Perspectives

Raspoutine à la Maison-Blanche

Depuis l’apparition de la pandémie de coronavirus, le monde s’est habitué aux points de presse quotidiens de la Maison-Blanche où un Donald Trump renfrogné parade son ignorance stupéfiante et encourage le charlatanisme, pendant que les experts médicaux contredisent ses justifications écervelées et antiscientifiques pour un «retour au travail» rapide.

Toutefois, même ces spectacles quotidiens n’auraient pas pu préparer le public à la représentation de Trump jeudi. Le président a exhorté les Américains à s’injecter du désinfectant et à s’exposer aux rayons ultraviolets, soit des mesures qui tueraient ceux qui auraient eu le malheur d’écouter les conseils du président.

Le président Donald Trump lors de la conférence de presse de jeudi [Source: YouTube]

«Je vois le désinfectant qui l’élimine en une minute – une minute», a déclaré Trump. «Et y a-t-il moyen de faire quelque chose comme ça avec une injection interne – ou comme un nettoyage? Parce qu’on voit qu’il pénètre à l’intérieur des poumons et qu’il y fait de gros dégâts, ça serait donc intéressant de vérifier cela».

Trump a continué: «Supposons donc que nous frappions le corps avec une très forte – une lumière ultraviolette ou simplement très puissante – et je pense que vous avez dit que cela n’a pas été vérifié à cause des tests. Et puis j’ai dit: supposons que vous ameniez la lumière à l’intérieur du corps, ce que vous pouvez faire soit à travers la peau, soit d’une autre manière, et je pense que vous avez dit que vous alliez tester cela aussi».

Ces déclarations ont provoqué une vague de dénonciations stupéfaites de la part de professionnels de la médecine. Le fabricant du désinfectant Lysol a été obligé de réprimander publiquement le président en publiant une déclaration en disant: «Soyons clairs sur le fait qu’en aucun cas nos produits désinfectants ne doivent être administrés dans le corps humain».

Ces dernières semaines, Trump a déclaré que son instinct lui disait que la pandémie serait terminée en avril. Il disait qu’elle n’était pas pire que la grippe et que le médicament hydroxychloroquine – produit par un ami qui allait profiter de la recommandation du président – pourrait guérir le virus. Cela, malgré les avertissements de la FDA selon lesquels il entraînerait une augmentation du nombre de décès.

C’est assez facile de souligner que ces déclarations expriment l’arriération stupéfiante de Trump et son indifférence impitoyable à l’égard de la vie humaine.

Mais il reste à expliquer comment ce grotesque sociopathe en est venu à occuper la Maison-Blanche; et qu’est-ce que sa sordide présidence révèle sur l’état du système politique américain?

Une caractéristique d’un système politique condamné, souvent observée dans l’histoire, est l’élévation d’une personnalité particulièrement méprisable et même dépravée à une haute position dans l’État – souvent en tant que conseiller clé du chef de l’État. De telles personnes deviennent souvent la cible principale de l’indignation publique.

Parmi les exemples les plus notoires d’une telle personnalité au XXe siècle, on peut citer Grigori Raspoutine, le «moine fou», qui a exercé une immense influence sur le tsar russe Nicolas II et l’impératrice Alexandra. Voleur de chevaux et violeur, Raspoutine est devenu le conseiller de confiance et indispensable du couple royal, en partie parce qu’il prétendait pouvoir soigner leur fils hémophile en combinant incantations religieuses, conjuration d’esprits et regard effrayant. Le tsar et la tsarine ne prenaient aucune décision majeure sans consulter leur «ami» corrompu et dissolu.

Craignant que l’influence exercée par Raspoutine ne conduise le régime au désastre, un groupe de nobles mécontents perpétra l’assassinat macabre de «l’ami» en décembre 1916. Leur action n’a pas réussi à empêcher la révolution, qui a commencé deux mois plus tard.

Le «raspoutinisme» est entré dans le vocabulaire de la politique comme un mot qui dénote un niveau obscène de corruption et de décadence de l’État. Dans son Histoire de la révolution russe, Léon Trotsky a rappelé que cet épisode bizarre, dans les dernières années de l’autocratie russe en crise, «prit le caractère d’un affreux cauchemar qui monta sur le pays».

Trotsky poursuit: «Si l’on entend par “voyouterie” l’expression extrême du parasitisme antisocial dans les bas-fonds de la société, on peut dire, à bon droit, de l’aventure raspoutinienne que c’est au premier chef une affaire de voyouterie couronnée».

