Le Sénat français vote une amnistie préventive pour les morts que causera le déconfinement

A l’occasion du vote de la loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’en juillet et qui prévoit les dispositions pour le déconfinement, le Sénat français a adopté des dispositions réduisant la responsabilité pénalependant l’urgence sanitaire liée au Covid-19. Elle avait déjà voté en 2000 des dispositions pour limiter sa responsabilité juridique suite à de précédents scandales sanitaires. A présent, la classe dirigeante veut bénéficier d’une complète impunité alors que le gouvernement lance un déconfinement qui causera des milliers de nouveaux cas du Covid-19.

Ces précautions sont prises dans le contexte d’une vague de plaintes provenant de soignants et de familles de personnes décédées du Covid-19. Ces plaintes visent des ministres, des hauts fonctionnaires, et des employeurs du secteur privé. On s’attend à des poursuites devant les tribunaux ordinaires contre des hauts fonctionnaires et des employeurs du secteur privé et contre les ministres devant la Cour de justice de la République.

Le président Macron, qui en tant que chef de l’Etat, n’est pas responsable pénalement des infractions commises dans le cadre de ses fonctions, mais qui est coresponsable avec le Premier ministre de la politique menée, n’a pas cherché à cacher son exaspération, ces plaintes nuisant à la façade d’unité nationale qu’il affiche pour sa politique.

La Cour de justice de la République, la seule institution capable de juger les ministres pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, a reçu des plaintes nombreuses pour des délits tels qu’homicide involontaire, mise en danger de la vie d’autrui ou abstention volontaire de prendre des mesures destinées à combattre un sinistre. Sont particulièrement visés le premier ministre Édouard Philippe, l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn et son successeur Olivier Véran.

Dans le contexte de marche forcée vers le déconfinement, Philippe a déclaré le 28 avril au Sénat: «Nous sentons que l'arrêt prolongé de la production de pans entiers de notre économie (…) l'interruption des investissements publics ou privés, (…) présenteraient pour le pays, non pas seulement l'inconvénient pénible du confinement, mais en vérité celui, bien plus terrible, du risque de l'écroulement.»

« Il nous faut donc apprendre à vivre avec le COVID-19», a-t-il dit. En clair, il faut relancer l’économie à tout prix et assumer un niveau élevé de contaminations et de décès plutôt que de rechercher l’arrêt de la propagation du virus en prenant les mesures de santé publique nécessaires.

À travers ces plans précipités de déconfinement, se joue également une compétition féroce entre les États capitalistes face à leurs principaux concurrents. En Europe, le gouvernement allemand voit dans la pandémie l’occasion de renforcer sa prédominance économique. Aux USA la classe dirigeante enrage de ce que la Chine puisse tirer bénéfice de sa meilleure gestion de la pandémie pour renforcer sa position en Asie et dans le monde.

Les travailleurs dont les activités se sont poursuivies pendant le confinement ont payés un prix très lourd pour leur santé, et ils sont nombreux à avoir perdu la vie. Cela sera encore davantage le cas avec la reprise forcée de l’activité partout dans le monde. D’où une volonté générale de rendre les décideurs politiques et économiques juridiquement irresponsables des conséquences de leurs actions.

En France on s’apprête à déconfiner le 11 mai dans des conditions particulièrement périlleuses. La plupart des dispositions annoncées par les pouvoirs publics sensées garantir la sécurité des travailleurs après le déconfinement n’ont tout simplement pas été mises en place et évaluées avant la fin du confinement. Il sera encore plus difficile de les mettre en place après le 11 mai.

Dans les transports, la SNCF et la RATP d’Ile-de-France ont annoncé par voie de presse, provoquant la fureur du Premier ministre, qu’elles seraient dans l’incapacité de transporter les travailleurs attendus en respectant les préconisations de distanciation. Le plan de reprise de l’accueil dans les écoles est un casse tête pour les maires, les directeurs d’écoles et les enseignants.

L’amnistie que la classe dirigeante française se vote préventivement souligne le fait que, tout en lançant le déconfinement, la classe dirigeante sait qu’elle causera des milliers de nouveaux cas et de morts du COVID-19. Elle prépare un crime politique et tente avec malhonnêteté de s’amnistier avant même de le commettre.

Dans ce contexte de mise en danger générale de la vie d’autrui qui caractérise la reprise de l’activité, la classe dirigeante française met une fois de plus en avant de façon hypocrite le risque de poursuite contre les maires. Elle tente en réalité de faire passer une loi d’amnistie pour ses propres exactions. La loi Fauchon passée en 2000 est présentée comme le modèle de protection des maires qu’il faudrait encore renforcer dans le contexte actuel.

Comme l’avait expliqué le World Socialist Web Site en 2003 cette loi, sous prétexte de protéger les maires, était avant tous destinée à protéger les hauts responsables du public et du privé de leurs responsabilités dans des scandales de santé publics majeurs.

Parmi ces scandales, on compte l’affaire du sang contaminé où, dans les années 1980, le gouvernement PS avait permis aux autorités sanitaires d’écouler des stocks de sang contaminé au virus du sida parmi les hémophiles, entraînant des morts massives parmi ceux-ci en France; l’énorme surmortalité liée à la canicule de 2003; et les innombrables décès liés à la poursuite de l’utilisation de l’amiante.

Comme pour la loi Fauchon votée par la droite au bénéfice du Parti socialiste, la classe dirigeante se sert les coudes lorsque le système politique est ébranlé par un vaste scandale.

La loi Fauchon n’étant plus jugée suffisante, un amendement sénatorial proposé par Les Républicains (LR) prévoit que «nul ne peut voir sa responsabilité engagée du fait d’avoir soit exposé autrui à un risque de contamination, soit causé ou contribué à causer une telle contamination», à moins que les faits aient été commis «par imprudence ou négligence dans l’exercice des pouvoirs de policeadministrative» ou «en violation manifestement délibérée (…) d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité d’une mesure de police administrative».

Ces dispositions couvrent toute la période d’urgence sanitaire depuis le 24 mars 2020 et s’appliquent non seulement aux élus et ministres, mais aussi aux fonctionnaires et aux employeurs du privé qui exigent aussi des garanties spécifiques les protégeant s’ils mettent leurs salariés en danger. Elles abolissent l’essentiel de la «faute caractérisée» en matière pénale, la faute ne pourrait désormais être recherchée que dans les circonstances très restrictives où n’aurait pas été respectée une des mesures de police administrative édictée par le gouvernement.

Philippe dit que son gouvernement s’est opposé à l’amendement, mais en réalité le projet a d’abord été poussé par un appel de 138 députés et 19 sénateurs de La République en marche. Des tractations intenses entre les partis sont en cours pour tenter de faire passer le projet sénatorial à l’identique à l’Assemblée nationale ou pour trouver un arrangement pour obtenir un résultat similaire par un autre moyen.

Quelle que soit le résultat des négociations menées par les principaux partis dans les coulisses, elles confirment qu’assurer la sécurité sanitaire des travailleurs contraints de retourner au travail ne figure pas à l’agenda de la classe dirigeante, alors qu’assurer sa propre impunité est une préoccupation majeure et fait l’objet de toute son attention.

Loading