Les États-Unis ont espionné les gouvernements pendant des décennies à travers une société de cryptage suisse

L’Agence centrale de renseignement (CIA) et l’Agence de sécurité nationale (NSA) des États-Unis espionnent les communications cryptées des gouvernements du monde entier depuis cinq décennies. Ils ont pu le faire grâce à la CIA qui possédait secrètement une société de sécurité mondiale basée en Suisse.

Dans un long reportage du Washington Post publié mardi, la société, appartenant à la CIA et connue sous le nom de «Crypto AG», a vendu des technologies de cryptage diplomatique à plus de la moitié des pays du monde au cours du dernier demi-siècle. En même temps elle permettait aux services secrets américains d’écouter leurs communications.

Le sceau de la Central Intelligence Agency au siège de la CIA à Langley, en Virginie. (AP Photo/Carolyn Kaster, Dossier)

Crypto AG était une société de technologie de cryptage mécanique datant de la Seconde Guerre mondiale qui a été acquise dans le cadre d’un partenariat entre la CIA et les services de renseignement étrangers ouest-allemands (BND) en 1970. Réputée pour développer des méthodes de cryptage sophistiquées, la société a ensuite commencé à vendre aux gouvernements des systèmes qui contenaient des clés permettant aux services de renseignement américains et allemands d’infiltrer ces systèmes.

Comme l’explique le reportage du Post, «la firme suisse a gagné des millions de dollars en vendant du matériel à plus de 120 pays pendant une bonne partie du 21e siècle. Ses clients comprenaient l’Iran, des juntes militaires en Amérique latine, des rivaux nucléaires comme l’Inde et le Pakistan, et même le Vatican». Parmi les pays qui ont utilisé les technologies de Crypto AG pour les communications sensibles, on trouve le Japon, le Mexique, l’Égypte, la Corée du Sud, l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Italie, l’Argentine, l’Indonésie et la Libye.

Le Post a publié le reportage conjointement avec le radiodiffuseur public allemand ZDF (Zweites Deutsches Fernsehen). Il est basé sur des informations contenues dans un historique complet et classifié du programme secret de la CIA, appelé «Thesaurus» et plus tard «Rubicon», qui a été fuité aux deux organismes de presse. Le Post et la ZDF ont également interrogé des fonctionnaires des services de renseignement, actuels et anciens, et des employés de Crypto AG, dont la plupart ont parlé sous couvert d’anonymat.

Parmi les cas d’espionnage de Crypto AG pour le compte des services de renseignement américain rapportés en détail par le Post, on peut citer les communications du président égyptien Anouar El-Sadate avec Le Caire lors des négociations de Camp David en 1978. Cités aussi étaient les câbles diplomatiques entre le régime iranien de l’ayatollah Khomeini et l’Algérie lors de la crise des otages américains en 1979-80. Enfin, la CIA a partagé avec la Grande-Bretagne des communications décryptées en provenance d’Argentine pendant la guerre des Malouines en 1982.

Le Post cite directement la conclusion du rapport qui a fait l’objet d’une fuite: «C’était le coup d’État du siècle dans le domaine du renseignement. Les gouvernements étrangers payaient grassement les États-Unis et l’Allemagne de l’Ouest pour avoir le privilège de faire lire leurs communications les plus secrètes par au moins deux (et peut-être jusqu’à cinq ou six) pays étrangers».

Les «cinq ou six» pays qui avaient accès aux communications décryptées sont probablement le partenariat de renseignement «Five Eyes» qui comprend l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis. Toutefois, le reportage du Post ajoute que les dossiers de la CIA «montrent qu’au moins quatre autres pays – Israël, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni – étaient au courant de l’opération ou ont reçu des renseignements de celle-ci de la part des États-Unis ou de l’Allemagne de l’Ouest».