Un siècle après la version originale, une forme de raspoutinisme est apparue aux États-Unis. Mais le Raspoutine américain n'est pas le conseiller du président. C'est le président – une vile canaille et un dégénéré social, incapable de formuler une phrase cohérente, sans parler d'un argument logique – positionné au sommet de l'État américain !

Trump incarne une oligarchie dont la richesse repose sur un niveau de parasitisme qu’il est difficile de distinguer de la criminalité. Sa brutalité, son sous-développement culturel et son mépris pour le commun des mortels incarnent les attitudes et les pratiques de la classe dirigeante: banquiers, investisseurs milliardaires; vautours capitalistes; gestionnaires de fonds spéculatifs; prédateurs financiers; escrocs de l’immobilier; et magnats des médias; qui ensemble dirige les deux partis politiques et les trois divisions du gouvernement.

Les États-Unis se trouvent actuellement en pleine crise d’une ampleur sans précédent, le gouvernement étant aux mains d’une personne qui dit à la population de s’injecter de l’eau de Javel dans les veines.

Dans la période de son ascension historique, la bourgeoisie américaine a pu produire Abraham Lincoln, qui incarnait l’éthique démocratique de la Révolution américaine et a dirigé le pays pendant la guerre de Sécession. Lors de la grande crise suivante – la Grande Dépression – la classe dirigeante a produit Franklin Delano Roosevelt, qui représentait une classe dirigeante, ou du moins une partie de celle-ci, encore capable de parler sérieusement des questions sociales et de s’adresser aux sentiments démocratiques des larges masses populaires.

Aujourd’hui, des décennies de déclin économique aux États-Unis ont éliminé toute base au sein de la classe dirigeante pour la défense des traditions démocratiques du pays. Le capitalisme américain trouve sa quintessence dans le personnage de Trump. Cela ne signifie pas que tous les capitalistes américains aiment ce qu’ils voient. Mais se regarder dans le miroir n’est pas toujours une expérience agréable. En dernière analyse, Trump est «leur homme». Ils doivent l’accepter tel qu’il est.

À vrai dire, de quelle utilité serait un homme de science et de haute culture à la Maison-Blanche pour Wall Street? Une approche scientifique de la pandémie ne sert pas du tout les intérêts des banques et des sociétés. Les usines doivent être rouvertes. Les profits doivent être extirpés de la classe ouvrière. Les hypothèques, les loyers et les intérêts mensuels sont dus et doivent être payés. Le Dr Anthony Fauci et ses collègues épidémiologistes, avec leurs jérémiades sans fin sur le danger que représentent la vague actuelle et une deuxième vague de la pandémie, commencent à énerver les entreprises américaines.

Dans les 24 heures qui ont suivi la déclaration de Trump sur l’injection de désinfectant et l’utilisation de la lumière ultraviolette «à l’intérieur du corps», la cinquante millième personne est morte du virus aux États-Unis. Alors que plusieurs États se précipitent pour reprendre le travail, le 23 avril a presque établi un record de nouveaux cas positifs dans tout le pays. Les Nations unies se préparent à des famines qui menacent de coûter la vie à des centaines de millions de personnes en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Bien que Trump le dise plus crûment que ses homologues en Europe et dans le monde, le président américain exprime le point de vue de toute l’élite dirigeante mondiale.

En Allemagne, Angela Merkel rouvre le pays en renvoyant la classe ouvrière à son travail, indifférente aux preuves que cela entraînera une nouvelle vague de décès. La même chose se produit en Espagne, en Grande-Bretagne, en France et ailleurs. En Amérique latine, la position de la classe dirigeante se résume à la réponse de l’aile droite brésilienne Bolsonaro et de l’aile gauche apparente du Mexique, Andrés Manuel López Obrador. Tous deux, ils affirment que «Dieu» protégera leurs populations respectives du virus.

Si la société était dirigée de manière rationnelle et démocratique, sur la base des politiques socialistes, une intervention de masse planifiée à l’échelle mondiale et guidée scientifiquement pourrait vaincre la pandémie et sauver des millions de vies. La pandémie est une réalité biologique, toutefois, la réponse à ce phénomène se trouve conditionnée par les intérêts de classe qui dominent la société. La létalité de la pandémie se détermine moins par l’ARN du virus que par les priorités économiques et sociales de la classe capitaliste.

En dernière analyse, la lutte contre la pandémie est inextricablement liée à la lutte pour le transfert du pouvoir à la classe ouvrière et l’établissement du socialisme.

(Article paru en anglais 25 avril 2020)

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