L'OCDE sonne l'alarme sur le surendettement des entreprises

L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'organisme qui regroupe les 36 membres des principales économies du monde, a publié un rapport détaillant l'augmentation rapide de l'endettement des entreprises et les dangers qu'il représente pour l'économie mondiale en cas de hausse inattendue des taux d'intérêt ou de récession.

Elle a constaté qu'à la fin de 2019, le volume mondial des obligations de sociétés non financières en circulation avait atteint un niveau record de 13.500 milliards de dollars.

L'OCDE a souligné une «accumulation sans précédent de la dette des entreprises» depuis la crise financière de 2008 et une augmentation de 2,1 billions de dollars rien qu'en 2019 en raison des politiques monétaires plus souples menées par la Fed américaine et d'autres grandes banques centrales au cours de l'année passée.

Ses conclusions se fondent sur un ensemble de données concernant plus de 92.000 obligations d'entreprises émises par des sociétés dans 114 pays entre 2000 et 2019.

Le rapport a constaté que, par rapport aux cycles de crédit précédents, «les obligations émises par les entreprises ont une qualité de notation globale inférieure, des exigences de remboursement plus élevées, des échéances plus longues et une protection des investisseurs inférieure».

Il a noté l'impact significatif du revirement de la politique monétaire de la Fed américaine au début de l'année dernière. En 2018, les États-Unis avaient relevé les taux d'intérêt à quatre reprises et étaient sur la bonne voie pour poursuivre cette politique en 2019 dans un effort de «normalisation» de la politique monétaire après plus d'une décennie de taux ultra bas et d'assouplissement quantitatif dans le sillage du krach de 2008.

Cependant, Wall Street a organisé une rébellion en décembre 2018, avec les plus fortes baisses du mois depuis 1931 en pleine dépression. La Fed a immédiatement fait marche arrière, mettant en veilleuse ses projets de nouvelles augmentations et réduisant les taux à trois reprises l'année dernière: un revirement qui a été suivi par les principales banques centrales du monde entier.

Après avoir diminué en 2018, l'émission d'obligations d'entreprises a bondi à 2100 milliards de dollars en 2019, égalant le précédent record atteint en 2016.

Ce pic s'inscrit dans une tendance à plus long terme. Depuis 2008, les émissions mondiales annuelles d'obligations se sont élevées en moyenne à 1800 milliards de dollars, soit le double de la moyenne annuelle entre 2000 et 2007. Les niveaux élevés d'endettement ont été identifiés comme l'une des causes de l'effondrement financier de 2008, mais depuis lors, la dette a augmenté.

Non seulement la quantité de la dette a augmenté, mais sa qualité a diminué. Chaque année depuis 2010, environ 20 % de toutes les obligations émises ne sont pas de qualité investissement (c'est-à-dire que ce sont des obligations de pacotille), et ce chiffre était de 25 % en 2019. C'est la plus longue période depuis 1980 où la proportion d'obligations spéculatives a été aussi élevée, ce qui indique que «les taux de défaut de paiement lors d'un futur ralentissement économique seront probablement plus élevés que lors des cycles de crédit précédents», selon le rapport de l'OCDE.

Il a également souligné que la part des obligations notées BBB – le niveau le plus bas qui bénéficie du statut d'investissement – est passée à 51 % en 2019, contre 39 % au cours de la période 2000-2007.

Les obligations de moindre qualité dominent maintenant le volume total, a-t-il déclaré. L'année dernière, seulement 30 % des obligations de sociétés non financières en circulation étaient notées A ou plus.

L’échéance de la dette augmente également, ce qui entraîne une plus grande instabilité potentielle. «Comme les échéances plus longues sont associées à une plus grande sensibilité des prix aux changements de taux d'intérêt, la combinaison de ces échéances plus longues et de la baisse de la qualité du crédit a rendu les marchés obligataires plus sensibles aux changements de politique monétaire», indique le rapport.

Il a également mis en évidence une autre tendance importante, à savoir l'entrée des sociétés non financières sur les marchés financiers. Il a noté qu'entre 2009 et 2018, la valeur des obligations de sociétés détenues par 25 grandes sociétés américaines non financières a triplé, passant de 119 milliards de dollars à 356 milliards de dollars, la société ayant le plus gros portefeuille détenant 124 milliards de dollars en titres de sociétés.

