Perspective

L’élection espagnole et la traîtrise de Podemos

Dans les élections espagnoles dimanche, une tendance maintes fois répétée en Europe s’est affirmée. Comme le Front national en France, le Parti de la liberté en Autriche, le Parti de la loi et de la justice en Pologne, et l’Alternative pour l’Allemagne, l’extrême-droite en Espagne est le principal bénéficiaire de la désintégration des partis social-démocrates.

Le parti fascisant Vox, qui avait moins d’un pour cent des voix et aucun parlementaire en 2018, a reçu 15 pour cent et doublé sa fraction parlementaire (52 sièges) depuis les élections d’avril. Ses responsables saluent ouvertement le coup militaire de 1936, la guerre civile et les tueries de masse menées par le dictateur fasciste Francisco Franco, dont le régime s’est maintenu au pouvoir de 1939 jusqu’en 1978. Malgré une large opposition des travailleurs au franquisme, Vox continue son ascension électorale. Comment expliquer ce phénomène?

Le facteur principal dans la montée de l’extrême-droite en Europe comme aux USA est le niveau toxique des inégalités sociales. En Espagne, après le krach de Wall Street en 2008, le chômage a touché un quart des actifs et la moitié des jeunes, alors que 26 milliardaires accaparaient de vastes richesses. La colère contre ces inégalités impulse des manifestations de masse dans des dizaines de pays, y compris celles contre la répression du référendum d’indépendance catalane. Des masses de travailleurs et de jeunes se mettent sur la voie de la recherche d'une alternative socialiste au capitalisme.

Cependant, malgré une montée de l’opposition au capitalisme et du soutien pour le socialisme, les partis se disant «de gauche» ne s’opposent pas au capitalisme. Les promesses démagogiques et creuses de ces organisations de pseudo-gauche désillusionnent et aigrissent les travailleurs. C’est ce qui ressort de la réaction du parti «populiste de gauche» Podemos («Nous pouvons») à l’élection.

Deux jours après, Podemos s’est précipité dans un «pré-accord» avec le Parti socialiste (PSOE) pour former un gouvernement. Ces deux partis cherchent à présent d’autres partenaires parmi les partis nationalistes basques et catalans pour former ce que divers médias traitent de gouvernement «progressiste», voire «d’extrême-gauche». Mais leur «pré-accord» les engage à une politique d’austérité formulée avec l’Union européenne (UE), à l’augmentation des dépenses militaires voulue par le PSOE, et à la répression policière visant à rétablir la «convivialité» en Catalogne.

Ce matin, le chef de Podemos, Pablo Iglesias a publié une lettre ouverte, prétendument adressée aux membres de Podemos, qui annonce que son parti mènera une politique de droite: «Les partis de droite et les bras médiatiques du pouvoir économique nous frapperont fort et à chaque pas que nous ferons. Nous serons en minorité en gouvernement avec le PSOE, nous serons face à de nombreuses limites et contradictions, et il nous faudra céder sur beaucoup.»

Podemos crée ainsi les conditions pour la montée de Vox, qui pourra se présenter en tant que seule opposition aux politiques anti-ouvrières du reste de l’establishment politique.

Podemos, comme son cousin (cousine ?) Syriza (la «Coalition de la gauche radicale» grecque), se fonde sur des théories populistes frauduleuses qui rejettent la classe ouvrière, la lutte des classes, le socialisme et la révolution. Chantal Mouffe, l’universitaire postmoderniste liée aux dirigeants de Podemos et de Syriza, a exposé ces arguments très explicitement.

Dans son pamphlet de 2018 Pour un populisme de gauche, Mouffe déclare: «Ce dont nous avons un besoin urgent, c’est une stratégie populiste de gauche visant à construire un ‘peuple’ en ralliant diverses résistances démocratiques à la post-démocratie afin d’établir une formation hégémonique plus démocratique. … J’affirme que ceci ne nécessite pas une rupture ‘révolutionnaire’ avec le régime libéral démocratique.»

Déjà l’année dernière, le bilan de Syriza au pouvoir avait démasqué sa charlatanerie. Alors que Syriza avait promis de mettre fin à la politique d’austérité européenne, elle rejetait des mesures révolutionnaires et le lancement d'un appel aux travailleurs européens pour la soutenir. Sa «formation hégémonique plus démocratique» était une coalition avec les Grecs indépendants, d’extrême-droite. Syriza a fini par trahir éhontément ses promesses électorales, imposer des dizaines de milliards d'euros de coupes sociales et emprisonner des dizaines de milliers de réfugiés sur les îles grecques.

Après le désastre de Syriza, c’est le tour à Podemos d’aider le PSOE à assembler sa «formation hégémonique plus démocratique». Une telle coalition serait aussi hostile aux travailleurs en Espagne qu’en Grèce. Depuis sa négociation avec le régime franquiste d’une Transition vers un régime parlementaire en 1978, le PSOE a été le principal parti de gouvernement en Espagne, imposant l’austérité et des guerres de Libye jusqu’en Afghanistan. Podemos donne un blanc-seing aux politiques réactionnaires que mènera à présent le PSOE.

Il est inutile d’implorer les professeurs universitaires, les hauts fonctionnaires, les officiers d’armée et les chefs syndicaux qui composent Podemos d’adopter une politique moins régressive. Podemos est hostile à toute initiative ouvrière qui nuirait aux richesses et aux intérêts matériels de sa base sociale aisée et petite-bourgeoise. La théorie «populiste de gauche» frauduleuse de Mouffe vise à légitimer théoriquement le programme réactionnaire pro-capitaliste et anti-socialiste de partis tels que Podemos et Syriza.

Ce «populisme de gauche» pue la charlatanerie intellectuelle et le cynisme politique. Mouffe écrit, «Il faut s’attendre à l’hostilité envers la stratégie populiste de gauche des secteurs de la gauche qui continuent à réduire la politique à la contradiction capital/travail et à attribuer un privilège ontologique à la classe ouvrière, présentée en sujet de la révolution socialiste. Ils traiteront cette stratégie, bien sûr, de capitulation à ‘l’idéologie bourgeoise’. Ça ne vaut pas la peine de répondre à ces critiques, qui dépendent d’une conception de la politique contre laquelle j’argumente.»

La résurgence fasciste a révélé la faillite de la pseudo gauche. Sa défense du capitalisme et son rejet de toute politique menaçant les privilèges de la propriété bourgeoise lui rend impossible tout appel à la classe ouvrière. Le rôle de Podemos reprend l’essentiel du rôle réactionnaire des staliniens et des social-démocrates en l’Espagne des années 1930. Leur alliance avec une section de la bourgeoisie espagnole dans un Front «populaire» a bloqué toute mesures révolutionnaire dans la lutte contre Franco et ses alliés fascistes. Ceci a écrasé la révolution socialiste et produit la victoire de Franco.

Il faut tirer les leçons des années 1930. La lutte contre le fascisme nécessite un assaut par les travailleurs contre la propriété capitaliste, visant à exproprier l’aristocratie financière.

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