Les manifestations se poursuivent dans tout le pays alors que le MAS se soumet au coup d'État

Alors que les protestations s'intensifient contre le renversement, soutenu par les États-Unis, du président bolivien Evo Morales et que la répression brutale s’accentue, l'ensemble de l'establishment politique du pays et les syndicats s'efforcent de réprimer l'opposition populaire.

Tandis que se tiennent les funérailles de masse de ceux qui se sont opposés courageusement au coup d'État du 10 novembre, Morales, son parti du Mouvement pour le socialisme (MAS) et le syndicat de la Centrale des travailleurs boliviens (COB) appellent à la fin des manifestations et à trouver un accord avec les forces fascistes qui ont pris le pouvoir en appuyant l’ancienne sénatrice de droite Jeanine Áñez, qui a été «assermentée» par l'armée et une poignée de politiciens d'extrême droite.

Comme l'a déclaré le sénateur MAS, Omar Aguilar, «Notre objectif est de pacifier le pays, pas de bloquer le gouvernement de transition de Jeanine Áñez.»

Samedi, Eva Copa et Sergio Choque, présidents respectivement du Sénat et de la Chambre des députés du MAS, ont déclaré lors d'une conférence de presse conjointe: «Les mouvements sociaux et les autres organisations doivent renoncer à leurs positions. Nous ne pouvons pas vivre en deuil […] Nous avons appelé les personnes au pouvoir à se réunir et à créer les conditions pour convoquer de nouvelles élections.»

Depuis le Mexique, où il a demandé l'asile, Morales a appelé à une «grande réunion nationale», y compris le régime du coup d'État, pour «pacifier» le pays et organiser de nouvelles élections. Et cela, même après qu'Arturo Murillo, le nouveau ministre de l'Intérieur, a dit qu’il allait persécuter et détenir des hommes politiques du MAS, y compris Morales. Mercredi, Murillo a accusé Morales de «terrorisme» pour avoir prétendument appelé à un blocus autour de La Paz.

La Confédération syndicale COB, qui avait soutenu le gouvernement du MAS jusqu'au 10 novembre, date à laquelle elle avait exigé la démission de Morales, a renoncé à la menace de grève générale contre le gouvernement Áñez et a rencontré ses représentants. Le 15 novembre, elle a publié une déclaration dans laquelle elle disait: «Nous appelons à la pacification du pays et à un dialogue sincère avec tous les secteurs afin de trouver immédiatement une paix sociale véritable et honnête entre tous les Boliviens.»

Alors que l'armée continuait à abattre des manifestants, protégée par un décret du 14 novembre accordant une impunité totale aux soldats, le chef de la COB, Carlos Huarachi, a été encore plus clair lundi se disant «très inquiet» du décret et demandant à Áñez «d’entamer un dialogue avec les secteurs en conflit». Il a ajouté: «Je demande à ceux au pouvoir et à l'opposition de se serrer la main.»

Le bureau du médiateur bolivien a annoncé mercredi soir que huit personnes avaient été tuées dans une opération de la police militaire visant à démanteler un siège par des manifestants anti-coup d'État autour de la centrale de gaz d’État de Senkata à El Alto. Plus de 30 autres personnes ont été blessées, dont beaucoup par balle. Cependant, après que la police a escorté 40 citernes à essence hors de l'installation, les manifestants l'ont courageusement bloquée à nouveau.

Les dernières tueries ont porté le nombre total de victimes du coup d'État à au moins 32. Le bureau du médiateur a rapporté le 16 novembre que plus de 500 manifestants avaient été arrêtés. Parmi eux, «un nombre important présentait des signes notoires de traitement cruel», à savoir des actes de torture, depuis le 10 novembre.

Le rapport du médiateur met également en évidence un autre massacre qui s'est produit le 15 novembre dans la banlieue de Cochabamba alors que des milliers de travailleurs marchaient pacifiquement vers La Paz: «Ce qui s'est passé hier à Huayllani n'était pas un affrontement, mais une répression policière et militaire qui a fait que sept personnes sont mortes, une personne est sur le point de perdre la vie, cinq personnes doivent subir des chirurgies délicates et plus de cent personnes sont blessés, la plupart d'entre elles blessées par balle.» Deux autres personnes sont décédées depuis.

