Les enseignants des écoles secondaires de l'Ontario organisent une grève d'une journée

Ce texte est la traduction d’un article paru initialement en anglais le mercredi 4 décembre, jour de la grève.

Plus de 60.000 enseignants du secondaire de l'Ontario feront grève aujourd'hui pour s'opposer aux compressions radicales que le gouvernement conservateur provincial impose à l'éducation et à leurs conditions d'emploi.

La Fédération des enseignants des écoles secondaires de l'Ontario (FEESO) a déclaré que le débrayage sera annulé si une entente est conclue avec les négociateurs du gouvernement avant mardi à minuit. Mais tout le monde s'accorde à dire que c'est une impossibilité. «En trois jours et demi de négociations, a déclaré le président de la FEESO, Harvey Bishof, mardi après-midi, ils n'ont pas fait une seule proposition pour faire avancer les choses.»

La grève d'une journée, la première grève des enseignants des écoles secondaires de l'Ontario à l'échelle de la province en 22 ans, témoigne de la détermination des enseignants à résister aux réductions salariales réelles, à l'augmentation de la taille des classes, à la compression du personnel de soutien et à l'introduction des cours obligatoires d'apprentissage par Internet. Lors d'un vote de grève le mois dernier, les enseignants, qui travaillent sans contrat depuis le 31 août, ont voté à 95,5% en faveur de la grève.

Le fait que les enseignants soient demeurés au travail sans contrat de travail pendant plus de trois mois et qu'ils ne sont maintenant en grève que pour une journée est uniquement dû à la politique de droite de la direction de la FEESO. Le syndicat est déterminé à empêcher un affrontement direct entre la classe ouvrière et le premier ministre populiste de droite de l'Ontario, Doug Ford, et son gouvernement conservateur.

Dès le début, la FEESO et la Fédération du travail de l'Ontario (FTO) ont cherché à empêcher une grève du personnel enseignant, notamment en demandant à la Commission des relations de travail de l'Ontario, qui est contre les travailleurs, d'intervenir dans les négociations bloquées avec le gouvernement. Ce n'est que lorsqu'ils ont été confrontés à un vote de grève écrasant et craignant que l'opposition parmi les enseignants n'échappe à leur contrôle que le président syndical Harvey Bischof et ses collègues bureaucrates ont approuvé une journée de grève.

L’inaction de la FEESO et le refus des quatre syndicats d'enseignants de l'Ontario d'unir leurs forces contre un gouvernement manifestement déterminé à s’en prendre aux enseignants et à l'éducation publique ont donné l'initiative à Ford et à ses acolytes, qui ont sabré radicalement les dépenses dans l'éducation publique et autres services essentiels dans les 18 mois suivant leur accession au pouvoir.

Ford et ses ministres ont signalé à maintes reprises qu'ils préparent une loi de retour au travail pour criminaliser les grèves des enseignants.

Cela souligne le fait que les enseignants ne sont pas engagés dans un simple conflit de négociation collective, mais dans une lutte politique contre le programme d'austérité de la classe dirigeante capitaliste et son appareil d'État répressif. Pour que les enseignants l'emportent, ils doivent faire de leur lutte le fer de lance d'une contre-offensive ouvrière contre les lois d'austérité et antigrèves et pour la défense de l'éducation publique, des soins de santé et de tous les services publics.

Le gouvernement Ford a dévoilé des compressions de près d'un milliard de dollars par année pour l'éducation publique, y compris l'augmentation de la taille des classes des écoles secondaires de 22 à 28, la destruction de jusqu'à 10.000 postes de personnel enseignant et de soutien au cours des cinq prochaines années et la réduction du financement par élève aux conseils scolaires régionaux. De plus, le gouvernement Ford a adopté à toute vapeur le projet de loi 124, qui impose un plafond annuel de 1% sur le total des augmentations de salaires et d'avantages sociaux pour les trois prochaines années pour les 200.000 enseignants et employés de soutien des écoles publiques et catholiques romaines de la province, et pour 800.000 autres travailleurs du secteur public en Ontario.

Alors que les enseignants du secondaire font la grève seuls aujourd'hui, l'opposition ne se limite en aucun cas à eux. En octobre, plus de 95% des travailleuses et travailleurs de soutien en éducation représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) ont voté en faveur de la grève, et plus de 98% des enseignantes et enseignants de la Fédération des enseignants de l'élémentaire de l'Ontario (FEETO) ont appuyé une grève le mois dernier dans un vote. Les enseignants de l'Ontario English Catholic Teachers Association ont voté à 97% en faveur d'une grève. Depuis le 26 novembre, les membres de l'ETFO et de la FEESO mènent une campagne de grève du zèle.

En octobre, le SCFP a totalement ignoré le vote de grève de ses membres et a conclu un accord de capitulation de dernière minute qui enchâssait le plafond de 1% des salaires et avantages sociaux de Ford.

Depuis le début de la lutte actuelle, les syndicats de l'éducation et des enseignants cherchent délibérément à diviser leurs membres en sections et à bloquer une lutte commune contre Ford. Chacun des syndicats poursuit sa propre stratégie de négociation et ses propres plans de «mobilisations» de la base, même si les questions centrales sont communes à tous les travailleurs de l'éducation publique.

