La crise du COVID-19 et son impact sur les conditions de travail des artistes et des travailleurs du secteur artistique

La calamité du COVID-19 a le même effet général sur les artistes et le monde de l’art que sur toute autre main-d’œuvre et sphère économique. Elle dévaste la vie de nombreux artistes, menace de pousser les petites galeries et les entreprises connexes à la faillite et creuse un fossé encore plus profond entre les riches et les pauvres.

La grande question est de savoir dans quelle mesure la crise élargit la perspective des artistes, les radicalise et encourage leur opposition consciente au capitalisme, source de la misère actuelle.

Une étude récente de Art Newspaper et de Rachel Pownall, professeur de finances à l’université de Maastricht, révèle que les galeries d’art du monde entier s’attendent à perdre en moyenne 72 % de leurs revenus annuels en raison de la pandémie.

Le sondage effectué à la mi-avril auprès de 236 galeries et marchands d’art et d’antiquités internationaux a révélé que c’est au Royaume-Uni que l’on prévoit la plus forte baisse, avec 79 %, suivi par l’Asie (77 %), l’Amérique du Nord (71 %) et le reste de l’Europe (66 %).

Environ un tiers des galeries du monde entier (33,9 %) ne s’attendent pas à survivre. Selon Art Newspaper, «Mettant en relief la vulnérabilité des petites entreprises, les galeries de 5 à 9 employés ont déclaré avoir les plus faibles chances de survie (62 %), tandis que les grandes galeries comptant plus de dix employés sont plus optimistes, les trois quarts d’entre elles s’attendant à surmonter la crise.»

Les galeries éprouvent également, selon le sondage «de la difficulté à payer des loyers élevés pour des locaux dans lesquels elles ne peuvent même pas entrer, sans parler d’y faire des affaires; deux tiers des galeries se disent «très préoccupées» ou «inquiètes» à ce sujet. Pour beaucoup de petites galeries, c’est une question de temps, et elles disent que si elles n’obtiennent pas une forme d’allègement de loyer maintenant – que ce soit une réduction de loyer, une interruption ou une renonciation totale – elles ne survivront pas à la fermeture.» À New York, le loyer moyen d’un marchand d’art représente près de 40 % de ses dépenses mensuelles.

Alison Cole, rédactrice en chef de Art Newspaper, a déclaré au Guardian, «Au sommet, le monde de l’art est une industrie de luxe, mais beaucoup de ceux qui y travaillent – les artistes, les manutentionnaires, le personnel des galeries – sont dans des positions très précaires. Nous avons publié l’autre jour un article disant qu’un tiers des galeries en France pourraient fermer d’ici la fin de 2020. Même si le marché de l’art rebondit, ce sera un monde beaucoup plus petit.»

Comme dans toute crise, le plus gros fardeau financier retombe sur ceux qui sont le moins capables de le supporter. Le mois dernier, le Wall Street Journal rapportait que Sotheby’s et Christie’s, les deux grandes maisons de vente aux enchères d’art, allaient licencier du personnel et réduire les salaires.

L’Observer en ligne (anciennement le New York Observer) pour sa part commente: «Les maisons de vente aux enchères, qui dépendent bien sûr énormément de la dynamique de personne à personne établie dans les salles de vente et les bureaux, sont maintenant confrontées au défi de transférer l’ensemble de leurs activités dans une arène numérique. Malheureusement, leurs employés paient actuellement le prix d’une forte diminution des ventes.

«Les travailleurs de tous les secteurs d’activité souffrent de l’immense impact de cette contagion mortelle, et les travailleurs artistiques à temps plein et à temps partiel se retrouvent dans un nouvel environnement qui les empêche temporairement d’accéder aux musées, aux galeries et aux foires d’art animées.»

Dans son article «The Last Days of the Art World ... and Perhaps the First Days of a New One», le critique d’art Jerry Saltz du magazine New York affirme que le désastre du COVID-19 «ne fera qu’exacerber les inégalités qui dominent de plus en plus cet univers, les mégagaleries et les stars de l’art survivant alors que le fossé entre celles-ci et les autres ne fera que s’élargir, rendant quasi invisibles les artistes et les galeries les moins nantis.»

Le COVID-19 agit ici aussi comme un accélérateur de processus bien engagés. Saltz fait remarquer que les conditions étaient déjà difficiles «pour ceux qui ne sont pas au sommet de la chaîne alimentaire». De nombreuses galeries ont déclaré être financièrement à court d’argent à cause de la montée en flèche des coûts et des paiements pour participer (ou tenter de suivre?) à des salons d’art sans fin, toujours en train de prendre l’avion pour se rendre à des biennales et des expositions dans le monde entier. Les artistes quittaient déjà en masse les petites galeries pour aller vers les mégagaleries. Le COVID-19 multiplie ce phénomène par cent.»

La plupart des galeries, souligne Saltz, «n’ont pas de réserves d’argent liquide pour passer au travers d’un confinement de six mois. Ou pour rouvrir et repasser par là à l’automne et à l’hiver si le virus revient. Le Wall Street Journal rapporte que de nombreuses organisations de la scène artistique n’ont pas les réserves nécessaires pour survivre plus d’un mois. La majorité des galeries ne sont pas beaucoup plus préparées. Ces galeries vont fermer. Des employés ont déjà été licenciés dans le monde des galeries.»

Les écoles d’art «pourraient emboiter le pas», ajoute le critique. «La semaine dernière, l’Institut d’art de San Francisco, vieux de 150 ans, a annoncé qu’il ne donnerait pas de cours à l’automne. Les écoles d’art sont devenues trop chères, et il est toujours possible que l’infrastructure éducative d’un siècle soit décimée, tout comme les emplois et les avantages de dizaines ou de centaines de milliers de personnes travaillant dans ces domaines. Ces emplois sont le seul moyen pour de nombreux artistes de gagner leur vie.»

