partenaire junior des libéraux dans un gouvernement de coalition, conformément à l'accord de coalition conclu par les deux partis en 2008. Cet accord s'est effondré après que le premier ministre conservateur Stephen Harper a fermé le Parlement pour empêcher l'opposition de le destituer.

Lors de l'élection de lundi, le NPD a vu son caucus parlementaire passer de 42 à 24 sièges et sa part du vote réduite de 4 points de pourcentage, soit plus d'un cinquième. Au Québec et en Ontario, qui comptent ensemble pour plus de 60 % de la population du Canada, le NPD a remporté respectivement 1 et 6 sièges.

Pourtant, Singh était d'une humeur résolument optimiste mardi.

Les politiciens sociaux-démocrates salivent à la perspective d'un gouvernement minoritaire leur donnant un plus grand accès au pouvoir et à l'influence.

Eux et leurs alliés syndicaux utiliseront les miettes législatives que les libéraux leur offriront pour donner des couleurs «progressistes» à un gouvernement de droite. Comme lors du premier mandat de Trudeau, un gouvernement libéral soutenu par le NPD et les syndicats utilisera une rhétorique progressiste creuse et une politique identitaire comme écran de fumée pour maintenir des mesures d'austérité et des impôts très bas pour les grandes entreprises et les riches, tout en poursuivant le réarmement et en intégrant le Canada aux offensives militaires et stratégiques de Washington, y compris contre la Russie et la Chine.

Fait significatif, les déploiements militaires agressifs du gouvernement libéral, l'appui à la campagne de changement de régime des États-Unis au Venezuela et les plans visant à dépenser des dizaines de milliards de dollars pour équiper l’armée canadienne de nouvelles flottes de cuirassés et d'avions de combat n'ont pas fait partie de la campagne électorale du NPD.

S'il y avait un doute quelconque sur le fait que le silence du NPD est complice, le programme électoral du parti pour les élections de 2019 vient le confirmer entièrement. Il dénonce des «décennies de compressions libérales et conservatrices» à «nos forces armées» et appuie sans réserve l'achat de navires et d'«avions de combat». (voir: Le NPD plaide en faveur de dépenses de dizaines de milliards de dollars pour les forces armées du Canada)

Lors de sa conférence de presse de mardi, Singh a de nouveau mis l'accent sur les six «priorités» clés du NPD qu'il a soulignées dans les derniers jours de la campagne, dans le but de jeter les bases des négociations postélectorales avec les libéraux.

Ces «priorités» – qui comprennent un régime national d'assurance-médicaments, des mesures pour lutter contre le changement climatique, plus de logements sociaux et une augmentation de l'imposition des riches – ne sont pas des demandes, mais seulement des choses dont les sociaux-démocrates veulent discuter avec les libéraux pour en arriver à des «actions». Comme l'ont fait remarquer même les grands médias, tout concorde avec les promesses et les préoccupations vagues formulées par les libéraux.

Si ces réformes dérisoires étaient adoptées dans leur intégralité, elles ne feraient pratiquement rien pour renverser l'érosion de la position sociale de la classe ouvrière provoquée par la guerre de classe qui dure depuis plus de quatre décennies et qui a été menée par les grandes entreprises et leurs larbins au gouvernement.

Mais dans un contexte de crise capitaliste mondiale, les libéraux n'ont pas l'intention de faire quoi que ce soit de plus que des mesures symboliques pour mettre en œuvre les «priorités» du NPD, et les sociaux-démocrates et leurs alliés syndicaux n'ont pas l'intention de lutter pour elles.

Lors de sa conférence de presse postélectorale, Singh a cherché à rassurer ses partenaires potentiels de la coalition libérale et les grandes entreprises sur le fait que les sociaux-démocrates comprennent bien leur rôle. Il a souligné que le NPD agirait «de manière responsable» et qu'il «reconnaissait» les résultats des élections, c'est-à-dire qu'en tant que quatrième parti au Parlement, le NPD ne pouvait pas s'attendre à beaucoup de «concessions» de la part des libéraux.

