Le parti Podemos soutient la loi espagnole sur la censure d'Internet

Dans le cadre de son accord pour former un gouvernement avec le Parti socialiste espagnol (PSOE) après les élections du 10 novembre, le parti Podemos a décidé de ne pas s'opposer à la loi du gouvernement intérimaire du PSOE sur la censure d'Internet, la loi dite «loi de sécurité numérique». C'est encore une autre leçon dans la trahison de ce parti petit-bourgeois, «populiste de gauche».

Mercredi, les députés de Podemos ont soudainement renversé leur position publique contre la loi et ont refusé de s'y opposer au Congrès. Ils se sont abstenus lors du vote, le PSOE, le Parti populaire (PP) et les députés du parti Ciudadanos (Citoyens) ayant approuvé la loi, qui impose des attaques de grande envergure sur Internet et sur les droits démocratiques fondamentaux.

Le chef du parti Podemos, Pablo Iglesias, prends la parole alors que le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, Premier ministre intérimaire, observe la signature d'un accord au Parlement à Madrid, Espagne, le mardi 12 novembre 2019. (AP Photo/Paul White)

La «Loi sur la sécurité numérique», maintenant communément appelée «loi sur le bâillon numérique», permet à l'État de fermer les communications numériques, l'infrastructure d'Internet et les applications à volonté, sans ordonnance judiciaire. Tout ce que le gouvernement espagnol doit faire est invoquer l'ordre public ou la sécurité nationale pour avoir les pleins pouvoirs de censure et de fermeture de l'Internet. Le contrôle de l'infrastructure est ensuite transféré au Centre national de cryptographie espagnol (CCN), une division du renseignement espagnol.

La loi stipule que «Le gouvernement peut, à titre exceptionnel et transitoire, convenir de la prise en charge par l'administration générale de l'État de la gestion directe ou de l'intervention dans les réseaux et services de communications électroniques dans certains cas exceptionnels qui peuvent affecter l'ordre public, la sûreté publique ou la sécurité nationale. Ce pouvoir exceptionnel [...] peut affecter toute infrastructure, toute ressource associée ou tout élément ou niveau du réseau de service nécessaire pour préserver ou rétablir l'ordre public, la sûreté publique et la sécurité nationale.»

L'objectif principal de cette loi est de réduire au silence l'opposition politique intérieure et

d'empêcher les manifestations de masse et les grèves contre les politiques gouvernementales impopulaires. Cette loi a fait l'objet de la campagne électorale du 10 novembre, lorsque le gouvernement du PSOE, devant les manifestations massives contre l'emprisonnement de prisonniers politiques nationalistes catalans, a tenté de suspendre l'application «Tsunami démocratique» utilisée pour coordonner ces manifestations en Catalogne. Après avoir adopté un décret autorisant sa politique, le PSOE l'intègre maintenant dans une loi avec l'approbation du Parlement.

Pendant la campagne électorale, les responsables de Podemos se sont sentis obligés de dénoncer le décret et le projet de le consacrer en tant que loi, ce qui se heurte à une opposition populaire écrasante. Ada Colau, la maire de Barcelone, la plus grande ville de Catalogne, soutenue par Podemos, a tweeté que le PSOE «a adopté une loi pour intervenir sur Internet pour des raisons d'ordre public. C'est une grave atteinte aux libertés et droits fondamentaux, nous ne pouvons l'accepter!»

Pendant la campagne, le secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, l'a qualifiée de mesure autoritaire. «Tout ce qui implique d'intervenir sur Internet sans contrôle judiciaire est de l'autoritarisme», a-t-il déclaré, ajoutant que «les problèmes en Catalogne ne peuvent être résolus par des actions policières de l'exécutif.»

Alors qu'Iglesias a faussement qualifié la loi de «mesure électoraliste» - laissant entendre que la répression du PSOE en Catalogne serait populaire, alors que les sondages ont montré à plusieurs reprises que sept Espagnols sur dix veulent résoudre la crise catalane par le dialogue et non la répression policière - il a également lancé un avertissement. «Avec l'excuse de la Catalogne, ils coupent les droits», dit-il. Il s'avère que cela aurait été correct si Iglesias avait seulement dit «nous», et pas «ils».

Mercredi, la compagne d'Iglesias et numéro deux de Podemos Irene Montero, à son arrivée au Congrès a refusé de répondre aux questions sur la position de son parti concernant la Loi sur la sécurité numérique. Elle a dit qu'elle aurait des discussions avec Nadia Calviño, ministre de l'économie par intérim du PSOE, qui faisait partie de l'équipe de défense de la loi au Congrès.

Podemos est ensuite intervenu dans le débat avec une mascarade cynique pour laisser entendre qu'ils allaient «améliorer» la loi sur la censure d'Internet après son adoption. S'exprimant devant le Congrès, Anton Gomez Reino, député de Podemos, a donné lecture d'une série de prétendues améliorations à la loi, telles que le «contrôle judiciaire de toutes les décisions exécutives» ou la garantie des «droits fondamentaux et des libertés publiques des citoyens». Calviño jouait le jeu, faisant semblant de prendre des notes pendant le discours de Reino. Cependant, comme Reino n'avait pas le pouvoir d'inclure ces propositions dans le texte de la loi, ce fut un geste entièrement creux.

