Les mesures de Boris Johnson contre le coronavirus: une criminalité politique qui coûtera des dizaines de milliers de vies

«Sans un sursaut d’effort national pour arrêter la propagation de ce virus, il arrivera un moment où aucun service de santé dans le monde ne pourra y faire face; car il n'y aura pas assez de respirateurs, pas assez de lits de soins intensifs, pas assez de médecins et d'infirmières », a déclaré le Premier ministre conservateur lundi.

Vingt-sept millions de téléspectateurs ont suivi son discours en direct à la nation. En tenant compte des plate-formes de visualisation sur Internet, ce sera probablement l'émission la plus regardée de l'histoire britannique. Mais pour ces millions de personnes cherchant des conseils auprès du gouvernement, Johnson afficha un mépris délibéré.

Si «trop de gens tombent gravement malades en même temps, le NHS [Service national de santé] sera incapable de gérer la situation - ce qui signifie que plus de personnes risquent de mourir, non seulement à cause du coronavirus mais aussi d'autres maladies», a déclaré Johnson. Par conséquent, pour ralentir la maladie, il a proposé au «peuple britannique une instruction très simple - vous devez rester à la maison».

Un confinement du pays est désormais en place, qui doit être imposée par la police. Hormis cette mesure répressive, rien d'autre n'a été proposé.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson tient une conférence de presse expliquant la réponse du gouvernement à la nouvelle épidémie de coronavirus COVID-19, à Downing Street à Londres, le jeudi 12 mars 2020. (Simon Dawson / Pool via AP)

Et lorsque Johnson accumula les mises en garde à sa «simple instruction», tout le monde comprit que des millions de travailleurs n'auraient aucune possibilité de garder la maison.

À la fin d'une liste de raisons justifiant de sortir de chez soi, comme les achats de premières nécessités, l'exercice limité et prendre soin d’une personne vulnérable, il y avait le besoin de «se rendre au travail et de rentrer, mais uniquement lorsque cela est absolument nécessaire et ne peut pas être fait de chez soi».

Mardi, les journaux et la télévision étaient remplis d’images de quais de gare et de métros bondés à Londres, des millions de travailleurs étant contraints de voyager au moyen d’un service très réduit. Parmi eux des infirmières et autres membres du personnel soignant risquant de s’infecter ; mais également des ouvriers du bâtiment, de la production alimentaire, de la vente au détail, des employés des administrations locales et centrales et des services de livraison. La liste des exemptions pour les employés de magasin comprend les supermarchés, les épiceries, les marchands de journaux, les pharmacies, les stations-service, les garages, les animaleries et les banques.

Les travailleurs qui refusent de travailler peuvent être licenciés. D'autres sont des travailleurs indépendants qui n’auront droit à aucune aide s'ils ne travaillent pas. Cela inclut les ouvriers du BTP travaillant pour de grosses entreprises, dont certaines seulement ont suspendu leurs activités après un tollé public, mardi.

Les mesures de Johnson sont nécessaires, vu que chaque personne infectée par le COVID-19 contamine probablement 2,5 personnes et qu'au bout d'un mois 406 personnes ont le virus. Une réduction de 50 pour cent de l'exposition au virus infecte 1,25 personne et réduit le total mensuel à 15; une réduction de 75 pour cent, réduit ce total à 2,5 personnes. Mais son affirmation que «la chose essentielle que nous devons faire est d'arrêter la propagation … entre les ménages» est fausse, la plupart des infections survenant au sein des ménages.

La seule façon de lutter efficacement contre la propagation de la maladie est si un programme d'isolement rigoureux est assorti d'un régime de dépistage pour déterminer le plus tôt possible qui a la maladie - comme c'est le cas en Chine, en Corée du Sud et à Singapour. Là, des tests de fièvre sont effectués partout au début d'une chaîne aboutissant au prélèvement de salive et à l’analyse en laboratoire.

Johnson s'est vanté que «jour après jour, nous renforçons notre incroyable NHS». Cela comprenait «l'augmentation de nos stocks de matériels» et «l'achat de millions de kits de test qui nous permettront d’inverser le cours de ce tueur invisible». Mais la réalité derrière de tels engagements à « accélérer » les tests COVID-19 de 4 000 à 25 000 par jour, a été dévoilée par des documents internes du gouvernement divulgués à Politico.

Un email envoyé par un « assistant principal au siège du Premier ministre » dimanche après-midi aux instituts de recherche britanniques, leur demande d'emprunter des kits de test COVID-19 parce que « l’approvisionnement de ces appareils est limité et donc le PM [premier ministre] lance un appel urgent vous demandant de nous prêter votre ou vos appareils pour la durée de la crise ». Une lettre d’accompagnement de Johnson admet « qu'il n'y a pas d’appareils disponibles à l'achat », ajoutant :« si vous avez du personnel expérimenté dans l'utilisation des machines [...] ce serait également très utile ».