Au plus fort des opérations d’espionnage de Crypto AG dans les années 1980, les systèmes de la société étaient responsables de 40 pour cent des câbles diplomatiques du monde. Les gouvernements qui les utilisaient croyaient qu’ils avaient protégé leurs communications. Toutefois, ils étaient sur écoute et le CIA et le BND en collectaient et en décryptaient le contenu.

Parmi les quelques gouvernements qui n’ont pas acheté les systèmes Crypto, on trouve l’Union soviétique et la Chine. Car, selon la Post, ils avaient «des soupçons fondés sur les liens de l’entreprise avec l’Occident qui les protégeaient de toute exposition, bien que l’histoire de la CIA suggère que les espions américains ont beaucoup appris en surveillant les interactions des autres pays avec Moscou et Pékin».

Le fait que les services de renseignement américains, en collaboration avec leurs partenaires impérialistes, aient espionné les communications diplomatiques des gouvernements du monde entier pendant le dernier demi-siècle est une révélation importante. Bien que cela ne soit pas surprenant, cela démontre de la manière la plus concrète la criminalité et le gangstérisme flagrants de l’impérialisme américain.

Les révélations prouvent également que le gouvernement de Washington DC., qu’il soit démocrate ou républicain, a été le premier à se mêler des affaires des autres pays pendant cinq décennies, en totale violation du droit international.

Les révélations sur Crypto AG s’ajoutent à la longue histoire d’écoute du gouvernement américain sur ses alliés et ses ennemis dans les affaires mondiales. Bon nombre des révélations les plus récentes ont été publiées par WikiLeaks ou contenues dans des fuites de l’ancien contractant de la NSA, Edward Snowden. Ce dernier a remis aux reporters du Guardian et du Post une foule de documents secrets du renseignement en 2013.

En 2015, sous l’administration présidentielle de Barack Obama, WikiLeaks a révélé que la NSA avait écouté les appels téléphoniques de la chancelière allemande Angela Merkel depuis 2009. Les données de WikiLeaks ont montré que les États-Unis avaient en fait espionné la chancellerie allemande pendant des décennies, à commencer par l’administration d’Helmut Kohl (1982-1998).

Les révélations de Snowden ont prouvé que la NSA collectait et stockait les communications électroniques de toute la population mondiale. Snowden a montré que les opérations de renseignement américaines comprenaient le piratage de l’épine dorsale en fibre optique du système international de câbles sous-marins qui relie les pays du monde entre eux. Parmi les révélations de Snowden était le fait que les États-Unis avaient intercepté de cette manière les appels téléphoniques des présidents du Mexique et du Brésil.

Les décennies d’accès sans entrave de l’impérialisme américain à des données chiffrées par des systèmes offerts sur le marché révèlent les motivations qui sous-tendent la campagne actuelle de l’administration Trump visant à forcer les entreprises technologiques à abolir le cryptage de bout en bout sur les smartphones et les applications de textos. L’exigence envers Apple, Google et Facebook de donner aux forces de l’ordre américaines un accès à leurs produits par une porte dérobée vise, en partie, à rétablir la surveillance gouvernementale des communications privées des gouvernements et entreprises rivaux.

La lutte contre la surveillance gouvernementale du public et les opérations illégales de l’État américain de renseignement militaire contre les pays du monde est une question de défense des droits démocratiques fondamentaux. Tous les candidats du Parti démocrate acceptent les allégations non prouvées d’«ingérence russe» dans les élections de 2016. Cependant, aucun d’entre eux n’a commenté les dernières révélations du Washington Post sur l’espionnage et l’ingérence des États-Unis au nom des grandes entreprises et des grandes banques américaines.

Les candidats du Socialist Equality Party aux élections américaines de 2020 – Joseph Kishore pour la présidence et Norissa Santa Cruz pour la vice-présidence – sont les seuls à exiger la fin immédiate de l’ingérence américaine et de l’espionnage des pays du monde, sur la base du programme de la révolution socialiste mondiale. Pour plus d’informations sur la campagne électorale du SEP et pour vous inscrire, visitez le site: socialism2020.org.

(Article paru en anglais 13 février 2020)

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