Commentant le rapport, le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, a déclaré que les niveaux élevés d'endettement dans le secteur des entreprises «rendent essentielle la mise en place de réformes qui rendent toutes les parties des marchés des capitaux adaptées à leur objectif».

«Cela doit inclure des mesures visant à améliorer la capacité des marchés des actions à renforcer les bilans des entreprises et à soutenir les investissements à long terme», a-t-il déclaré.

Mais il n'y a aucun signe que de telles «réformes» ont lieu. Cela s'explique par le fait que le marché de la dette des entreprises n'est pas utilisé pour financer des investissements dans l'expansion de l'investissement et de la production. Au contraire, dans un contexte de taux d'intérêt très bas, la dette est de plus en plus utilisée par les entreprises pour financer des rachats d'actions afin d'augmenter la valeur des actions de l'entreprise: l'un des principaux moyens par lesquels la richesse est siphonnée vers les échelons supérieurs de l'oligarchie financière.

Des organisations telles que l'OCDE s'efforcent toujours d'utiliser le langage le plus mesuré lorsqu'elles soulignent les dangers inhérents au fonctionnement du système financier. Le rapport indique que la concentration des obligations en circulation «juste au-dessus de la ligne de démarcation entre le statut d'investissement et celui de non-investissement peut conduire à des ventes importantes qui mettent les marchés des obligations d'entreprises en général sous tension, suscitant des préoccupations en matière de stabilité».

Le ton était relativement discret, mais le message était néanmoins clair: l'escalade de la dette, alimentée par les politiques monétaires des principales banques centrales du monde, crée les conditions d'un nouvel effondrement financier.

L'OCDE n'est pas la seule organisation à lancer un avertissement contre les dangers croissants de la dette sur les marchés mondiaux. L'année dernière, un rapport consultatif du Forum international Robert Triffin au G20, dont les détails ont été rendus publics le mois dernier, a soulevé des préoccupations similaires.

«Le risque d'une inversion inattendue et imprévue de l'abondance des liquidités mondiales pèse sur l'économie mondiale. Une forte contagion sur les marchés pourrait rendre très dangereuse la dynamique inhérente à la liquidité mondiale», selon le rapport.

La décennie des taux d'intérêt très bas et de l'assouplissement quantitatif a créé une situation où le monde était inondé de dettes libellées en dollars américains sans aucun garant pour ces dettes.

Le rapport note que, comme l'expérience de 2008 l'a montré, «on ne peut pas compter sur l'offre de liquidités privées en période de stress». Les sources officielles de liquidités telles que les réserves du FMI, les lignes de swap des banques centrales et le fonds de sauvetage de la zone euro peuvent ne pas suffire en cas de ruée vers le dollar américain en période de crise.

La dette publique est également en hausse. La semaine dernière, l'agence de notation S&P Global a déclaré qu'elle s'attendait à ce que les gouvernements du monde entier empruntent l'équivalent de 8,1 billions de dollars en 2020, soit un bond de 20 % par rapport aux niveaux de 2015.

D'ici la fin de l'année, elle prévoit que la dette publique atteindra le chiffre record de 53.000 milliards de dollars, soit une augmentation de 30 % au cours des cinq dernières années.

Les signes de la crise signalés par l'OCDE sont apparus la semaine dernière lorsque les agences de notation ont abaissé la note des obligations du géant américain de l'alimentation Kraft Heinz en dessous du seuil de qualité d'investissement, faisant de ce dernier le plus grand «ange déchu» depuis 15 ans.

La chronique de Lex dans le Financial Times a lancé une mise en garde sans détour: «Attendez-vous à d'autres décrocheurs parmi la milice céleste.»

Ces déclassements peuvent avoir un effet en cascade lorsque les investisseurs sont obligés de vendre les obligations de ces «anges déchus» parce que leur mandat exige qu'ils ne détiennent pas de dette de grade inférieur à celui d'investissement.

(Article paru en anglais le 24 février 2020)

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