Face au COVID-19, Macron déconfine prématurément la France le 11 mai

Jeudi après-midi, lors d’une allocution télévisée, le premier ministre Édouard Philippe et cinq autres ministres ont confirmé qu’Emmanuel Macron avait donné l’ordre de déconfiner le 11 mai. Cette décision irresponsable, prise en Conseil de défense et menée de pair avec les gouvernements européens et américain, met en danger d’innombrables vies en France et à l’international.

Aux États-Unis, les hauts responsables de l’administration Trump déclarent qu’afin de déconfiner, les Américains doivent s’habituer à la mort de 3.000 personnes chaque jour à travers le pays.

Si en France le confinement réduit peu à peu le nombre de nouveaux cas et de morts, la «première vague» de la pandémie n’a pris fin, ni en France ni en Europe. Mercredi, on a annoncé en France 3.640 nouveaux cas de COVID-19. Le jour de l’allocution de Philippe, 28.490 nouveaux cas étaient recensés dans toute l’Europe, dont plus de 17.000 en dehors de Russie. Pourtant, Philippe a annoncé le déconfinement tout en avouant qu’il anticipait de nombreux nouveaux cas et qu’il ne savait pas quelles seraient les conséquences du déconfinement.

«Dans trois semaines, à la fin du mois de mai, nous saurons précisément où nous en sommes » a-t-il déclaré. « Nous saurons si oui ou non nous avons réussi à contenir l’épidémie. Nous saurons tout cela au rythme des contaminations et des entrées à l’hôpital et en réanimation. … Si ces nombres et si ces chiffres restent bas, nous pourrons nous en féliciter et passer à une nouvelle phase, élargissant nos espaces de liberté dans de nombreux domaines particulièrement importants pour l’été qui vient. Si ce n’est pas le cas, nous en tirerons les conséquences et nous nous adapterons.»

L’argument cynique de Philippe, selon lequel le gouvernement s’engagerait à l’aveugle dans un déconfinement imposé par le destin, non seulement témoigne d’une indifférence flagrante pour les vies humaines, mais il est encore faux. C’est précisément dans de telles circonstances que les modélisations des épidémies servent à informer les décisions. Or, de multiples études démontrent que le déconfinement entraînera un rebond massif de l’épidémie dans le meilleur des cas.

Une étude de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a modélisé la propagation du virus dans une population disposant des protection envisagées par Macron: masques, dépistage des malades, et distanciation sociale. Alors qu’environ 25.000 morts du COVID-19 sont recensées en France, l’étude table sur entre 33.500 et 87.100 nouveaux morts en France de mai à décembre 2020.

Cette étude a conclu que même dans un scénario optimiste sur l’efficacité des mesures-barrière, l’afflux de nouveaux cas serait si fort que les cas graves déborderaient les urgences dès le mois de juillet. «Dans ce scénario, un nouveau confinement serait inévitable», a dit Nicolas Hoertel, psychiatre à l’AP-HP et co-auteur de l’étude.

Une autre étude de l’INSERM et de la Sorbonne prédit qu’une reprise des cours par tous les élèves provoquerait une vague épidémique qui submergerait les services de réanimation, engageant 138 pour cent des capacités hospitalières. Si seulement 25 pour cent des élèves reprenait les cours, cette vague pourrait ne s’élever qu’à 72 pour cent des capacités. Pourtant, il n’est pas clair comment les travailleurs pourraient reprendre le travail si trois-quarts de leurs enfants restaient à la maison.

Une des auteurs de l’étude, Vittoria Colizza, a pointé le risque que «nous aurions à affronter une seconde vague plus intense que la première, débutant fin juin avec des capacités de réanimation dépassées jusqu’en août».

L’indifférence et le mépris des gouvernants pour la vie des travailleurs est patent. La classe dirigeante est, de plus, consciente de sa propre criminalité. C’est pour cela que le Sénat a voté une amnistie préventive pour tout crime sanitaire commis pendant la pandémie.