Le monde de l’art commercial a connu une croissance exponentielle au cours des dernières décennies, parallèlement à l’envolée des marchés boursiers et à cette manie de l’accumulation par le parasitisme et la spéculation. En avril, le Guardian soulignait la richesse qui a alimenté «le monde de l’art au cours des 20 dernières années – une période de croissance désordonnée, d’expansion des musées, de flambée des prix aux enchères et de multiplication des salons d’art par mois.»

Nul ne sait dans quelle mesure ce processus pourrait s’arrêter abruptement. La hausse actuelle de la bourse, basée sur le versement de billions de dollars par la Réserve fédérale dans les banques et les entreprises, pourrait donner une nouvelle vie encore plus instable et corrompue aux parties les plus exclusives du monde de l’art, celles qui s’adressent aux acheteurs et investisseurs les plus riches.

Pour les maisons de vente aux enchères, même dans les conditions actuelles, tout n’est pas perdu. CNN rapportait le 23 avril que Sotheby’s, malgré «la fermeture de postes et le licenciement de personnel dans le monde entier en raison de la pandémie du COVID-19», a récemment «réalisé sa plus grande vente aux enchères d’art en ligne». Avec des œuvres «d’Andy Warhol et de Damien Hirst, la vente "Contemporary Curated" a généré plus de 6,4 millions de dollars – un nouveau record en ligne pour la maison de ventes aux enchères.»

Différents processus sociaux sont à l’œuvre. La pandémie de COVID-19 a apporté une dure dose de réalité à de larges couches de la population. Il semble qu’à cela soit associé un regain d’intérêt pour l’art, l’histoire et la culture, comme si des masses de personnes étaient soudainement, objectivement poussées par la terrible crise à chercher des réponses à une foule de problèmes complexes.

Comme de nombreux orchestres et compagnies d’opéra, les musées et les galeries se sont mis à mettre en ligne leurs œuvres et leurs contenus. Dans de nombreux cas, la réaction du public a été très positive. La page de la collection en ligne du British Museum «est passée d’environ 2000 visites quotidiennes à 175.000 au début de la semaine dernière, et se situe maintenant en moyenne à 75.000 par jour» (New Statesman). À la mi-mars, la Courtauld Gallery de Londres, un musée d’art spécialisé dans les toiles impressionnistes et postimpressionnistes françaises, a connu une augmentation de 723 % du nombre de visites virtuelles en une semaine. Les visites sur le site du Louvre de Paris ont aussi explosé, passant de 40.000 à 400.000 visites par jour. Le site web du célèbre musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, en Russie, a été consulté 10 millions de fois depuis la fermeture temporaire du musée.

Il ne fait aucun doute que cela s’explique en grande partie par la perte d’accès des autres moyens de voir les œuvres d’art et les collections du musée en général, mais pas entièrement. La catastrophe provoque une soif de connaissances.

Au même moment, à l’autre bout de la société, «des gens riches qui s’ennuient achètent en ligne des bracelets de 500.000 dollars» rapportait récemment Bloomberg.

À la «stupéfaction» de Catharine Becket de Sotheby’s, responsable de la vente de «magnifiques bijoux» de la maison de ventes aux enchères, Bloomberg rapporte que «les ventes de bijoux de collection ont commencé à bien – très bien – se porter. En parlant à ses clients fortunés, elle a découvert qu’ils achetaient des bijoux comme une sorte de remontant. «Les clients sont séquestrés à la maison et, en général, mènent une vie relativement morne, dit Becket, qui ajoute: certains disent qu’ils portent leurs gros diamants chez eux parce que cela leur apporte de la joie.»

«Tout le monde attend que cela se termine, et je suppose que le fait de savoir que vous aurez un bijou d’un million de dollars sera vu comme un accomplissement lorsque les choses reviendront à la normale.» Est-il vraiment nécessaire de commenter cela?

Que feront les peintres, les écrivains et les cinéastes des circonstances actuelles, douloureuses et si contradictoires? Le désastre actuel rend la position de tout artiste sérieux et honnête encore plus intenable au sein de la société bourgeoise. Dans tous les pays, la politique officielle, tant de la droite que de la «gauche», ne peut que générer de plus en plus de dégoût et d’horreur. Les illusions à l’endroit des politiciens qui, par leur politique brutale de «retour au travail», condamnent à mort des centaines de milliers de personnes vont disparaître en grande partie. Mais qu’est ce qu’il y aura après?

La pandémie expose également la faillite des politiques de genre et de «race» qui dominent le monde des arts depuis ces dernières années. Qu’est-ce que tous ces efforts égoïstes d’une poignée de personnes pour obtenir plus de privilèges et de postes ont en effet à voir avec les besoins de vastes couches de la population, dont la vie même est mise en danger par l’existence continue du système de profit? Dans leur grande majorité, ceux qui souffrent et meurent appartiennent à la classe ouvrière ou aux couches les moins privilégiées de la classe moyenne. Les questions de classe ont une fois de plus – de la façon la plus explicite et la plus horrible qui soit – révélé leurs importances primordiales. Les personnalités artistiques les plus sensibles doivent commencer à agir en ce sens!

La situation objective exige, à notre avis, un tournant des artistes vers la réalité historique et sociale – les niveaux actuels de compréhension sont tout à fait inadéquats – et un tournant également vers la classe ouvrière et son sort. Nous allons développer ce thème dans de prochains articles.

(Article paru en anglais le 5 mai 2020)

Loading