Les députés du Podemos se sont ensuite abstenus lors du vote sur la loi, afin qu'elle puisse être adoptée avec les votes du PSOE, du PP et de Ciudadanos. Ils ont permis au parti fasciste d'extrême droite Vox de se faire passer pour le parti d'opposition, car c'était le seul parti au Congrès à s'opposer au projet de loi et à critiquer cette atteinte aux droits démocratiques fondamentaux. Les législateurs de Vox ont qualifié la loi de «cheval de Troie» et de «bouton thermonucléaire numérique» donnant à l’État «le contrôle des voix et des données [du peuple]».

Le soutien de Podemos à une telle loi est un avertissement sur le caractère de son alliance électorale avec le PSOE. Ce pacte engage Podemos non seulement à des milliards d'euros de réductions sociales et d'augmentations des dépenses militaires que le PSOE a convenu avec l'Union européenne, mais aussi à la construction d'un régime d'État policier en Espagne visant la contestation sociale, surtout dans la classe ouvrière. Écrivant aux membres de Podemos après avoir signé l'accord avec le PSOE, Iglesias s'est vanté que «nous rencontrerons de nombreuses limites et contradictions, et nous devrons abandonner beaucoup de choses.»

Cela révèle une fois de plus la nature des partis «populistes de gauche» de la classe moyenne aisée comme Podemos, Syriza en Grèce (la «Coalition de la gauche radicale) et leurs affiliés en Europe. En 2015, Syriza a pris le pouvoir en Grèce, s'engageant à mettre fin à l'austérité. En fin de compte, elle a capitulé devant l'Union européenne (UE) pour préserver ses relations avec les banques européennes, imposant des dizaines de milliards d'euros de mesures d'austérité visant les travailleurs grecs, installant des camps de détention de masse pour les réfugiés et vendant des armes pour la guerre brutale au Yémen.

L'entrée de Podemos dans une coalition gouvernementale émergente avec le PSOE cette année marque une nouvelle étape la révélation de la nature de ces organisations contre-révolutionnaires de pseudo-gauche.

Dans son livre Pour un populisme de gauche publié en 2018, Chantal Mouffe, conseillère de Podemos, a affirmé que ces partis étaient fondés sur «une stratégie populiste de gauche visant à construire un "peuple", combinant la variété des résistances démocratiques contre la post-démocratie afin d'établir une formation hégémonique plus démocratique. [...] Je soutiens que cela n'exige pas une rupture "révolutionnaire" avec le régime démocratique libéral.»

Une telle rhétorique s'est révélée une fois de plus comme de la charlatanerie réactionnaire. Au milieu d'une colère sociale croissante et d'une résurgence internationale de la lutte de classe, ces forces de pseudo-gauche ne cherchent pas à organiser une opposition démocratique à l'ordre capitaliste. Elles cherchent à protéger leurs privilèges et leurs richesses non pas en construisant un mouvement «démocratique», mais un régime d'état policier.Tous les démentis ultérieurs émanant de la périphérie de Podemos empestent l'hypocrisie et le mensonge.

Écrivant jeudi dans Público, le fondateur de Podemos, Juan Carlos Monedero, a promis invraisemblablement que si le PSOE et Podemos réunissaient un jour une majorité parlementaire et formaient un gouvernement, ils rejetteraient rapidement la loi du bâillon numérique. Il a écrit: «C'est un combat où il n'est pas permis de céder, et c'est pourquoi l'abstention a été faite en échange du fait que, dès qu'il y aura un gouvernement, un projet de loi sera traité qui sera radicalement différent de celui qui a été approuvé.»

Les Anticapitalistas, affiliés du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) français à l'intérieur de Podemos, ont écrit avec complaisance que Podemos avait simplement avalé sa «première couleuvre», ajoutant «Le gouvernement a approuvé la loi du bâillon numérique grâce à la droite et à l'abstention honteuse de Podemos. C'est de mauvais augure pour cette législature, qui commence par supprimer les droits et les garanties démocratiques.»
Quant à Iglesias, il se vante, après cette attaque réactionnaire contre les droits démocratiques, qu'il intensifiera sa collaboration avec le PSOE. Hier, Iglesias a reconnu que les discussions au sein d'un gouvernement de coalition dirigé par le PSOE et Podemos «seront complexes». Toutefois, s'est- il vanté, il serait dans tous les cas publiquement loyal envers le PSOE et supprimerait toute critique publique de son programme de droite: «Cette discussion restera au Conseil des ministres, et nous aurons une position pro-gouvernementale.» C'est-à-dire que pour Iglesias, ces types d'attaques vont continuer et s'intensifier.

(Article anglais paru le 29 novembre 2019)

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