Compte tenu de l'arithmétique parlementaire, il était toujours très improbable que Trudeau et ses libéraux acceptent l'offre du NPD de former une coalition officielle.

Cependant, le rejet catégorique par Trudeau d'une coalition «formelle» ou «informelle» avec le NPD jeudi, lors de sa première conférence de presse postélectorale, était politiquement significatif.

Le premier ministre voulait clairement répondre aux préoccupations des grandes entreprises qui craignaient de céder une part du pouvoir et de l'influence au NPD, peu importe le long et infâme bilan de ce dernier en matière de réduction des dépenses sociales et de bris de grève lorsqu'il a formé le gouvernement provincial. Au lendemain des élections, les médias corporatifs ont publié des articles affirmant que les libéraux allaient augmenter de façon irresponsable les dépenses sociales et le déficit fédéral afin d'obtenir l'appui du NPD. Les médias ont également exigé que Trudeau réprime une crise naissante d'«unité nationale» en faisant plus pour faire avancer les oléoducs.

Dans un discours agressif devant l'Assemblée législative provinciale mardi, le premier ministre du Parti conservateur uni de l'Alberta, Jason Kenney, a réitéré ses plaintes vitrioliques contre Ottawa pour ne pas en faire assez pour soutenir l'industrie énergétique de l'Ouest canadien et a exigé que Trudeau ne forme pas une alliance gouvernementale avec le NPD, les verts ou le Bloc québécois, en faisant valoir leur opposition au projet d’oléoduc Trans Mountain.

Lors de la conférence de presse de jeudi, Trudeau a réitéré que l’oléoduc est dans «l'intérêt national» et a insisté sur le fait que son gouvernement ne tolérerait aucun retard dans sa construction.

Comme il ne leur manque que 13 sièges pour obtenir la majorité, les libéraux n'ont besoin de l'appui que d'un seul des trois partis d'opposition officiellement reconnus – le NPD, le BQ ou les conservateurs – pour tout vote parlementaire donné.

Bien que Trudeau ait exclu toute coalition formelle ou «informelle» avec le NPD, les sociaux-démocrates sont en réalité son partenaire parlementaire préféré et, malgré ses affirmations contraires, le gouvernement libéral est presque certain d'être dans une alliance de fait avec le NPD tant que le nouveau parlement survivra.

Même si les libéraux pourraient à l'occasion conclure des ententes parlementaires avec le Bloc québécois, ce parti qui vise l’indépendance du Québec a toujours été beaucoup plus prêt à s'aligner sur les conservateurs, le parti historiquement associé à l'anglochauvinisme et, depuis la Seconde Guerre mondiale, aux «droits provinciaux».

En s'appuyant sur le NPD et les syndicats, les libéraux pourront redorer leurs fausses prétentions selon lesquelles ils représentent une solution progressiste aux conservateurs, pour mieux faire avancer le programme de la classe dirigeante, tout en utilisant leurs «partenaires» syndicaux et sociaux-démocrates pour contenir et réprimer l'opposition de la classe ouvrière.

C'est précisément le rôle que les syndicats et le NPD ont joué entre 2011 et 2014 en Ontario. Sous prétexte d’empêcher l'arrivée au pouvoir de Hudak et de ses conservateurs, ils ont soutenu des gouvernements libéraux minoritaires dirigés par Dalton McGuinty et Kathleen Wynne, qui ont réduit les impôts des entreprises et les dépenses sociales et utilisé des lois antigrèves pour imposer des réductions salariales aux enseignants.

L'alliance de fait entre libéraux et néo-démocrates à Ottawa n'empêchera pas les libéraux de joindre leurs forces à celles des conservateurs pour faire adopter des mesures de droites considérées par la bourgeoisie comme étant d'un «intérêt national» urgent, comme l'accord renégocié de l'ALENA. Bien que le nouvel ALENA soit une alliance de guerre commerciale anti-Chine plus explicite dirigée par les États-Unis, le NPD s'y oppose parce qu'il n'est pas suffisamment protectionniste.

(Article paru en anglais le 24 octobre 2019)

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