Les efforts des syndicats d'enseignants pour réprimer l'opposition des travailleurs aux coupes de Ford vont de pair avec la politique menée par l'ensemble de la bureaucratie syndicale. Sous la bannière «Le pouvoir du plus grand nombre», la Fédération du travail de l'Ontario a refusé d'appeler à toute grève significative contre les politiques d'austérité des conservateurs et leur projet de loi 124 sur la réduction des salaires.

L'objectif de la FTO est plutôt de canaliser l'opposition populaire derrière une campagne électorale financée par les syndicats en 2022 pour élire un gouvernement «progressiste», c'est-à-dire un gouvernement libéral de droite, procapitaliste ou dirigé par le NPD, qui reprendra les attaques là où Ford les aura laissées. Cette politique trouve son expression la plus flagrante dans le compte à rebours jusqu'aux prochaines élections provinciales affiché en haut de la page d'accueil de la FTO.

Le programme de droite du syndicat démobilise les travailleurs face à l'assaut de l'élite dirigeante sur les salaires et le niveau de vie, et va de pair avec leur appui au gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau. Derrière une rhétorique progressiste bidon, le gouvernement Trudeau détourne des dizaines de milliards de dollars des soins de santé pour acheter de nouvelles flottes de cuirassés et d'avions de combat, alors que les syndicats répétaient les mensonges des libéraux qui disaient s'opposer aux «coupures de Ford» pendant la campagne électorale fédérale qui vient de se terminer.

Le récent congrès de la FTO, au cours duquel Patty Coates, une ancienne représentante de la FEESO et successeure du président sortant Chris Buckley, a été élue présidente de la FTO, démontre que les syndicats n'ont pas l'intention de modifier leur position antitravailleuse.

Les enseignantes et enseignants qui s'engagent dans la lutte doivent aussi se familiariser avec le rôle joué par les syndicats pendant la grève des enseignants de l'Ontario de 1997, qui a éclaté dans le cadre d'une vague ouvrière de masse contre le premier ministre conservateur Mike Harris et sa Révolution du bon sens inspirée des politiques de Thatcher. (Voir: La répression par les syndicats du mouvement anti-Harris de 1995-97: leçons politiques pour aujourd'hui)

Bien que la grève des enseignants de 1997 ait bénéficié d'un soutien massif de la part du public, les syndicats l'ont annulée en disant qu'il n'y avait rien à faire une fois que Harris a rejeté leurs demandes. Ils étaient déterminés à éviter un affrontement direct avec le gouvernement conservateur détesté qui aurait posé la question de savoir quelle classe dirige la société.

Peu de temps après, les syndicats ont mis fin au mouvement anti-Harris et formé une alliance politique avec le Parti libéral par l'entremise de la coalition Working Families Ontario. Cette alliance s'est approfondie au cours des deux décennies qui ont suivi, alors même que les gouvernements libéraux ontariens successifs de Dalton McGuinty et de Kathleen Wynne laissaient en place les principes clés des politiques de Harris et appliquaient une série de compressions salariales et financières.

La leçon centrale à tirer de la répression de la lutte de classe par les syndicats est que les enseignants et les travailleurs de l'éducation doivent prendre eux-mêmes la direction de leur lutte. Le World Socialist Web Site propose la formation de comités de grève dans les écoles, les lieux de travail et les quartiers pour organiser une grève commune contre les mesures réactionnaires de Ford par tous les enseignants et travailleurs de l'éducation. Ces comités doivent faire appel à d'autres sections de travailleurs pour obtenir de l'aide, y compris les travailleurs de l'automobile qui font face à des réductions de salaires et d'emplois et les travailleurs du rail qui ont récemment fait grève contre des conditions de travail terribles. Ils devraient également promouvoir les revendications des enseignants en faveur d'une augmentation substantielle des salaires pour compenser les décennies de gel et de réduction des salaires sous les gouvernements successifs, et l'embauche de milliers d'enseignants supplémentaires pour réduire la taille des classes et améliorer la qualité de l'enseignement public.

Ces revendications, essentielles à la défense de l'éducation publique, entrent en conflit direct avec les prérogatives de l'élite capitaliste, qui veut affamer les services publics pour se remplir les poches et financer une campagne de réarmement dans la poursuite des guerres impérialistes de conquête et de pillage dans le monde.

Les enseignants doivent reconnaître qu'ils sont engagés dans une lutte politique qui va bien au-delà du carcan artificiel du processus de négociation collective que les syndicats et Ford cherchent à leur imposer. La défense d'emplois décents et sûrs pour les enseignants et d'un système d'enseignement public de qualité n'est possible que si les enseignants s'engagent dans la lutte pour une grève politique générale afin de renverser le gouvernement Ford, et dans la lutte pour un gouvernement ouvrier engagé dans des politiques socialistes. Ce n'est qu'alors que les vastes ressources de la société qui sont actuellement monopolisées par une élite minuscule et super riche seront réorientées vers la prestation des services essentiels, comme l'éducation publique et les soins de santé de qualité, dont la population a besoin.

(Article paru en anglais le 4 décembre 2019)

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