Cette indifférence est si flagrante qu’elle provoque des critiques même au sein de l’appareil d’État. «Le gouvernement annonce ce jeudi après-midi vouloir maintenir le déconfinement des départements rouges. C’est de la pure folie!», a commenté Frédérick Bierry, président du Conseil départemental du Bas-Rhin en Alsace, région durement frappée par la maladie. Il a cité une étude épidémiologique qui «démontre que le risque absolu est de subir une nouvelle catastrophe sanitaire avec de nouveaux morts.»

Toutefois, Bierry s’est refusé à appeler à une opposition collective au déconfinement, pour se limiter ensuite à proposer des mesures de sécurité sanitaire déjà proposées par le gouvernement: port du masque, protection des personnes âgées ou à risque, et gestes-barrière.

La seule opposition viable à la politique de Macron vient de la classe ouvrière. Déjà largement haï avant la pandémie en tant que président des riches, Macron impose une politique meurtrière aux travailleurs qui, bien que soumis en permanence à une propagande médiatique constante en faveur du déconfinement, s’en méfient largement.

Les affirmations du gouvernement selon lesquelles le reprise des classes et le brassage des enfants n’augmentera pas la contagion – ou que la distanciation sociale sera possible dans des transports en commun bondés et remplis de travailleurs allant au travail – ne sont pas crédibles. Selon un sondage YouGov, 76 pour cent des Français estiment que les cours ne devraient pas reprendre avant septembre. Malgré le matraquage médiatique en faveur du déconfinement le 11 mai, 59 pour cent disent voir cette échéance avec «inquiétude».

La mise en danger de dizaines de milliers de vies en France, et de millions de vies en Amérique et en Europe, n’est pas le produit d’un impératif économique, mais de choix politiques dictés par les intérêts égoïstes de l’aristocratie financière. Les banques centrales des USA et de la zone euro arrosent les États et les grandes entreprises de milliers de milliards de dollars et d’euros. Mais hormis la très petite fraction de ces sommes allouées au financement du chômage technique, la quasi-totalité de ces crédits n’arrivent pas aux travailleurs et aux PME.

Travailleurs précaires et PME sont poussés à la faim ou à la faillite par la mise à l’arrêt drastique de l’économie, alors que les banques et les super-riches se remplissent les poches et refusent d’aider les travailleurs ou de donner les prêts aux PME.

Lundi devant le Sénat, Philippe a prétendu que le déconfinement était dicté par l’impératif de protéger la France: «Cette situation ne peut durer. Les fleurons de notre industrie sont menacés: l’aéronautique, l’automobile, l’électronique. Les PMEs, les entreprises de taille intermédiaire, les start-ups sont au bord de l’asphyxie. Tous qui participent au rayonnement de la France – le tourisme, l’art, la gastronomie – est à l’arrêt.»

Or, si la situation économique est désastreuse, c’est surtout que le gouvernement Macron, comme les autres gouvernements d’Europe, n’a fait que très peu pour rendre le déconfinement vivable.

Quant aux affirmations des autres ministres qui ont accompagné Philippe lors de sa prise de parole, elles ne font que souligner les contradictions massives qui minent la politique gouvernementale. Ils ont proposé le recours en masse aux masques, alors que le gouvernement avait fermement nié leur utilité et qu’une pénurie de masques existe encore aujourd’hui. Ils ont proposé d’éviter la contagion en limitant l’affluence dans les transports à 15 pour cent du niveau habituel, sans expliquer comment les travailleurs déconfinés se rendraient alors au travail ou dans les commerces.

La palme du cynisme revient sans doute à la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, qui a encensé la collaboration de l’État et du patronat avec les appareils syndicaux. «La santé des travailleurs n’a jamais été et ne sera jamais une variable d’ajustement», a-t-elle déclaré, avant d’ajouter à propos de la politique gouvernementale que «le dialogue social [était] essentiel pour mettre en œuvre ces mesures».

Les conditions du déconfinement et d’un retour au travail en sécurité ne sont pas réunies. Les travailleurs sont pleinement justifiés d’exercer leur droit de retrait pour contrecarrer la politique gouvernementale et le mépris caractérisé de la classe dirigeante pour leurs vies. Ceci nécessite une organisation des luttes indépendante des appareils syndicaux et une perspective pour une lutte socialiste visant à transférer le pouvoir politique à la classe ouvrière en Europe et dans le monde.

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