Les membres des familles de victimes ont déclaré aux médias que certains avaient été abattus dans le dos alors qu'ils fuyaient. Le lendemain, des dizaines de milliers de personnes ont répondu en manifestant à travers Cochabamba pour dénoncer le massacre.

Alison Coronel, une jeune manifestante décidée à El Alto, une région ouvrière appauvrie dont le niveau de vie a continué à s'effondrer sous le gouvernement MAS de Morales, a déclaré à la presse que le coup d'État était dirigé contre «nous, le prolétariat, les personnes qui travaillent chaque jour. […] Permettez-moi de clarifier quelque chose, nous ne sommes pas des partisans du MAS ici, mais quelques-uns le sont peut-être, mais la majorité d'entre nous sont des gens en colère. Comment pouvez-vous mener une telle barbarie? Pensez-vous que nous sommes ignorants? Où pensez-vous que nous sommes?»

Les positions prises par le MAS et la bureaucratie syndicale démontrent qu'aucune partie de l'establishment étatique n'est disposée à s'opposer à l'instauration d'un régime fantoche par l'impérialisme américain et à la montée en puissance de forces fascistes engagées dans un pillage encore plus important des ressources naturelles et l'imposition de l'austérité. Fondamentalement, cela reflète les intérêts capitalistes sous-jacents que le MAS et les syndicats représentent et défendent avec loyauté.

En décembre dernier, le vice-président Álvaro García Linera s'est vanté du fait que l'économie avait quadruplé sous le règne du MAS depuis près de 14 ans, le «plus grand succès» étant une augmentation presque quintuple des revenus des particuliers. Il a également cité la baisse de la dette extérieure de la Bolivie, qui est passée de 51,6 pour cent du PIB à 23,1 pour cent. La classe dirigeante a consacré une mince partie de cette richesse tirée de la hausse des prix des matières primaires à prévenir les explosions sociales de masse. L'augmentation de la taxe sur les sociétés et la nationalisation partielle du gaz ont permis la mise en place des aides sociales limitées, basées en grande partie sur des transferts en espèces, qui ont permis de réduire les niveaux de pauvreté qui restaient toujours les plus élevés d'Amérique du Sud.

Depuis que les prix des produits de matière première ont commencé à chuter autour de 2014, les dépenses sociales, les emplois et les salaires ont souffert, poussant les taux de pauvreté de nouveau à la hausse. Au fur et à mesure de la montée de l'opposition, notamment de grèves de masse en 2013, les travailleurs ont été confrontés à la répression et aux dénonciations des autorités du MAS qui les considéraient comme des «pions de la droite».

Pendant ce temps, le gouvernement accordait des bénéfices aux sociétés minières et à l'oligarchie terrienne. Comme l’a décrit en 2017 Jeffery R. Webber, économiste à la London University, grâce à des avantages fiscaux et à des autorisations permettant de pénétrer dans des zones protégées naturelles et indigènes, Morales «consolida le capital agro-industriel, tant national qu’international dans le secteur du soja, intégrant les paysans riches en les subordonnant». Ce sont ces représentants politiques des couches oligarchiques, ainsi que l’armée également courtisée par le MAS, qui ont mené le coup d'État.

Quant à la COB, son incapacité à mener une lutte indépendante de toutes les factions de la bourgeoisie, légitimant maintenant le coup d'État de l’extrême droite, ne découle pas de la corruption personnelle de ses dirigeants, mais plutôt du caractère des syndicats eux-mêmes, dont le rôle en tant qu’exécutant de l’exploitation capitaliste et défenseurs du système de l’État-nation les ont amenés à s’intégrer dans l’État capitaliste: un processus qui s’est poursuivi sous le MAS.

Les travailleurs doivent s'organiser indépendamment du MAS nationaliste bourgeois, des syndicats et de toutes les organisations nationalistes et procapitalistes, et contre eux. Cela nécessite le développement d'une nouvelle direction révolutionnaire au sein de la classe ouvrière qui assimile l'histoire de la lutte pour le trotskisme en Bolivie et au niveau international, tel qu'elle est aujourd'hui incarnée par le Comité international de la IVe Internationale (CIQI).

(Article paru en anglais le 21 novembre 2019)

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