L’OMS avertit que le retour prématuré au travail risque d’entraîner une résurgence de la pandémie

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a réitéré lundi ses avertissements: un retour prématuré au travail sans mesures adéquates pour contenir la pandémie risque d’entraîner une résurgence de la maladie.

Tedros a souligné qu’avant de commencer à ouvrir des entreprises, les gouvernements doivent se demander: si l’épidémie est sous contrôle; si l’infrastructure sanitaire nationale peut faire face à de nouvelles résurgences; et si les mesures de surveillance de la santé publique en place sont suffisamment robustes pour tracer, isoler, traiter et suivre au niveau local dans tout le pays. Mais surtout, il fallait d’abord se demander si la capacité de dépistage d’une nation était suffisante avant même de considérer ces critères.

Les tombes des personnes décédées au cours des 30 derniers jours remplissent une nouvelle section du cimetière de Nossa Senhora Aparecida, au milieu de la pandémie à Manaus, au Brésil, lundi 11 mai 2020. On avait ouvert la nouvelle section le mois dernier pour faire face à une augmentation soudaine des décès. (AP Photo/Felipe Dana)

Alors que seulement 15 États ont l’une ou l’autre forme de confinement, les États-Unis continuent à manquer cruellement de capacités de dépistage, malgré les fanfaronnades répétées mais vides du président. En réalité, la situation est devenue absurde, les municipalités et les États se font concurrence les uns les autres ainsi qu’avec les grands fournisseurs privés et le gouvernement fédéral pour se procurer les matériels nécessaire. Cela ne fait qu’aggraver les pénuries existantes qui embrouillent les autorités locales et les responsables de la santé chargés d’ouvrir leurs villes ou villages. En même temps, ils doivent faire face à de nouvelles flambées soudaines du virus dans les maisons de retraite, les usines et autres lieux de travail. La dévastation économique ravage doublement ces communautés, exacerbant les tensions sociales alors que les travailleurs sont contraints d’opposer leurs difficultés financières à leur sécurité.

Les États-Unis n’ont que récemment atteint une capacité de 300.000 tests par jour. La nécessité d’une capacité supérieure est due au retard criminel pris pour ne pas avoir étendu la capacité de test en janvier et février. Le gouvernement a gaspillé le temps pendant ces deux mois qui aurait été suffisants pour mobiliser les vastes ressources du pays. Comme la pandémie a pénétré plus profondément dans le tissu social du pays, il est maintenant nécessaire de procéder à davantage de tests pour identifier et cartographier la propagation. Les assertions que les États-Unis seraient en avance sur la Corée du Sud sont ridicules et inutiles, précisément parce que la Corée du Sud a très vite réussi a contrôler largement l’épidémie chez elle.

Selon la Fondation Rockefeller, pour rouvrir l’économie du pays en toute sécurité, les États-Unis doivent augmenter considérablement leur capacité de dépistage. Ce dernier doit avoisiner les 30 millions de tests par semaine, soit plus de dix fois la capacité actuelle. Par habitant, les États-Unis sont à 29.321 tests par million d’habitants, soit autant que le Royaume-Uni, mais derrière le Canada, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Russie.

«Les États-Unis n’effectuent pas encore suffisamment de tests de dépistage du coronavirus chaque semaine. Le taux hebdomadaire actuel ne suffit ni pour surveiller de manière adéquate l’ensemble de la population active américaine, ni pour détecter rapidement les épidémies récurrentes de COVID-19», écrit la fondation. «On peut s’attendre à de telles éruptions dans un avenir prévisible, étant donné le faible niveau d’immunité de la population et la contagiosité du virus et sa grande dispersion géographique. La localisation et l’ampleur des éruptions récurrentes sont difficiles à prévoir. Une surveillance étroite des personnes médicalement vulnérables, institutionnalisées, pauvres et emprisonnées est vitale».

La Dr Maria Van Kerkhove, responsable technique de la pandémie de COVID-19 à l’OMS, a expliqué qu’on avait examiné plusieurs études de séroprévalence (niveau d’un agent pathogène dans une population mesuré par des tests sanguins) dans diverses régions d’Asie, d’Europe et des États-Unis. Elle a fait remarquer qu’à leur surprise ces tests d’anticorps indiquaient que la prévalence de la maladie restait faible, de l’ordre de 1 à 10 pour cent, dans la population. En réponse à la question d’un journaliste sur l’immunité collective, la Dr Kerkhove a répondu que bien que la prévalence exacte du COVID-19 requise ne soit pas connue, elle devrait être beaucoup plus élevée que les niveaux actuels.

Le Dr Michael Ryan, responsable des urgences à l’OMS, l’a dit très succintement: «Promouvoir l’immunité collective peut conduire à une arithmétique très brutale qui ne place pas les personnes, la vie et la souffrance au centre de cette équation. Les études de séroprévalence montrent également que la proportion des personnes souffrant d’une maladie clinique importante est, en fait, plus élevée que prévu par rapport à l’ensemble des personnes infectées, car le nombre de personnes infectées dans la population totale est plus faible que ce que nous avions prévu».