Seulement 90 436 personnes avaient été testées jusqu’à mardi et 280 personnes étaient occupées à tester en laboratoire dans tout le Royaume-Uni. A l’heure actuelle, même le personnel soignant n'est pas testé, bien qu'il courre le plus de risques et soit le plus susceptible de propager le virus. La situation est encore aggravée par l'absence de respirateurs - les discussions n'ont commencé que la semaine dernière avec des industriels sur le besoin de réorganiser leur production – et le manque de masques respiratoires FFP3 complets et d'autres équipements de protection individuelle essentiels comme des blouses chirurgicales.

Cela donne de l’importance à la déclaration de Hans Henri Kluge, directeur de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en Europe, insistant sur le fait que «la pénurie de fournitures médicales ne peut jamais être résolue uniquement par la dynamique du marché…», mais révèle également l'impact de décennies de sous-financement systématique et de déclin de l’ «incroyable NHS » de Johnson, réalisés par son gouvernement et les précédents, conservateurs comme travaillistes, visant à sabrer les dépenses sociales et à encourager la médecine privée.

Dans le Guardian, Devi Sridhar, titulaire de la chaire de Santé mondiale à l'Université d'Edimbourg, condamne sans détour ce que le gouvernement de Johnson a fait et pas fait, déclarant carrément que cela « coûtera des milliers et des milliers de vies ».

Après avoir détaillé le cours de la crise de coronavirus jusque-là, Sridhar a souligné: «Au Royaume-Uni, nous avons eu neuf semaines pour écouter, apprendre et préparer. Nous avons eu neuf semaines pour exécuter des simulations d'épidémie, mettre en place des chaînes d'approvisionnement pour garantir un équipement de protection individuelle (EPI) et un nombre de respirateurs suffisant, et assurer la disponibilité de tests rapides et bon marché. Nous avons eu neuf semaines pour établir des algorithmes pour soutenir la recherche des contacts et lancer des campagnes de sensibilisation de masse non seulement sur le lavage des mains, mais aussi sur les risques que le virus présenterait pour l'activité sociale et économique s'il n'était pas pris au sérieux par tous. »

Au lieu de tout cela, Johnson a poursuivi la politique de laisser la maladie se propager ; cela faisait partie d'une stratégie déclarée de développement d’une «immunité collective». Ce n'est que face à un tollé contre le projet de laisser des centaines de milliers de gens mourir qu'il a fait une volte-face limitée, fermant écoles, bars, cafés, etc., et appelant les gens à s’isoler.

La critique de Sridhar, si féroce soit-elle, ne va pas assez loin. Johnson n'a pas ignoré les avertissements des neuf dernières semaines, mais ceux des neuf dernières années. En 2011, la ‘Stratégie de préparation à une pandémie de grippe’, du ministère de la santé (DoH), avait défini un ‘pire scénario’ raisonnable où 50 pour cent de la population présenterait des symptômes «au cours d'une ou plusieurs vagues durant 15 semaines» et une mortalité comprise entre 210 000 et 315 000 - principalement pendant les semaines de pic de l'infection, lorsque la demande de services de soins intensifs «dépasse l'offre, même à leur ampleur maximale».

Au lieu d'augmenter la capacité de relever ce défi, le NHS et les services de santé du monde entier ont été éviscérés pour diriger l'argent vers les escarcelles des super-riches. Cette politique continue.

Les mesures de Johnson pour combattre le COVID-19 sont toujours trop peu, trop tard. Mais la classe dirigeante souligne que même ces mesures dérisoires ne doivent pas créer un dangereux précédent. L'ancien chef du Parti conservateur William Hague avertissait lundi dans le Daily Telegraph : «Pour les socialistes radicaux, la preuve que l'État peut prendre en charge le paiement des salaires, diriger des entreprises vitales et créer de l'argent sans retenue justifiera pour les décennies à venir des idées auxquelles ils ont toujours cru. »

Dès que possible, la classe dirigeante prendra des mesures pour rétablir la dictature du marché aux dépens de la classe ouvrière. Pour l'instant, on se sert de la crise du coronavirus pour mettre au moins 350 milliards de livres à la disposition des banques et des grandes entreprises dans le cadre d’un transfert continu de richesse sociale qui éclipse même le plan de sauvetage d’après le krach de 2008.

Mais une fois que «l’accélération» prévue du nombre de cas s’infléchira, le gouvernement emploiera ses nouveaux pouvoirs de répression directement contre une classe ouvrière de plus en plus agitée et désespérée. La police qui impose désormais le confinement et l'armée, ayant été déployées dans les rues, seront inévitablement employées à réprimer le mécontentement social croissant de millions de chômeurs. Elles obligeront d'autres travailleurs à retourner travailler pour une somme dérisoire, à un moment de «crise nationale» continue.

(Article paru en anglais le 25 mars 2020)

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