Il a expliqué que le virus était encore très profondément ancré dans la communauté de chaque pays, comme l’ont démontré les événements en Corée du Sud et à Wuhan, en Chine. Le moment présent est une seconde chance de mettre rapidement en place l’infrastructure nécessaire pour se préparer aux éruptions dans les communautés locales. «Fermer les yeux et essayer de marcher à l’aveuglette est une équation des plus stupides», a-t-il déclaré. Il a ajouté: «et je suis vraiment inquiet que certains pays s’organisent pour marcher vraiment à l’aveuglette au cours des prochains mois».

Malgré les statistiques effroyables de plus de 80.000 morts et de plus d’un million de cas actifs aux États-Unis, de hauts responsables de la Maison Blanche ont fait pression le week-end dernier sur les gouverneurs des États pour qu’ils prennent des mesures rapides de relance du commerce. Lundi, lors de sa conférence de presse, un Trump fascisant a témérairement lancé: «Je veux l’ouverture du pays».

Hier, des centaines de milliers de travailleurs du Michigan ont repris le travail selon le plan de la gouverneur Gretchen Whitmer pour relancer l’économie du Michigan, malgré la persistance de plus de 400 nouveaux cas par jour. Ce test servira de modèle pour le reste de la base industrielle des États-Unis. La semaine est consacrée au recalibrage et à l’inspection de l’équipement, procédant selon une approche mesurée. American Axle a ramené une seule équipe dans son usine du comté de Macomb. On a installé des tentes à l’extérieur de l’usine pour mesurer les températures et fournir des masques et des équipements de protection. On a transformé cela en événement de presse pour calmer les travailleurs et les influencer, cœur et esprit.

Le gouverneur de l’Illinois, J.B. Pritzker, a indiqué que la science et les données guideront ses décisions. Mais il permet la réouverture limitée de davantage d’entreprises et s’apprête à créer des régions géographiques dans tout l’État qui fonctionneront de manière indépendante. Des terrains de golf et des parcs nationaux ont été ouverts. Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, a indiqué que 70 pour cent des entreprises pourraient rouvrir avec certaines restrictions, bien que quelques comtés situés dans des zones très touchées de la Bay Area resteraient confinés.

De concert, plusieurs pays européens et asiatiques, dévastés par la pandémie, s’efforcent de libérer les activités sociales et commerciales. La France demande aux enseignants de retourner à l’école primaire et à certains magasins et salons de rouvrir. En dehors de Madrid et de Barcelone, l’Espagne autorise l’ouverture de petits rassemblements, de bars et de restaurants qui disposent d’espaces extérieurs. Aux Pays-Bas, les écoles primaires et les salons de coiffure rouvriront et les sports sans contact seront autorisés en plein air. Le Disneyland de Shanghai a rouvert ses portes.

Même la Russie, dont le nombre de cas est le plus élevé après les États-Unis, s’est vantée de son faible taux de mortalité. Cette semaine, Poutine a ordonné la fin d’une «période de non travail» à l’échelle nationale. Bien qu’il reconnaisse que la pandémie n’est pas vaincue, il laisse aux gouverneurs régionaux le soin de décider si et quand les restrictions seront levées sur leur territoire. Cependant, des preuves récentes suggèrent que le nombre de décès dus au COVID-19 a été intentionnellement sous-estimé, et les calculs indiquent que le taux de mortalité dû au virus est en gros trois fois plus élevé.

L’hypocrisie du ‘tout va bien madame la marquise’ a été mise en évidence lors des récents développements à la Maison Blanche. La semaine dernière, le valet du président Trump et l’attaché de presse du vice-président Mike Pence, Katie Miller, ainsi qu’un agent des services secrets, ont testés positifs au COVID-19. Le directeur des Centres pour le contrôle des maladies (CDC) Robert Redfield, le Dr Anthony Fauci, et Stephen Hahn, le commissaire de l’Agence des aliments et médicaments (FDA) ont pris des précautions pour se mettre en quarantaine. Lors de la réunion d’information de lundi à la Maison Blanche, Trump a admis que l’ordre de porter un masque facial pour tous les fonctionnaires venait de lui.

Dans une fin saisissante et dramatique mais abrupte de la conférence de presse de la Maison Blanche, la journaliste de CBS News Weijia Jiang a demandé au président: «Pourquoi est-ce important [de faire mieux que tout autre pays en matière de tests]? Pourquoi est-ce une compétition mondiale pour vous quand chaque jour des Américains perdent toujours la vie et que nous voyons chaque jour encore plus de cas?»

Trump a répondu qu’elle «devrait demander à la Chine pourquoi tant de personnes perdent la vie partout dans le monde». Jiang, qui est née à Xiamen, en Chine, et qui a déménagé aux États-Unis avec sa famille à l’âge de deux ans, a répondu: «Monsieur, pourquoi me dites-vous cela, précisément à moi?» Trump a ensuite répliqué en disant qu’il «dirait ça à quiconque poserait une mauvaise question». Kaitlin Collins de CNN a pris la défense de Jiang lorsque Trump a sollicité une autre question, mais l’a repoussée quand elle a commencé à parler. En réponse Collins a dit: «Vous m’avez donné la parole», puis a repris: «Est-ce que je peux poser une question?» Furieux, Trump a annulé la conférence de presse et s’est éloigné au pas de charge.

(Article paru d’abord en anglais 12 mai 2020)

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